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P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
DUC_2/DUC25
Alexandre DUCROS
Les Caresses d'Antan
1896
LES RUBANS DE MARIE
Simple Histoire
IV
Ruban noir
Le clairon a sonné, | tout s'émeut, le sol tremble, 6+6 a
On dirait un seul corps | en voyant cet ensemble 6+6 a
De mille bataillons | marchant à rangs serrés. 6+6 b
Le silence est partout ; | l'heure de la bataille 6+6 c
5 Produit une stupeur | que bientôt la mitraille 6+6 c
Va chasser, en passant, | sur ces fronts assurés. 6+6 b
Ils vaincront ou mourront ! | — en avant ! la victoire 6+6 a
Leur est promise à tous, | ils couvriront de gloire 6+6 a
Et d'immortalité | leurs drapeaux triomphants ! 6+6 b
10 D'où leur vient donc ainsi | cette mâle assurance ? 6+6 c
Qui les guide ? — Un génie | a fait par sa présence, 6+6 c
Passer d'un seul coup d'œil | la victoire en leurs rangs. 6+6 b
Un seul coup d'œil, un geste, | un signe, une parole, 6+6 a
Celle qui fit franchir | d'un bond le pont d'Arcole ! 6+6 a
15 Car ce génie était | le vainqueur d'Austerlitz ; 6+6 b
C'était Napoléon, | qui, ravageant la terre, 6+6 c
Dans son immense orgueil | avait rêvé de faire 6+6 c
Des couronnes des rois | des jouets pour son fils ! 6+6 b
En avant ! en avant ! | la fanfare résonne, 6+6 a
20 Par cent bouches d'airain | la mort s'élance et tonne, 6+6 a
Et le champ de bataille | est jonché de mourants ! 6+6 b
En avant, vieux soldat ! | quelles sont donc tes craintes ? 6+6 c
N'entends-tu pas ces cris | de victoire ? — Ces plaintes, 6+6 c
Ce monstrueux concert | que font des combattants ? 6+6 b
25 Napoléon est là ! | son regard, regard d'aigle, 6+6 a
Mesure tous les plans ; | il court, il vient, il règle 6+6 a
Les chances du succès ; | il a vu ta valeur ; 6+6 b
Il te fait signe, approche | et que ton front s'incline, 6+6 c
Pour étancher ton sang | il va sur ta poitrine 6+6 c
30 Poser, ô vieux soldat, | l'étoile de l'honneur ! 6+6 b
Va te faire tuer | maintenant ; — que t'importe ? 6+6 a
Tu jetteras encor | d'une voix assez forte, 6+6 a
Un cri d'enthousiasme | et « Vive l'Empereur !… » 6+6 b
Mais les rangs ennemis | faiblissent et s'affaissent. 6+6 c
35 Leurs derniers bataillons | devant vous disparaissent, 6+6 c
Napoléon encor | se promène vainqueur ! 6+6 b
Mais que de morts, grand Dieu ! | dorment dans la poussière 6+6 a
Qui pourrait les compter ? | leurs corps couvrent la terre ! 6+6 a
A l'appel du clairon | ils ne répondront plus ! 6+6 b
40 Un lourd sommeil de plomb | pèse sur leur paupière ; 6+6 a
Ils ne reverront plus | leurs parents, leur chaumière, 6+6 a
Où depuis si longtemps | ils étaient attendus ! 6+6 b
Retournons maintenant | à la pauvre Marie. 6+6 a
Que fait-elle ? elle espère… | elle doute… elle prie ! 6+6 a
45 Un noir pressentiment | attriste son amour. 6+6 b
— « Oh ! s'il était tué ! | » se disait-elle, émue. 6+6 c
Un jour, elle descend | en courant ; dans la rue 6+6 c
Elle avait entendu | comme un bruit de tambour ; 6+6 b
Un régiment passait. | — « C'est le sien, cria-t-elle, 6+6 a
50 Il revient donc, enfin ! | » Et puis, elle chancelle, 6+6 a
Car Louis n'était pas | parmi tous ces soldats. 6+6 b
Elle s'informe alors, | elle demande et pleure ; 6+6 c
— « Avez-vous vu Louis ? | pourquoi donc à cette heure 6+6 c
N'est-il pas avec vous ? |On ne répondait pas. 6+6 b
55 — « Parlez ; dites un mot. | J'étais sa sœur chérie, 6+6 a
Sa fiancée, enfin | le bonheur de sa vie… 6+6 a
Vous voulez m'effrayer, | Messieurs ? vous avez tort ; 6+6 b
Tenez, je ris…, parlez… | déjà l'heure s'écoule, 6+6 c
Pourquoi retardez-vous | mon bonheur ? » — De la foule 6+6 c
60 Une voix s'éleva | disant : — « Louis est mort ! » 6+6 b
— « Mort ! » — Ce cri de l'enfant | fut la seule parole, 6+6 a
Et puis elle tomba | pour se relever folle ! 6+6 a
Lorsque de sa mansarde | elle prit le chemin, 6+6 b
Ses yeux étaient hagards ; | pas une plainte amère 6+6 c
65 Ne sortait de sa bouche. |Elle embrassa sa mère 6+6 c
Qui quelques jours après | expirait de chagrin. 6+6 b
Oh ! comme tout était | changé dans la mansarde ! 6+6 a
Plus de chants, plus d'ouvrage, | et la lueur blafarde 6+6 a
D'une lampe éclairait | tout ce morne abandon. 6+6 b
70 Les voisins par pitié | secouraient la misère 6+6 c
De Marie accroupie | au foyer solitaire, 6+6 c
Et qui semblait n'avoir | retenu qu'un seul nom ! 6+6 b
Parfois, on l'entendait, | debout à la fenêtre, 6+6 a
Pousser un long éclat | de rire ; — « Il va paraître, 6+6 a
75 Criait-elle aux passants, |il revient aujourd'hui ! 6+6 b
Ou bien, elle arrêtait | un soldat au passage, 6+6 c
Elle le regardait | fixement au visage, 6+6 c
Et le laissait aller, | disant : — « Ce n'est pas lui ! » 6+6 b
Elle avait enlevé | dans un moment lucide 6+6 a
80 Son ruban vert, hélas, | de tant de pleurs humide ! 6+6 a
A quoi bon désormais | l'emblème de l'espoir ? 6+6 b
Seulement, et parfois, | aux belles amoureuses, 6+6 c
De leur bonheur présent, | si fières, si joyeuses, 6+6 c
Elle montrait un ruban noir ! 8 b
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