Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
FLR_1/FLR1
corpus Pamela Puntel
Zenaïde FLEURIOT
SIÈGE DE PARIS — ENTRE ABSENTS
AUX MÈRES FRANÇAISES
1871
LE BACHELIER SOLDAT
MAURICE A SA MÈRE
Mère, à Dieppe, où tu vis | loin de ton bachelier, 6+6 a
As-tu su que Paris | s'est armé tout entier ? 6+6 a
Mère, je suis soldat, | car ce n'est plus à l'âge 6+6 b
Que la France aujourd'hui | mesure le courage ; 6+6 b
5 Je me suis enrôlé | malgré mes dix-sept ans. 6+6 a
Les armes à la main, | je déserte les bancs. 6+6 a
A mon képi s'enroule | un ruban tricolore, 6+6 b
Aucun galon doré | ne le surmonte encore, 6+6 b
La gloire l'y coudra. | J'ai des souliers ferrés 6+6 a
10 Que nos remparts boueux | ont déjà calfeutrés. 6+6 a
Cela tient les pieds chauds | et fait bien sous la guêtre, 6+6 b
Nous traitons de très-haut | monseigneur le Bien-être. 6+6 b
La guêtre est de cuir jaune | avec boucles d'acier, 6+6 a
Elle monte aux genoux ; | c'est chasseur et guerrier, 6+6 a
15 Même fort élégant. | Une sombre tunique 6+6 b
Remplace avec succès | mon veston britannique ; 6+6 b
Une écharpe d'azur | en resserre les plis, 6+6 a
C'est commode et charmant. | Si tu voyais ton fils !… 6+6 a
A l'étroit ceinturon, | qu'un numéro décore, 6+6 b
20 Pend un gentil fourreau | reluisant et sonore, 6+6 b
Qui me bat le talon | avec un cliquetis 6+6 a
Que je trouve enivrant. | Tantôt chez nos amis 6+6 a
J'irai me présenter | en ce bel uniforme, 6+6 b
Le fusil sur l'épaule : | un chassepot énorme 6+6 b
25 Qui me paraît léger. | Vraiment, depuis jeudi 6+6 a
Que je suis équipé, | je crois que j'ai grandi, 6+6 a
Et si ma lèvre encore | est vierge de moustache, 6+6 b
Barbiche, galon d'or, | épaulette et panache 6+6 b
Se montreront ensemble | à tes regards surpris, 6+6 a
30 Si la guerre deux ans | t'éloigne de ton fils. 6+6 a
Deux ans ! ce serait long. | Comment oser te dire 6+6 b
Que ton héros souvent, | bien en secret, soupire ? 6+6 b
Le jour je suis soldat ; | à la maison, le soir, 6+6 a
Je pense à toi, Maman, | et de ne plus te voir, 6+6 a
35 De voir père accablé | devant ta place vide, 6+6 b
D'entendre gazouiller | l'oiseau de Léonide, 6+6 b
Me fait gonfler le cœur, | et je pourrais pleurer ; 6+6 a
Mais je me mets en rage, | afin de mieux sabrer 6+6 a
L'affreux rempart de fer | qu'entre nous on élève. 6+6 b
40 Tu peux dire à ma sœur, |' à qui souvent je rêve, 6+6 b
Qu'aux serins le mouron | n'est pas rationné : 6+6 a
Cet arrêt sur les murs | serait mentionné. 6+6 a
Donc, si Paris renferme | encore un sybarite, 6+6 b
C'est Fifi. Tous les jours | mon père le visite 6+6 b
45 Un biscuit dans la main, | des larmes dans les yeux 6+6 a
Au nom seul de sa fille, | il devient soucieux. 6+6 a
Enfin, mère chérie, | il faut ronger sa chaîne ; 6+6 b
Tu peux dans ton exil | être forte et sereine, 6+6 b
Père et moi sommes prêts. | Paraître devant Dieu 6+6 a
50 Est toujours solennel, | alarme bien un peu ; 6+6 a
Mais, s'il est notre juge, | il est notre bon père ; 6+6 b
Ce nom que maintenant | ma liberté profère, 6+6 b
Je l'ai balbutié | souvent sur tes genoux 6+6 a
Mère, puis-je évoquer | ces souvenirs trop doux ? 6+6 a
55 Comment, après cela, | se conduire en Achille ? 6+6 b
En ces temps durs, je dois | avoir l'âme virile. 6+6 b
Adieu donc, je me glisse | un instant dans tes bras, 6+6 a
Je suis plus fier qu'heureux, | je te le dis tout bas. 6+6 a
Que n'ai-je pour courriers | de blancs pigeons fidèles ! 6+6 b
60 Je pourrais déposer | mes baisers sous leurs ailes. 6+6 b
Ils voleraient vers toi, | tu me les renverrais 6+6 a
Avec un de ces mots | que, seule, tu connais. 6+6 a
Pour ce billet je dois | prendre l'unique voie : 6+6 b
Que le ballon l'emporte | en sa robe de soie ! 6+6 b
65 C'est le nouveau facteur, | notre dernier wagon 6+6 a
Qui flotte par les airs | en bulle de savon. 6+6 a
Il part, narguant Guillaume | et sa pesante armée, 6+6 b
Qu'un jour entre nos bras | nous tiendrons enfermée. 6+6 b
Adieu ! je me redrape | en soldat triomphant, 6+6 a
70 Mais, vois-tu, pour t'aimer | j'ai le cœur d'un enfant. 6+6 a
MAURICE.
LA MÈRE DE MAURICE
A MAURICE
Ainsi l'heure a sonné, | l'heure mystérieuse 6+6 b
Où l'âme de mon fils, | ardente et généreuse, 6+6 b
Prend son premier essor, | jette son premier cri. 6+6 a
Comme il a résonné | dans mon cœur attendri ! 6+6 a
75 J'attendais cet élan, | je l'espérais, Maurice, 6+6 b
En secret, j'avais fait | déjà mon sacrifice. 6+6 b
On égorge la France, | et ses enfants partout, 6+6 a
Pour sauver leur pays, | se sont trouvés debout. 6+6 a
Et cependant ta lettre, | ô profonde misère ! 6+6 b
80 A révolté mon cœur. | Mon fils, ta faible mère 6+6 b
A déchiré la page | où se trouvent tracés 6+6 a
Tous ces mots valeureux | que ton cœur a pensés. 6+6 a
En voyant se livrer | au destin des batailles 6+6 b
L'enfant qu'elle a bercé, | le fruit de ses entrailles, 6+6 b
85 Toute femme a senti | dans son cœur maternel 6+6 a
Du glaive de douleur | passer le froid mortel. 6+6 a
Il a percé le mien ; | mais, voilant ma blessure, 6+6 b
Étouffant, non sans pleurs, | le cri de la nature, 6+6 b
J'ai pu lever les yeux | vers les divins sommets ; 6+6 a
90 Entre les mains de Dieu, | soumise, je remets 6+6 a
Mon époux et mon fils, | ces deux parts de mon être, 6+6 b
De toute créature | il est le premier maître. 6+6 b
La prière est toujours | un baume répandu, 6+6 a
Et le calme en mon âme | est bientôt descendu. 6+6 a
95 Et puis mon fils est prêt ! | O magique parole, 6+6 b
Intime apaisement, | mot puissant qui console ! 6+6 b
Si ses bras sont armés, | son âme a revêtu 6+6 a
Sa cuirasse de foi, | d'honneur et de vertu. 6+6 a
Je ne puis t'assurer | le bonheur sur la terre, 6+6 b
100 Mais je puis procurer | à l'âme qui m'est chère 6+6 b
Un éternel bonheur ! | Mon fils, le temps est court, 6+6 a
Et surtout aujourd'hui, | pour un profond amour ; 6+6 a
Le mien, pour toi, vivra | par delà cette vie, 6+6 b
Et c'est pourquoi mon âme | à Dieu le sacrifie. 6+6 b
105 Marche donc au combat, | une croix sur le cœur, 6+6 a
Tu seras, mon enfant, | ou martyr ou vainqueur. 6+6 a
On cherche le secret | des cruelles épreuves 6+6 b
Qui frappent la Patrie | et font tant d'âmes veuves : 6+6 b
Maurice, souviens-toi, | partout l'on murmurait 6+6 a
110 En voyant que la France, | hélas ! dégénérait. 6+6 a
Pour moi, de ces deux fleurs | en mon parterre écloses, 6+6 b
J'avais un soin jaloux ; | dans mes serres bien closes, 6+6 b
J'allais, la loupe en main, | les regardant fleurir, 6+6 a
Élaguant sans pitié | ce qui pouvait flétrir 6+6 a
115 Ces beaux calices blancs | imprégnés de lumière. 6+6 b
Je redoutais l'orage | et même la poussière ; 6+6 b
Car, si les jeunes yeux | ont le regard brillant, 6+6 a
L’œil usé de la mère | est le seul clairvoyant. 6+6 a
Vivre au milieu du feu | sans subir sa morsure, 6+6 b
120 De nos forces, mon fils, | dépasse la mesure. 6+6 b
Or, la pente est rapide | et le gouffre profond, 6+6 a
Un caillou sous le pied | fait rouler jusqu'au fond. 6+6 a
Mais voici du malheur | le sinistre cortège, 6+6 b
Et les combats sanglants, | et les horreurs d'un siège : 6+6 b
125 Il n'est plus d'égoïsme, | il n'est plus de plaisir, 6+6 a
Le salut pour la France | est de savoir souffrir. 6+6 a
Lorsque nous sortirons | de l'épreuve où nous sommes, 6+6 b
Des pleurs que nous versons | il germera des hommes 6+6 b
Mais je ne puis te voir | qu'heureux et triomphant, 6+6 a
130 Et je reprends ta lettre | à ses phrases d'enfant. 6+6 a
Ces phrases m'ont émue, | ont ravi Léonide, 6+6 b
Qui ne rit plus de tout, | qu'un rien pourtant déride. 6+6 b
Elle te voit toujours | armé pour le combat, 6+6 a
Me dit, parlant de toi, | Ton bachelier soldat. 6+6 a
135 Du bachelier tu sais | à quel point je suis fière, 6+6 b
Mais le soldat plaît moins | à sa vaillante mère. 6+6 b
Il faut lui pardonner, | le cœur a ses replis 6+6 a
Et ses convulsions | qui ne sont pas sans prix. 6+6 a
Ainsi, ces petits pieds | que je baisais naguère, 6+6 b
140 Conduisent aujourd'hui | mon soldat à la guerre ; 6+6 b
Ces bras, qui se nouaient | à grand'peine à mon cou, 6+6 a
Quand mon héros dormait | encor sur mon genou, 6+6 a
Étreignent maintenant | une arme meurtrière ; 6+6 b
Ce regard caressant | s'allume de colère ; 6+6 b
145 Ce front, où je lisais | les intimes combats, 6+6 a
Peut se trouver, demain, | pâli par le trépas !… 6+6 a
Qu'ai-je dit ? Reprenons | au plus vite ta lettre, 6+6 b
Et parlons de l'oiseau. | Ta sœur t'invite à mettre 6+6 b
De la mousse à son nid. | Elle a beaucoup pleuré 6+6 a
150 En lisant le passage | au biscuit consacré. 6+6 a
Ce matin, feuilletant | son livre de prière, 6+6 b
J'ai rencontré deux fois | le portrait de son père. 6+6 b
As-tu pour lui, mon fils, | ces soins de chaque jour, 6+6 a
Qu'inspire, à nos foyers, | le véritable amour ? 6+6 a
155 Veille sur sa santé, | dissipe sa tristesse, 6+6 b
Donne-lui, mon enfant, | trois fois plus de tendresse. 6+6 b
Adieu ! sois résolu, | prudent et valeureux, 6+6 a
Pense à moi qui te suis | d'un regard douloureux. 6+6 a
Aux dangers puérils | n'expose pas ta vie, 6+6 b
160 En marchant au combat, | sois tout à ta patrie 6+6 b
Et si tu succombais… |, ton cœur te le dira, 6+6 a
Un tombeau dans mon cœur | pour toi se creusera. 6+6 a
Mais Dieu m'épargnera | cette épreuve suprême ; 6+6 b
Au revoir, mon enfant, | je te bénis, je t'aime. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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