Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
DUC_2/DUC23
Alexandre DUCROS
Les Caresses d'Antan
1896
LES RUBANS DE MARIE
Simple Histoire
II
Ruban bleu
Ton front est inquiet, ô Marie ! et ta mère 6+6 a
Ne t'a pas entendu réciter la prière 6+6 a
Qu'ensemble à ton chevet vous faisiez le matin. 6+6 b
Bien des fois de tes doigts ton aiguille est tombée, 6+6 c
5 Vis-à-vis, ton regard erre à la dérobée, 6+6 c
Et ton oiseau tout seul a chanté son refrain. 6+6 b
Qu'as-tu ? quelle langueur décolore ta joue 6+6 a
Et quel esprit malin de ton repos se joue ? 6+6 a
Hier encor tu riais, libre ainsi qu'à seize ans. 6+6 b
10 Mais, ta mère va mieux, tu dois être joyeuse ? 6+6 c
Es-tu malade ? non. — Ma jeune soucieuse, 6+6 c
Pourquoi ce front rêveur et ces yeux languissants ? 6+6 b
D'où naît ce changement ? — Regarde en ta demeure, 6+6 a
Gaie et contente hier, maintenant tout y pleure. 6+6 a
15 Pourquoi, mon Dieu, pourquoi ce subit abandon ?… 6+6 b
Quel secret caches-tu ? quel trouble ? quel mystère ?… 6+6 c
Tu détournes les yeux, enfant, pourquoi nous taire, 6+6 c
Vers quel bonheur perdu ces longs soupirs s'en vont ? 6+6 b
Tout auprès, vis-à-vis, dans une chambre étroite 6+6 a
20 Que l'été rend brûlante et l'hiver toute moite 6+6 a
D'humidité, — depuis quinze jours environ, 6+6 b
Habitait un jeune homme.Orphelin dès l'enfance 6+6 c
Il n'avait pas connu sa mère ; — à sa naissance 6+6 c
Le signe du mépris avait meurtri son front. 6+6 b
25 Un soir, de bonnes gens l'avaient sur une pierre 6+6 a
Ramassé tout enfant, presque nu, car sa mère, 6+6 a
Que nul ne vit jamais, l'avait abandonné. 6+6 b
Ils en eurent pitié, ses pleurs les attendrirent ; 6+6 c
Ce que n'avait point fait une mère, ils le firent ; 6+6 c
30 Ils donnèrent leur pain à l'enfant nouveau-né. 6+6 b
Plus tard, lorsqu'il grandit, il dut gagner sa vie, 6+6 a
Et souvent il jetait un long regard d'envie 6+6 a
Sur les autres enfants dont il voyait les jeux ; 6+6 b
Mais lorsqu'il recherchait leur troupe fortunée, 6+6 c
35 L'ouvrage l'appelait, son pain de la journée ! 6+6 c
Et l'enfant retournait au chantier soucieux. 6+6 b
— « Toujours seul ! disait-il, jamais une voix douce. 6+6 a
Celui que je voudrais pour ami me repousse, 6+6 a
Et je vais dévorer mes larmes à l'écart. 6+6 b
40 Je n'ai pas deman pourtant, Seigneur, à naître ? 6+6 c
N'aurais-tu pas mieux fait de dérober à l'être 6+6 c
Le pauvre paria qu'ils appellent bâtard. » 6+6 b
Louis, — c'était son nom, — voyait passer Marie ; 6+6 a
Il l'attendait le soir. — C'était là de sa vie 6+6 a
45 Le seul bonheur, hélas ! — Marie, en souriant, 6+6 b
Lui donnait un « Bonsoir ! » lorsqu'elle entrait chez elle, 6+6 c
Et lui la contemplait, il la trouvait si belle 6+6 c
Qu'il n'osait lui parler dans son ravissement. 6+6 b
Mais il était toujours placé sur son passage, 6+6 a
50 Un regard bienveillant lui donnait du courage. 6+6 a
— « Si tu voulais m'aimer, ange ! murmurait-il, 6+6 b
Mais, si bas que lui seul l'entendait dans son âme ; 6+6 c
Si tu voulais m'aimer, — de cette foule infâme 6+6 c
Je braverais l'affront ! — Comme la fleur d'avril 6+6 b
55 S'échappe du bouton qui parfume sa tige, 6+6 a
Et vient ouvrir son sein à l'oiseau qui voltige, 6+6 a
Comme elle, douce enfant, je t'ouvrirais mon cœur 6+6 b
Fermé jusqu'aujourd'hui. — De ton amour la force 6+6 c
Saurait briser, crois-moi, sa trop rugueuse écorce, 6+6 c
60 Et serait le soleil qui féconde la fleur ! » 6+6 b
Un jour, elle venait de reporter l'ouvrage ; 6+6 a
Marie, en s'approchant, aperçut dans la cage 6+6 a
Un joyeux compagnon pour son oiseau chéri. 6+6 b
D'un nouvel oiselet ayant fait la demande, 6+6 c
65 Elle crut deviner de qui venait l'offrande, 6+6 c
Car celui-ci portait son ruban favori. 6+6 b
— « C'est toi, mère ? fit-elle. — Ah ! je te remercie, 6+6 a
— « Mais non, c'est le voisin qui tantôt, ma chérie, 6+6 a
M'a dit : — Votre chanteur, tout seul, doit s'ennuyer, 6+6 b
70 Car vivre seul, allez ! c'est bien triste, madame !… 6+6 c
Mais, à deux, ces oiseaux égrèneront leur gamme 6+6 c
Comme des perles d'or au paisible foyer. » 6+6 b
Le soir, lorsque Louis eut fini sa journée, 6+6 a
Marie, en rougissant, — elle en fut étonnée, 6+6 a
75 Alla remercier son généreux voisin. 6+6 b
Louis, en l'écoutant, avait comme la fièvre ; 6+6 c
Un mot : — « Oh ! je vous aime ! » échappa de sa lèvre, 6+6 c
Qui de la pauvre enfant vint effleurer la main ! 6+6 b
Elle rêva la nuit… Mais non plus l'heureux songe 6+6 a
80 Dans lequel chaque soir, le cœur en paix se plonge, 6+6 a
Car elle ne vit point le paradis et Dieu. 6+6 b
Cet aveu de Louis, le songe le répète !… 6+6 c
Pensive, le matin, elle mit sur sa tête, 6+6 c
Au lieu du ruban blanc, un autre ruban bleu ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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