Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
FRA_2/FRA33
Anatole FRANCE
IDYLLES ET LÉGENDES
1896
La Danse des Morts
Dans les siècles de foi, | surtout dans les derniers, 6+6 a
La grand' danse macabre | était fréquemment peinte 6+6 b
Au vélin des missels | comme aux murs des charniers. 6+6 a
Je crois que cette image | édifiante et sainte 6+6 b
5 Mettait un peu d'espoir | au fond du désespoir, 6+6 c
Et que les pauvres gens | la regardaient sans crainte. 6+6 b
Ce n'est pas que la mort | leur fût douce à prévoir ; 6+6 c
Dieu régnait dans le ciel | et le roi sur la terre : 6+6 a
Pour eux mourir, c'était | passer du gris au noir. 6+6 c
10 Mais le maître imagier | qui, d'une touche austère, 6+6 a
Peignait ce simulacre, | à genoux et priant, 6+6 b
Moine, y savait souffler | la paix du monastère. 6+6 a
Sous les pas des danseurs | on voit l'enfer béant : 6+6 b
Le branle d'un squelette | et d'un vif sur un gouffre, 6+6 c
15 C'est bien affreux, mais moins | pourtant que le néant. 6+6 b
On croit en regardant | qu'on avale du soufre, 6+6 c
Et c'est pitié de voir | s'abîmer sans retour 6+6 a
Sous la chair qui se tord | la pauvre âme qui souffre. 6+6 c
Oui, mais dans cette nuit | étalée au grand jour 6+6 a
20 On sent l'élan commun | de la pensée humaine, 6+6 b
On sent la foi profonde. | — Et la foi, c'est l'amour ! 6+6 a
C'est là, c'est cet amour | triste qui rassérène. 6+6 b
Les mourants sont pensifs, | mais ne se plaignent pas, 6+6 c
Et la troupe est très-douce | à la Mort qui la mène. 6+6 b
25 On se tient en bon ordre | et l'on marche au compas ; 6+6 c
Une musique un peu | faible et presque câline 6+6 a
Marque discrètement | et dolemment le pas : 6+6 c
Un squelette est debout | pinçant la mandoline, 6+6 a
Et, comme un amoureux, | sous son large chapeau, 6+6 b
30 Cache son front de vieil | ivoire qu'il incline. 6+6 a
Son compagnon applique | un rustique pipeau 6+6 b
Contre ses belles dents | blanches et toutes nues, 6+6 c
Ou des os de sa main | frappe un disque de peau. 6+6 b
Un squelette de femme | aux mines ingénues 6+6 c
35 Éveille de ses doigts | les touches d'un clavier, 6+6 a
Comme sainte Cécile | assise sur les nues. 6+6 c
Cet orchestre si doux | ne saurait convier 6+6 a
Les vivants au Sabbat, | et, pour mener la ronde, 6+6 b
Satan aurait vraiment | bien tort de l'envier. 6+6 a
40 C'est que Dieu, voyez-vous, | tient encor le vieux monde. 6+6 b
Voici venir d'abord | le Pape et l'Empereur, 6+6 c
Et tout le peuple suit | dans une paix profonde. 6+6 b
Car le baron a foi, | comme le laboureur, 6+6 c
En tout ce qu'ont chanté | David et la Sibylle. 6+6 a
45 Leur marche est sûre : ils vont | illuminés d'horreur. 6+6 c
Mais la vierge s'étonne, | et, quand la main habile 6+6 a
Du squelette lui prend | la taille en amoureux, 6+6 b
Un frisson fait bondir | sa belle chair nubile ; 6+6 a
Puis, les cils clos, aux bras | du danseur aux yeux creux 6+6 b
50 Elle exhale des mots | charmants d'épithalame, 6+6 c
Car elle est fiancée | au Christ, le divin preux. 6+6 b
Le chevalier errant | trouve une étrange dame ; 6+6 c
Sur ses côtes à jour | pend, comme sur un gril, 6+6 a
Un reste noir de peau | qui fut un sein de femme ; 6+6 c
55 Mais il songe avoir vu | dans un bois, en avril, 6+6 a
Une belle duchesse | avec sa haquenée ; 6+6 b
Il compte la revoir | au ciel. Ainsi soit-il ! 6+6 a
Le page, dont la joue | est une fleur fanée, 6+6 b
Va dansant vers l'enfer | en un très-doux maintien, 6+6 c
60 Car il sait clairement | que sa dame est damnée. 6+6 b
L'aveugle besacier | ne danserait pas bien, 6+6 c
Mais, sans souffler, la Mort, | en discrète personne, 6+6 a
Coupe tout simplement | la corde de son chien : 6+6 c
En suivant à tâtons | quelque grelot qui sonne, 6+6 a
65 L'aveugle s'en va seul | tout droit changer de nuit, 6+6 b
Non sans avoir beaucoup | juré. Dieu lui pardonne 6+6 a
Il ferme ainsi le bal | habilement conduit ; 6+6 b
Et tous, porteurs de sceptre | et traîneurs de rapière, 6+6 c
S'en sont allés dormir | sans révolte et sans-bruit. 6+6 b
70 Ils comptent bien qu'un jour | le lévrier de pierre, 6+6 c
Sous leurs rigides pieds | couché fidèlement, 6+6 a
Saura se réveiller | et lécher leur paupière. 6+6 c
Ils savent que les noirs | clairons du jugement, 6+6 a
Qu'on entendra sonner | sur chaque sépulture, 6+6 b
75 Agiteront leurs os | d'un grand tressaillement, 6+6 a
Et que la Mort stupide | et la pâle Nature 6+6 b
Verront surgir alors | sur les tombeaux ouverts 6+6 c
Le corps ressuscité | de toute créature. 6+6 b
La chair des fils d'Adam | sera reprise aux vers ; 6+6 c
80 La Mort mourra : la faim | détruira l'affamée, 6+6 a
Lorsque l'éternité | prendra tout l'univers. 6+6 c
Et, mêlés aux martyrs, | belle et candide armée, 6+6 a
Les époux reverront, | ceinte d'un nimbe d'or, 6+6 b
Dans les longs plis du lin | passer la bien-aimée. 6+6 a
85 Mais les couples dont l'Ange | aura brisé l'essor, 6+6 b
Sur la berge où le souffre | ardent roule en grands fleuves, 6+6 c
Oui, ceux-là souffriront : | donc ils vivront encor ! 6+6 b
Les tragiques amants | et les sanglantes veuves, 6+6 c
Voltigeant enlacés | dans leur cercle de fer, 6+6 a
90 Soupireront sans fin | des paroles très-neuves. 6+6 c
Oh ! bienheureux ceux-là | qui croyaient à l'Enfer. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université