Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
FRA_2/FRA32
Anatole FRANCE
IDYLLES ET LÉGENDES
1896
Le Basilic
Un jour qu'elle peignait | sa lourde chevelure, 6+6 a
Derrière le vitrail | lamé de plomb, Gemma 6+6 b
Vit passer un enfant | beau comme elle, et l'aima 6+6 b
Si fort qu'elle en sentit | au cœur une brûlure. 6+6 a
5 Parce qu'Amour n'épargne | à nul aimé d'aimer, 6+6 a
A peu de jours de là, | ces deux fleurs de Sicile, 6+6 b
Ces tendres jouvenceaux, | au corps fier et gracile. 6+6 b
Se livraient l'un à l'autre | et se laissaient charmer. 6+6 a
A l'heure où les ruisseaux | fument autour des plaines, 6+6 a
10 On les a vus tous deux | qui revenaient du bois, 6+6 b
Faisant sonner leurs noms | au cristal de leurs voix, 6+6 b
L'un sur l'autre penchés | et mêlant leurs haleines. 6+6 a
Maintenant, dans la salle | ouverte sur la mer, 6+6 a
O sœur du joaillier, | brune Sicilienne, 6+6 b
15 Tu pleures ! Jeune fille, | une rosée ancienne 6+6 b
Déjà sous tes beaux yeux | creuse un sillage amer. 6+6 a
Tout le jour, à travers | les arcades mauresques. 6+6 a
Tu sembles regarder | le golfe au loin bleuir. 6+6 b
Ou bien tu suis des yeux, | avec un long soupir. 6+6 b
20 Les cavaliers frôlant | l'or et l'azur des fresques. 6+6 a
Le front sur le vitrail | aux losanges de plomb. 6+6 a
Gemma, le long des nuits | tu veilles dans la fièvre ; 6+6 b
Pour étouffer tes cris, | tes dents mordent la lèvre 6+6 b
Où mit tant de baisers | le doux jeune homme blond. 6+6 a
25 De ton péché commis | savourant l'amertume. 6+6 a
Est-ce que, dans ta chair | et ton sang apaisés 6+6 b
Par la jeune fraîcheur | de vos premiers baisers. 6+6 b
Le salutaire éclat | du repentir s'allume ? 6+6 a
Non, tu ne pleures point | ton virginal trésor ; 6+6 a
30 Nul repentir n'a lui | dans ton âme orageuse, 6+6 b
Et l'Angelus du soir | ne te rend pas songeuse : 6+6 b
Ce que tu fis d'amour, | tu le ferais encor. 6+6 a
Ton amant est parti | sans dague, sans épée, 6+6 a
Léger, et méditant | un prompt retour vers toi, 6+6 b
35 Et voici qu'il n'a point | reparu. C'est pourquoi 6+6 b
Tu veilles si dolente | et de larmes trempée. 6+6 a
Il riait, et ton frère | était joyeux aussi 6+6 a
Quand, le jour de Saint-Jean, | tous deux, au son des cloches, 6+6 b
Sont allés lestement | boire aux sources des roches. — 6+6 b
40 Ton frère est revenu | seul et plein de souci. 6+6 a
Son silence, son front | qui jaunit et se froisse, 6+6 a
Et les fauves lueurs | de ses yeux de gerfaut 6+6 b
Ont glacé tout le sang | de ton cœur. Il te faut, 6+6 b
Muette prés de lui, | dévorer ton angoisse. 6+6 a
45 Dors, fille au cœur gentil ! | grande amoureuse, dors ! 6+6 a
Et sous tes longs cils clos | éteins un peu tes larmes : 6+6 b
Tu ne sais composer | ni philtres noirs ni charmes 6+6 b
Pour parler aux absents | ou réveiller les morts. 6+6 a
Dans la paix du sommeil, | Gemma, descends et plonge : 6+6 a
50 Entre ceux dont Amour | fit une seule chair 6+6 b
Il subsiste un lien | mystérieux et cher 6+6 b
Qui les unit, malgré | la mort, de songe en songe. 6+6 a
Tu dors ! Celui sur qui | tu suspendais tes vœux, 6+6 a
Le vois-tu devant toi, | blême, la lèvre verte. 6+6 b
55 Les habits en lambeaux | et la poitrine ouverte ? 6+6 b
La terre sépulcrale | offense ses cheveux. 6+6 a
Entends la faible voix | qui gémit dans sa bouche : 6+6 a
« Gemma, n'accuse plus | mes retards en pleurant. 6+6 b
Ton frère m'a tué | sous le pin du torrent. 6+6 b
60 Et c'est là, dans la pluie | et l'ombre, qu'est ma couche. » 6+6 a
Il ne dit rien de plus | et dans le clair matin 6+6 a
S'enfuit, Gemma répand | des perles sur sa tète, 6+6 b
Pour honorer son corps | met sa robe de fête, 6+6 b
Et, portant des parfums, | sort d'un pied clandestin. 6+6 a
65 Comme une jument barbe, | elle a, dans la rosée. 6+6 a
Prompte et soufflant du feu, | bondi jusqu'au torrent ; 6+6 b
Elle a bien fort henni | d'épouvante en flairant 6+6 b
La terre sous le pin | nouvellement creusée ; 6+6 a
Mais, grattant le sol noir | de ses ongles, elle a 6+6 a
70 Découvert aussitôt | la chevelure blonde, 6+6 b
La poitrine que perce | une entaille profonde, 6+6 b
Tout le corps de l'ami | qui fut égorgé là. 6+6 a
Oh ! qu'elle eût bien voulu | le prendre et fuir avecque ! 6+6 a
Oh ! qu'elle l'eût bientôt | porté contre son cœur 6+6 b
75 Jusqu'en la cathédrale | et couché, dans le chœur, 6+6 b
Au tombeau qu'a pour soi | fait dresser l'archevêque ! 6+6 a
Elle a senti combien | de tels vouloirs sont vains ; 6+6 a
Et, pressant dans ses bras | le corps meurtri qu'elle aime, 6+6 b
Elle a longtemps hurlé | contre la face blême ; 6+6 b
80 Et son grand désespoir | a rempli les ravins. 6+6 a
Puis, tranquille et muette, | elle a d'une main sûre 6+6 a
Tranché par un couteau | la tête belle encor. 6+6 b
Contente, elle l'emporte | enclose en un drap d'or. 6+6 b
Après l'avoir lavée | et de baume et d'eau pure. 6+6 a
85 Gemma, depuis ce temps, | sur le haut escabeau, 6+6 a
Tout près de la fenêtre | aux vitres en losanges. 6+6 b
Et le jour et la nuit, | boit les senteurs étranges 6+6 b
D'un pied de basilic | spiritueux et beau. 6+6 a
Et jamais basilic | dans un pot de faïence 6+6 a
90 Blanc et bleu comme en ont | les filles des cités, 6+6 b
De ses rameaux touffus, | par la sève humectés, 6+6 b
N'exhala tout fleuri | si molle défaillance. 6+6 a
Ses feuilles, qu'elle mâche, | ont un merveilleux goût, 6+6 a
Glacial, enivrant, | amer. Elle l'arrose 6+6 b
95 D'eau de fleur d'oranger | et d'essence de rose. 6+6 b
Et de larmes d'amour, | oh ! de larmes surtout. 6+6 a
Mais quelle terre noire | a nourri cette plante. 6+6 a
Quels sucs mystérieux | en forment la senteur, 6+6 b
Pour qu'elle ait chargé l'air | d'une acre pesanteur, 6+6 b
100 Et dans les lourds rideaux | épandu la mort lente ? 6+6 a
Laissez la pâle enfant | respirer seule en paix 6+6 a
L'âme du basilic ; | oh ! laissez-la, par grâce ! 6+6 b
Elle sait bien pourquoi | cette plante est si grasse ; 6+6 b
Elle sait que l'on meurt | de son parfum épais. 6+6 a
105 C'est le dernier espoir, | c'est l'unique tendresse. 6+6 a
C'est le doux entretien | de la triste Gemma ; 6+6 b
Car de ce vase où gît | la tête qu'elle aima 6+6 b
Le parfum de la mort | s'exhale et la caresse. 6+6 a
Consume-toi, Gemma, | dans ta brève langueur. 6+6 a
110 Ton nom plaît au poète | et doucement résonne. 6+6 b
Et l'on t'honorera | dans plus d'une canzone, 6+6 b
Car un fidèle amour | a rempli tout ton cœur. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université