Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DUC_2/DUC24
Alexandre DUCROS
Les Caresses d'Antan
1896
LES RUBANS DE MARIE
Simple Histoire
III
Ruban vert
Un mois s'est écoulé | depuis que dans son âme 6+6 a
Marie avait senti | brûler une autre flamme 6+6 a
Et naître un autre amour | qu'elle ignorait alors. 6+6 b
Elle avait à son tour | dit à Louis : — Je t'aime ! 6+6 c
5 Oh ! qu'il était heureux ! | — Pour cet aveu suprême 6+6 c
Il n'aurait pas voulu | les plus riches trésors. 6+6 b
Chaque jour apportait | des moments pleins de charmes, 6+6 a
Et leur amour encore | ignorait les alarmes ; 6+6 a
Ils s'enivraient ensemble | à leur félicité. 6+6 b
10 Le présent était tout. | — L'avenir, chose obscure, 6+6 c
Ne venait point troubler | leur félicité pure, 6+6 c
Car ils n'y songeaient point | dans leur simplicité. 6+6 b
Peut-être ignorez-vous, | ô ma jeune lectrice… 6+6 a
Je ne vous blâme pas | et je vous rends justice, 6+6 a
15 Vous n'aimez pas encor. | — Peut-être ignorez-vous 6+6 b
Tous ces tourments… divins ! | que l'amour fait d'une ombre ; 6+6 c
Ces boutades et puis | tous ces accords sans nombre, 6+6 c
Que suscite l'amour | pour peu qu'on soit jaloux ? 6+6 b
L'était ainsi chez eux ; | d'accords, brouillés encore. 6+6 a
20 Et plus on est brouillé, | mieux après on s'adore, 6+6 a
— C'est la règle ; — en amour | point d'uniformité, 6+6 b
Un plaisir qu'on acquiert | sans désir est bien fade… 6+6 c
Mais, je vous vois rougir | de ma sotte incartade, 6+6 c
Veuillez me pardonner | cette immoralité. 6+6 b
25 Le bonheur de Louis | ne peut pas se décrire ; 6+6 a
Il avait ignoré | jusqu'alors qu'un sourire, 6+6 a
Un seul regard, un mot, | c'était là du bonheur. 6+6 b
— « Oh ! merci, disait-il, | merci pour ta tendresse, 6+6 c
Car elle a de mon cœur | dissipé la tristesse 6+6 c
30 Et le nuage obscur | qui pesait sur mon cœur. 6+6 b
« Au seul bruit de ta voix | j'ai senti fuir le doute, 6+6 a
Et prêt à succomber | j'ai poursuivi ma route, 6+6 a
Car seul, abandonné, | moi je voulais mourir ; 6+6 b
Chacun me repoussait ! | — Maintenant je veux vivre ; 6+6 c
35 Tu m'aimes, n'est-ce pas ? | Ah ! ton amour m'enivre : 6+6 c
J'ai vécu de douleurs ; | je mourrai de plaisir ! » 6+6 b
En écoutant ces mots, | Marie était heureuse. 6+6 a
Ils se voyaient une heure ; | heure délicieuse ! 6+6 a
La mère ne prenait | point garde à leur amour ; 6+6 b
40 La vieillesse est toujours | crédule et confiante ; 6+6 c
Et puis, ils parlaient d'elle | et leur flamme innocente 6+6 c
Lui promettait aussi | bien du bonheur un jour. 6+6 b
— « Louis, tu l'aimeras ? | disait alors Marie. » 6+6 a
« Je n'ai jamais connu | de mère dans ma vie ; 6+6 a
45 Elle sera la mienne… | Oh ! oui, je l'aimerai ! 6+6 b
— « Nous aurons bien soin d'elle. | Oh ! c'est qu'elle est si bonne ! 6+6 c
Nous n'aurons pas besoin | de l'aide de personne ; 6+6 c
Toi, tu travailleras, | moi je la soignerai. 6+6 b
Hélas ! un soir Louis | rentra triste, des larmes 6+6 a
50 S'échappaient de ses yeux. | — « Quelles sont tes alarmes ? » 6+6 a
Dit Marie effrayée. | — « Il faut partir demain, 6+6 b
Répondit le jeune homme. | — « Et pourquoi donc ? — L'armée 6+6 c
Me réclame. » — « Soldat ! | » fit Marie accablée, 6+6 c
Et son front abattu | s'inclina sur sa main. 6+6 b
55 Il partit ! et Marie | en comptant les journées 6+6 a
Attendait son retour. |Il fallait sept années 6+6 a
Avant qu'il ne revînt | au pays, c'était long ! 6+6 b
Et l'on était alors | dans ces jours où la guerre, 6+6 c
Du bruit de ses canons | épouvantait la terre, 6+6 c
60 Où les rois pâlissaient | devant Napoléon ! 6+6 b
Elle attendait toujours | et prenait du courage. 6+6 a
Un bruit dans l'escalier | suspendait son ouvrage. 6+6 a
Elle y courait alors : | — « Mon Dieu, ce n'est pas lui ! » 6+6 b
Disait, en remontant, | la pauvre jeune fille. 6+6 c
65 Puis elle murmurait, | en reprenant l'aiguille : 6+6 c
— « Je crois que cela fait | juste un an aujourd'hui. » 6+6 b
Elle continuait : | — « Je veux être jolie, 6+6 a
Je veux qu'à son retour | il me trouve embellie. 6+6 a
Si Louis aujourd'hui, | mon Dieu, pouvait me voir, 6+6 b
70 Comme il serait heureux ; | je suis encor plus belle ! » 6+6 c
Chaque minute aussi | toujours la trouvait-elle 6+6 c
Consultant le reflet | de son petit miroir. 6+6 b
— « Il aura l'épaulette | à son retour, peut-être ! » 6+6 a
Disait la pauvre enfant, | courant à la fenêtre 6+6 a
75 Pour écouter un bruit | de tambours au dehors ; 6+6 b
Il aura l'épaulette ! | Oh ! que je serai fière ! » 6+6 c
Elle attendait toujours | sans savoir, ô misère ! 6+6 c
Que la gloire souvent | n'escorte que les morts ! 6+6 b
Enfin, elle attendait. | Tantôt triste ou joyeuse, 6+6 a
80 Sombre et morne aujourd'hui, | demain folle et rieuse. 6+6 a
Le seuil de sa mansarde | était toujours ouvert, 6+6 b
Comme on fait pour quelqu'un | qu'on attend à toute heure, 6+6 c
Ses yeux semblaient chercher | l'absent dans sa demeure 6+6 c
Et dans ses cheveux blonds | flottait un ruban vert. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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