Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DUC_3/DUC89
Alexandre DUCROS
Les Étrivières
1867-1885
PREMIÈRE PARTIE
(1867-1870)
Le vieux Patriote à ses Petits-fils (1)
Mes fils ! — voici longtemps | que regardant la France, 6+6 a
Je pleure ! — Mais toujours | je regarde et j'attends. 6+6 b
Je dis : — Elle viendra | l'heure de délivrance ; 6+6 a
Le soleil brillera | sur la nuit de vingt ans. 6+6 b
5 Nous ne resterons pas | sous le joug qui nous pèse ; 6+6 a
Bientôt l'aube luira : | bientôt dans les faubourgs, 6+6 b
Nous entendrons gronder | la vieille Marseillaise, 6+6 a
Et de la liberté | nous suivrons les tambours. 6+6 b
J'attends !… j'attends toujours ! | et l'heure fuit rapide, 6+6 a
10 Et vous restez cloués | sous le joug et l'affront ; 6+6 b
Plus rien ne vibre en vous, | nul espoir ne vous guide, 6+6 a
Vous braillez un moment | puis vous courbez le front. 6+6 b
Jamais entre vos mains | un fusil ne remue ; 6+6 a
Jamais vous n'avez dit : | — « Si nous voulions, pourtant ? » 6+6 b
15 Il suffit d'un sergot | au détour d'une rue, 6+6 a
Pour vous faire pâlir | et rentrer à l'instant. 6+6 b
Ah ! sur vos pères morts | si Dieu soufflait la vie ! 6+6 a
S'ils voyaient à travers | les débris du cercueil, 6+6 b
Leurs fils abâtardis, | postérité flétrie, 6+6 a
20 Encenser d'un César | le ridicule orgueil ; 6+6 b
Ils crieraient à la mort : | — « Avec ta froide étreinte, 6+6 a
Pousse-nous plus avant | dans l'éternel repos, 6+6 b
Car c'est le dernier jour | de la liberté sainte, 6+6 a
Car nos fils sans vigueur | ont fait honte à nos os ! » 6+6 b
25 Enfants dégénérés | vous êtes sans courage, 6+6 a
Car, moi, je me souviens | que vieillard, jouvenceau, 6+6 b
Au cri de liberté | chacun quittait l'ouvrage, 6+6 a
Pour courir l'arme au bras, | la cocarde au chapeau. 6+6 b
Cependant nos travaux | activaient l'industrie, 6+6 a
30 Et la rouille jamais | ne tachait notre outil ! 6+6 b
Mais, soldats-citoyens, | au cri de la patrie, 6+6 a
On posait le marteau | pour prendre le fusil ! 6+6 b
Par des exploits fameux | nous comptions nos journées, 6+6 a
Les rois à notre aspect | connaissaient les effrois. 6+6 b
35 Nous prenions leurs palais, | troupes déguenillées, 6+6 a
Pour poser nos pieds nus | sur les tapis des rois ! 6+6 b
Quand les tambours battaient | leurs marches triomphales, 6+6 a
Nous allions en avant | d'un bond précipité ; 6+6 b
Sous les drapeaux au vent | déchirés par les balles, 6+6 a
40 On tombait en criant : | — « C'est pour la liberté ! » 6+6 b
Mais vous, que faites-vous ? | et que savez-vous faire ? 6+6 a
Sinon vivre et jouir, | énervés du sérail ! 6+6 b
Vous regardez passer, | calmes et sans colère, 6+6 a
Ces loups que vous gardez | au milieu du bercail ; 6+6 b
45 Ils doublent le labeur ; | — le salaire, ils l'abaissent ; 6+6 a
Pour eux les meilleurs vins | et la fleur des grands blés, 6+6 b
De la sueur du peuple, | en un mot, ils s'engraissent, 6+6 a
Et vous ne dites rien ; | — vous êtes muselés ! 6+6 b
Un seul homme vous tient ; | la peur vous enveloppe 6+6 a
50 Alors que nous, mordieu ! | sans souliers et sans pain, 6+6 b
Mais libres ! mais vainqueurs ! | Nous faisions en Europe, 6+6 a
Pâlir les rois devant | le Peuple-Souverain ! 6+6 b
Vingt ans vous ont gâtés ! | — Le Coupon et la Rente, 6+6 a
Chez vous parlent plus haut | que l'amour du pays, 6+6 b
55 De plaisir et de luxe | une soif dévorante, 6+6 a
Vous étrangle le cœur ! | Vous n'êtes pas nos fils ! 6+6 b
Vous n'êtes pas nos fils ! | — nous prenions des Bastilles, 6+6 a
Mais vous quel noble but | enflamme votre essor ? 6+6 b
Vous brillez sur le turf, | dans les boudoirs de filles, 6+6 a
60 Votre champ de bataille | est à la Maison d'or ! 6+6 b
Que vous importe à vous | les destins de la France ? 6+6 a
D'un passé glorieux | si le pays est veuf ? 6+6 b
Et si l'Europe rit, | voyant la différence. 6+6 a
De nos Petits-Crevés | aux conscrits de l'an neuf ? 6+6 b
65 Allons ! sus ! Levez-vous ! | que la trompette sonne ! 6+6 a
Pour ressaisir vos droits | chaque instant est compté, 6+6 b
Sous vos coups redoublés | faites crouler un trône ; 6+6 a
Jetez aux quatre-vents | l'Empire détesté ! 6+6 b
Ne craignez pas la mort | et vous serez vos maîtres. 6+6 a
70 Mourir pour son pays | est-il un sort plus beau ? 6+6 b
Vive la liberté ! | — marchez ! et vos ancêtres 6+6 a
Joyeux applaudiront | du fond de leur tombeau ! 6+6 b
Traduction imitée de la magnifique satire languedocienne :
Le Rachalan patrioto, de mon ami A. Bigot, de Nîmes.
mètre profil métrique : 6+6
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