Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DUC_2/DUC49
Alexandre DUCROS
Les Caresses d'Antan
1896
ÉLISE
Élise
J'avais vingt ans ; elle, dix-huit ! 8 a
Nous étions dans le mois des roses. 8 b
Comme l'oiseau, par Dieu conduit, 8 a
Nous allions loin des fronts moroses. 8 b
5 Que nous importait les moqueurs ? 8 a
L'espoir était notre richesse, 8 b
Et l'amour chantait dans nos cœurs 8 a
L'hymne de la blonde jeunesse. 8 b
Alors notre seul gagne-pain, 8 a
10 Était une vieille guitare. 8 b
Nous ne chantions jamais en vain ; 8 a
Pour nous on n'était point avare. 8 b
Dans le bois, quand le firmament, 8 a
Déployait ses nocturnes voiles, 8 b
15 Nous nous endormions doucement. 8 a
En causant avec les étoiles ; 8 b
En route dès le point du jour, 8 a
A midi nous cherchions l'ombrage 8 b
Où, pour écouter notre amour, 8 a
20 L'oiseau suspendait son ramage. 8 b
L'amour ! C'est le premier besoin 8 a
Pour le poète et pour la femme, 8 b
Et nous n'avions pour seul témoin 8 a
Que Dieu… qui souriait, Madame ! 8 b
25 Puis, le soir, dans l'humble hameau, 8 a
Qu'abrite le bois sur sa berge, 8 b
Nous chantions un refrain nouveau 8 a
Devant la porte d'une auberge. 8 b
On nous fêtait !… il fallait voir ! 8 a
30 On nous appelait des artistes ! 8 b
On enviait le gai savoir 8 a
Des deux nomades guitaristes. 8 b
Et les filles et les garçons 8 a
Retenaient l'air et les paroles 8 b
35 De mes incorrectes chansons, 8 a
Pour les chanter sous les vieux saules. 8 b
Et puis, nous tenant par la main, 8 a
A pied, sans regrets inutiles, 8 b
Nous poursuivions notre chemin, 8 a
40 En évitant les grandes villes. 8 b
Car il nous fallait le ciel bleu, 8 a
La brise à la suave haleine, 8 b
Et toutes ces voix du Bon Dieu 8 a
Qui passent du val dans la plaine. 8 b
45 Pauvre Élise ! Comme elle était 8 a
Dans ce temps-là folle et rieuse ! 8 b
A tous les vents elle jetait 8 a
Le cri de son âme joyeuse. 8 b
Il me semble la voir toujours : 8 a
50 Elle avait une robe grise 8 b
Qui dessinait les purs contours 8 a
D'une taille fine et bien prise. 8 b
Elle eût tenu dans mes dix doigts, 8 a
Sa taille à nulle autre pareille, 8 b
55 Flexible à faire, mille fois, 8 a
De dépit mourir une abeille. 8 b
Un charmant sourire moqueur 8 a
Courait sur ses lèvres humides, 8 b
Doux nid ! où, chers oiseaux du cœur, 8 a
60 S'envolaient mes baisers timides ! 8 b
Nous nous étions connus un soir 8 a
Que le printemps était en fête. 8 b
Nous confondîmes notre avoir : 8 a
Guitare et gosier de fauvette. 8 b
65 Tout fut commun dès ce soir-là : 8 a
Heure triste, heure fortunée, 8 b
Et nous baptisâmes cela : 8 a
Une misère couronnée ! 8 b
L'avenir sombre menaçait ! 8 a
70 Mais nous étions si bien ensemble, 8 b
Comme ces oiseaux de Musset, 8 a
Qu'un même coup de vent rassemble. 8 b
Mais le printemps vint à finir, 8 a
Puis l'été perdit sa couronne, 8 b
75 Et je vis Élise pâlir, 8 a
Aux premiers souffles de l'automne ! 8 b
Une tache rouge naissait 8 a
Sur sa joue aux teintes d'opale, 8 b
Et plus la tache rougissait, 8 a
80 Plus la joue encore était pâle ! 8 b
Une toux sèche déchirait 8 a
Sa poitrine, et — muet martyre ! 8 b
— En souriant, elle souffrait… 8 a
Qu'il me faisait mal, son sourire ! 8 b
85 Et je me cachais pour pleurer, 8 a
En priant Dieu du fond de l'âme !… 8 b
— « A quoi bon, ami, nous leurrer, 8 a
Disait-elle, Dieu me réclame. 8 b
« Ta fauvette va s'envoler : 8 a
90 La tempête a brisé la cage ! 8 b
Ami, pourquoi te désoler ? 8 a
Il est, là-haut, un doux bocage 8 b
Où les fauvettes, comme moi, 8 a
Quand sonnent les heures amères, 8 b
95 Quand vient la saison du grand froid, 8 a
Pour chanter, retrouvent leurs mères ! » 8 b
Et tandis qu'elle me parlait, 8 a
A ses lèvres presque mi-closes, 8 b
— O chères lèvres ! — il perlait 8 a
100 Comme des gouttelettes roses ! 8 b
Pauvre fille, ton cœur rêvait 8 a
La vie au grand soleil qui brille… 8 b
Et puis, un matin qu'il pleuvait, 8 a
La mort te prit ! O pauvre fille ! 8 b
105 — « Adieu !… je m'en vais !… souviens-toi !… 8 a
Ce fût sa parole dernière ! 8 b
Mon cœur, qui suivit son convoi, 8 a
Ne revint pas du cimetière ! 8 b
Si notre amour n'eut qu'un printemps, 8 a
110 Chère Élise, il fut plein de charmes, 8 b
Il met encore, après vingt ans, 8 a
Ton sourire à travers mes larmes. 8 b
Un jour, quand Dieu m'appellera, 8 a
Pour nous revoir, ô chère morte ! 8 b
115 C'est ta main, ta main qui viendra 8 a
Du Paradis m'ouvrir la porte ! 8 b
De mes fiers vingt ans disparus, 8 a
Il fut court, le joyeux poème ! 8 b
Trop courts, les chemins parcourus 8 a
120 Au lointain pays de Bohème ! 8 b
Mais chaque automne qui revient 8 a
M'apporte une chanson touchante ; 8 b
C'est, dans mon cœur qui se souvient, 8 a
Ma pauvre fauvette qui chante ! 8 b
mètre profil métrique : 8
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