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F = "e" féminin
| = césure
FRA_2/FRA21
Anatole FRANCE
IDYLLES ET LÉGENDES
1896
Homaï
Devant Djioun la blanche aux parfums de jacinthe, 6+6 a
Les fils au front cuivré des mangeurs de lézards, 6+6 b
À qui le Chamelier enseigna la loi sainte, 6+6 a
Avaient dressé leur camp et leurs bleus étendards. 6+6 b
5 Ils s’étaient abattus comme des sauterelles. 6+6 a
Et déjà trente jours étaient passés depuis 6+6 b
Qu’ils entouraient la ville et que leurs sentinelles 6+6 a
Gardaient tous les sentiers des monts et tous les puits. 6+6 b
Or, tandis que, poussant une sifflante haleine, 6+6 a
10 Accroupis sur les murs, les hommes du pays 6+6 b
Voyaient les feux guerriers s’allumer par la plaine 6+6 a
Et les chevaux d’Yémen tondre les verts maïs, 6+6 b
Une femme, à pas sourds glissant, voilée et belle, 6+6 a
Par les bazars déserts et les noirs escaliers 6+6 b
15 Et les portes de cèdre ouvertes devant elle, 6+6 a
S’en allait dans la plaine au camp des cavaliers. 6+6 b
Une esclave, portant le vin et les olives, 6+6 a
Noire, au nez un anneau, la suivait en riant 6+6 b
Vers la tente où pendaient des crânes aux solives, 6+6 a
20 Près des yatagans nus d’acier souple et brillant. 6+6 b
Là, sur une peau fauve et de blanc étoie, 6+6 a
Croisant les jambes, grave et seul, et de sa main 6+6 b
Lissant sa barbe courte, odorante et bouclée, 6+6 a
L’émir songeait : « Allah ! hâtons notre chemin. » 6+6 b
25 Mais la femme à travers les ténèbres venue 6+6 a
Devant la tente ouverte apparut dans la nuit, 6+6 b
S’étant fait vers l’émir une route inconnue. 6+6 a
Quand la femme nous vient, sait-on qui la conduit ? 6+6 b
Elle entra. Du nuage incertain de ses voiles 6+6 a
30 L’astre pur de son front se levait calme et blanc ; 6+6 b
Ses cheveux, comme un ciel, étaient semés d’étoiles, 6+6 a
Les gouttes froides des saphirs mouillaient son flanc ; 6−6 b
Ses pieds nus s’avançaient dans la lueur des bagues, 6+6 a
Les rubis à l’orteil dardaient leurs yeux ardents. 6+6 b
35 Et dans l’air enivré d’odeurs tièdes et vagues 6+6 a
Elle sourit avec de la lumière aux dents. 6+6 b
Et la voyant sourire à travers l’ombre noire, 6+6 a
L’émir se crut ravi dans le séjour divin, 6+6 b
Et joyeux il eut peur et frémit, prêt à boire 6+6 a
40 À cette bouche offerte un délicieux vin. 6+6 b
« Ô Beauté que l’Iran et la Nuit m’ont donnée, 6+6 a
Salut, dit-il ; et toi, Nuit de l’Irân, merci ! 6+6 b
L’instant de ton regard vaut bien plus qu’une année, 6+6 a
Femme, car j’ai chan depuis que te voici. 6+6 b
45 « Autrefois, au-devant du sabre et de la lance, 6+6 a
Au front des cavaliers, dans le sang et les cris. 6+6 b
Sur ma noire jument j’avançais en silence, 6+6 a
Méditant les versets sur ma poitrine écrits. 6+6 b
« Quand, derrière mes pas, une ville naguère, 6+6 a
50 Brûlant comme un soleil qu’allumait ma vertu, 6+6 b
Faisait des croupes d’or à mes chevaux de guerre, 6+6 a
Je demandais quel nom cette ville avait eu. 6+6 b
« Mes yeux ne voyaient pas la beauté des captives, 6+6 a
Je ne regardais pas où je versais la mort, 6+6 b
55 Mon oreille était loin des nations plaintives, 6+6 a
Et j’étais seulement la Colère du Sort. 6+6 b
« Mais à l’heure où tes yeux jettent leurs puissants charmes, 6+6 a
Est-il encore un monde et des colères ? non ! 6+6 b
Ô vierge, dont les bras sont plus beaux que des armes, 6+6 a
60 Me connais-tu ? Celui qui t’aime est mon seul nom. 6+6 b
« Voyant ton sein blanchir l’étoffe aux molles trames, 6+6 a
Dont la myrrhe a charmé les plis mystérieux, 6+6 b
Je pleure, ainsi que font les fils des jeunes femmes 6+6 a
Quand un songe mauvais entre dans leurs doux yeux. 6+6 b
65 « Mon âme, que je sens s’exhaler en tendresse, 6+6 a
Flotte comme une haleine autour de ta beauté : 6+6 b
Me voici devenu faible de ta faiblesse, 6+6 a
Et je puis être atteint dans ta fragilité. 6+6 b
« Ne me fais pas de mal, ô compagne étrangère ! 6+6 a
70 À quoi bon me trahir ? je veux ce que tu veux, 6+6 b
Et mon esprit n’est plus qu’une essence légère 6+6 a
Qui se mêle en riant au nard de tes cheveux. 6+6 b
« Ne me fais pas de mal ! mon salut et ma perte 6+6 a
Sont deux enfants jumeaux couchés dans tes bras nus, 6+6 b
75 Et ma vie et ma mort sur ta lèvre entr’ouverte 6+6 a
Tiennent conseil. Pourquoi tes pieds sont-ils venus ? 6+6 b
« Dis-moi ton nom : qu’il soit plus doux à mon oreille 6+6 a
Que le bruit d’une source au fond des déserts blancs ! » 6+6 b
La vierge alors parla ; sa voix sonnait, pareille 6+6 a
80 Au vent frais du matin dans les rosiers tremblants : 6+6 b
« Dans les jardins d’Irân, parmi les tubéreuses, 6+6 a
Naguère on me nommait Homaï, l’oiseau clair ; 6+6 b
Mais je veux, étranger, de tes lèvres heureuses 6+6 a
Recevoir le seul nom qui me restera cher. 6+6 b
85 « Pourquoi je suis venue ? Et pourquoi les étoiles 6+6 a
Viennent-elles au ciel fidèlement le soir ? » 6+6 b
Elle mêla ces mots au frisson de ses voiles, 6+6 a
Et sur la toison fauve alla tout droit s’asseoir. 6+6 b
La ceinture, où des mots brillaient pleins de mystère, 6+6 a
90 Glissa comme un serpent blessé sur ses genoux. 6+6 b
L’émir dit : « Nous allons étouffer sur la terre : 6+6 a
Le monde des vivants est trop étroit pour nous. 6+6 b
« Au dos de mon cheval veux-tu que je te couche ? 6+6 a
Son galop vers la mer bercera ton sommeil, 6+6 b
95 Les vagues baiseront tes pieds, tes flancs, ta bouche, 6+6 a
Et je te porterai dans le lit du soleil ! » 6+6 b
Homaï, dans ses bras immobile et sereine, 6+6 a
Laissait son clair regard se refléter en noir 6+6 b
Dans le sabre pendu contre un pilier d’ébène : 6+6 a
100 Elle se contemplait au fond de ce miroir. 6+6 b
Puis, en se renversant, sa tête inerte et belle 6+6 a
Entrna son regard qui flotta mollement. 6+6 b
Vers l’heure où le nopal fleurit, l’émir près d’elle 6+6 a
S’endormit dans la joie et dans l’apaisement. 6+6 b
105 Le sabre nu brillait dans l’ombre vague et terne. 6+6 a
Sur son coude pensif se dressant à demi, 6+6 b
Comme un enfant se penche au bord d’une citerne, 6+6 a
La femme se pencha sur l’émir endormi. 6+6 b
Son sommeil comparable à des eaux paresseuses, 6+6 a
110 Pleines d’îles de fleurs, coulait heureux et lent. 6+6 b
Homâï, de la voix chantante des berceuses, 6+6 a
Dit, en rendant plus doux son regard indolent : 6+6 b
« Je voudrais n’être pas près de toi pour ta perte, 6+6 a
Mais tout vouloir est vain : je t’aime, et tu mourras. 6+6 b
115 Un Esprit est en moi ; mon âme assiste inerte 6+6 a
À tout ce que l’Esprit accomplit par mon bras. 6+6 b
« Un soir que je croisais les bras sur ma terrasse, 6+6 a
Les Mages m’ont parlé : « Qu’Ormuzd soit obéi. 6+6 b
« Ormuzd a mis en toi le salut de ta race. » 6+6 a
120 Hélas ! j’ai, ce soir-là, cessé d’être Homaï. 6+6 b
« Car ils m’ont fait rester, six jours, sans nourriture, 6+6 a
Dans un lieu souterrain, à la façon des morts. 6+6 b
C’est là que j’ai perdu mon humaine nature, 6+6 a
Et qu’un Esprit subtil est entré dans mon corps. 6+6 b
125 « Puis ils m’ont dit : « Revêts d’une étoffe éclatante 6+6 a
« Ta chair purifiée et qui dompta l’effroi, 6+6 b
« Ô vierge, et va frapper l’ennemi dans sa tente. » 6+6 a
Ils m’ont dit, et mes pieds sont allés jusqu’à toi. 6+6 b
« J’ai gté l’herbe en fleur dont la vertu savante 6+6 a
130 Nous ravit loin du corps dans un monde divin ; 6+6 b
C’est pourquoi désormais l’ennui d’être vivante, 6+6 a
Comme un champ de pavots, remplira tout mon sein. 6+6 b
« Quand ma main aura fait ce que l’Esprit ordonne, 6+6 a
Je la contemplerai sans haine et sans regrets : 6+6 b
135 Je sais que vivre est vain, et que la mort est bonne, 6+6 a
Qu’elle a des charmes doux et de profonds secrets. » 6+6 b
Elle dit, souleva du doigt le bras tranquille 6+6 a
Qui s’était replié tiède et brun sur son flanc ; 6+6 b
Souple, elle en dégagea sans bruit sa taille habile 6+6 a
140 Et sur le tapis sourd assura son pied blanc ; 6+6 b
Et, chaude encor du lit, dans sa robe froissée, 6+6 a
Lente, elle s’approcha du pilier de bois noir, 6+6 b
Et saisit la poignée éclatante et glae 6+6 a
Du sabre dont l’acier lui servit de miroir. 6+6 b
145 Elle dit : « Astres clairs, qui contemplez ma face, 6+6 a
Nuit, qui suspends la vie et ses œuvres mauvais, 6+6 b
Je ferai devant vous ce qu’il faut que je fasse, 6+6 a
Et vous conntrez seuls les raisons que j’avais. » 6+6 b
Elle embrassa l’émir d’un regard calme et tendre, 6+6 a
150 Éleva lentement le sabre, sans effort, 6+6 b
Et dans le cou, que l’homme avait pris soin de tendre, 6+6 a
Plongea, les yeux fermés, le tranchant et la mort. 6+6 b
L’esclave alors saisit cette tête aux chairs mates 6+6 a
Que la femme venait de baiser longuement, 6+6 b
155 La mit dans une coupe avec des aromates, 6+6 a
Et murmura d’orgueil et de contentement. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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