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| = césure
DUC_1/DUC8
Alexandre DUCROS
Les Capricieuses
1854
LES RUBANS DE MARIE
Fantaisie
A Mademoiselle E. G.
I
INNOCENCE
Elle dort. Une lampe éclaire son visage ; 6+6 a
Son front n'est obscurci par aucun noir nuage : 6+6 a
Rien ne trouble sa paix — ni sa sérénité. ' 6+6 a
Elle a prié ce soir, et, maintenant, son rêve, 6+6 b
5 De ses travaux du jour douce et paisible trêve, 6+6 b
Emporte son esprit vers un monde enchanté. 6+6 a
Du Dieu qu'elle a prié son regard voit la face. 6+6 a
Parmi lès saints esprits il lui montre sa place ; 6+6 a
Elle court dans des champs semés d'or et d'azur 6+6 a
10 Ces spacieux jardins aux fleurs toujours nouvelles 6+6 b
Qui répandent au sein des sphères éternelles, 6+6 b
Comme pour louer Dieu, leur parfum le plus pur. 6+6 a
Son oreille attentive écoute l'harmonie 6+6 a
Et recueille les sons de la harpe, bénie 6+6 a
15 Qui vibre sous les doigts de mille séraphins. 6+6 a
A ce concert sacré, sa voix douce et craintive 6+6 b
Se mêle avec transport, et sa prière arrive 6+6 b
A Dieu, sur l'aile d'or des cantiques divins. 6+6 a
Rêve heureux ! et qui naît de sa jeune ignorance ! 6+6 a
20 Rêve qui, chaque nuit, s'achève et recommence, 6+6 a
Oh ! tu n'es point de ceux qui viennent abuser. 6+6 a
L'âme que tu ravis, est comme un lac tranquille : 6+6 b
Nul remords ne la trouble, et tu la vois, docile, 6+6 b
S'endormir, s'éveiller au bruit d'un doux baiser. 6+6 a
25 Un baiser de sa mère ! Oh ! c'est tout ce qu'elle aime ! 6+6 a
Pour elle, sa tendresse est divine et suprême ! 6+6 a
— Son père, hélas ! son père est mort depuis longtemps. 6+6 a
Depuis, tout son amour s'est porté sur sa mère : 6+6 b
Pour elle ses baisers, pour elle sa prière ; 6+6 b
30 Pour elle, doux trésors ! les fleurs de son printemps. 6+6 a
Dans ses cheveux, elle a pour unique parure 6+6 a
Un simple ruban blanc, dont le pli s'aventure 6+6 a
Sur son sein, où la soie et l'or sont inconnus ; 6+6 a
Un ruban seulement et sa robe d'indienne, 6+6 b
35 Qui, de tant de beautés modeste gardienne, 6+6 b
Ne laisse contempler que ses bras demi-nus. 6+6 a
Auprès de la fenêtre, un oiseau dans sa cage, 6+6 a
Par ses chants de bonheur anime son ouvrage ; 6+6 a
L'aiguille diligente éloigne tout souci 6+6 a
40 De son seuil, où le pauvre, en recevant l'aumône, 6+6 b
Fait qu'une perle encor s'ajoute à la couronne 6+6 b
Que Dieu garde à cet ange, auquel il dit : merci ! 6+6 a
Elle est heureuse ainsi ; qui peut troubler cet être ? 6+6 a
Elle marche au milieu du monde, sans connaître 6+6 a
45 Ce qu'il a de méchant, d'égoïste et de froid. 6+6 a
Les cailloux du chemin pour elle sont de sable ; 6+6 b
Sa candeur la défend ; la foule impitoyable 6+6 b
S'écarte avec respect sitôt qu'elle la voit. 6+6 a
Son travail la nourrit. — Elle est pauvre. — Sa mère 6+6 a
50 Ne peut plus travailler : dans une épreuve amère 6+6 a
Le Seigneur fit tomber ses membres engourdis. 6+6 a
Elle travaille et chante. — Oh ! va, Dieu te regarde, 6+6 b
Pauvre enfant ! et les chants ont fait de ta mansarde 6+6 b
Un nid joyeux et saint, un nouveau paradis. 6+6 a
55 Ton cœur ignore encor ce mal qui nous dévore, 6+6 a
Ce mal qu'on nomme amour, et que chacun adore. 6+6 a
Si ton front est rêveur, certes, ce n'est pas lui 6+6 a
Qui trouble tes instants et cause tes alarmes ; 6+6 b
A tes yeux si l'on voit se balancer deux larmes, 6+6 b
60 C'est que la mère, hélas ! a souffert aujourd'hui. 6+6 a
Non, non ; tu ne connais ni ses douleurs aiguës, 6+6 a
Ni ses nombreux accès de fièvres inconnues, 6+6 a
Ni son espoir d'un jour, qu'un autre jour détruit. 6+6 a
Non ; ton sommeil est calme et ton âme est sereine, 6+6 b
65 Par souffles mesurés s'échappe ton haleine. 6+6 b
Non ; — tu chantes le jour et tu rêves la nuit. 6+6 a
L'amour ? Et que t'importe à toi l'amour, pauvre ange ? 6+6 a
Ton cœur en possède un, un qui jamais ne change, 6+6 a
Un amour que du ciel Dieu bénit chaque jour ; 6+6 a
70 Tu le connais, enfant, car lui seul fait ta joie ; 6+6 b
Sur un être ado tout ton cœur le déploie : 6+6 b
N'est-ce pas que ta mère est ton unique amour ? 6+6 a
De ton ruban chéri la couleur virginale 6+6 a
Nous le dit à chacun. — Oh ! l'aube matinale 6+6 a
75 A moins de pureté, moins de calme profond 6+6 a
Que tes jours écoulés dans cette paix obscure, 6+6 b
Et par ton ruban blanc, angélique parure, 6+6 b
L'image de ton cœur se reflète à ton front. 6+6 a
Je vous l'ai déjà dit : sur sa chaise de paille, 6+6 a
80 Libre, dès le matin, elle chante et travaille. 6+6 a
Ses sens dorment encor ; les vives passions 6+6 a
Au cœur de cette enfant sont loin d'être germées. 6+6 b
Sa joie est dans sa mère, et ses fleurs bien aimées, 6+6 b
Dans son beau ruban blanc et ses jeunes chansons. 6+6 a
II
AMOUR
85 Ton front est inquiet, Ô Marie ! et ta mère 6+6 a
Ne t'a pas entendu répéter la prière 6+6 a
Qu'ensemble, à ton chevet, vous faisiez le matin. 6+6 a
Bien des fois de tes doigts ton aiguille est tombée ; 6+6 b
Vis-à-vis ton regard erre à la dérobée, 6+6 b
90 Et ton oiseau tout seul a chanté son refrain. 6+6 a
Qu'as-tu ? quelle langueur décolore ta joue 6+6 a
Et quel esprit malin de ton repos se joue ?… 6+6 a
Hier encor tu riais, libre comme à seize ans ; 6+6 a
Mais ta mère va mieux, tu dois être joyeuse. 6+6 b
95 Es-tu malade ?… Non ! — Ma jeune soucieuse, 6+6 b
Pourquoi ce front rêveur et ces yeux languissants ? 6+6 a
D'où naît ce changement ? Regarde en ta demeure : 6+6 a
Gaie et contente hier, maintenant tout y pleure. 6+6 a
Pourquoi, mon Dieu, pourquoi ce subit abandon ? 6+6 a
100 Tu rougis !… ma question te trouble et t'embarrasse. 6+6 b
Tu te sens donc coupable ? Oh ! réponds-nous, de grâce 6+6 b
Toujours le repentir amène le pardon ! 6+6 a
Tout auprès, vis-à-vis, dans une chambre étroite 6+6 a
Que l'été rend brûlante et l'hiver toute moite 6+6 a
105 D'humidité, depuis quinze jours environ 6+6 a
Habitait un jeune homme ; orphelin dès l'enfance, 6+6 b
Il n'avait pas connu sa mère ; à sa naissance, 6+6 b
Le signe du mépris avait meurtri son front ! 6+6 a
Un soir, de bonnes gens avaient sur une pierre 6+6 a
110 Amassé cet enfant qui pleurait ; car sa mère, 6+6 a
Qu'on ne revit jamais, l'avait abandonné. 6+6 a
Ils en eurent pitié ; ses pleurs les attendrirent. 6+6 b
Ce que n'avait point fait une mère, ils le firent : 6+6 b
Ils donnèrent leur pain à l'enfant nouveau-né. 6+6 a
115 Plus tard, lorsqu'il grandit, il dut gagner sa vie. 6+6 a
Bien des fois il jetait un long regard d'envie 6+6 a
Sur les autres enfants dont il voyait les jeux. 6+6 a
Oh ! qu'il aurait ai leur troupe fortunée ! 6+6 b
Mais, l'ouvrage était là, son pain de la journée, 6+6 b
120 Et l'enfant retournait au chantier, soucieux. 6+6 a
— Toujours seul ! disait-il, jamais une voix douce ; 6+6 a
Celui que je voudrais pour ami me repousse, 6+6 a
Et je vais dévorer mes larmes à l'écart. 6+6 a
Je n'ai pas deman pourtant, Seigneur, à naître 6+6 b
125 N'aurais-tu pas mieux fait de dérober à l'être 6+6 b
Le pauvre paria qu'on appelle bâtard !… 6+6 a
Louis — c'était son nom — voyait passer Marie ; 6+6 a
Il l'attendait le soir. C'était là de sa vie 6+6 a
Le seul bonheur, hélas ! — Marie, en souriant, 6+6 a
130 Lui donnait un bonsoir, lorsqu'elle entrait chez elle, 6+6 b
Et lui la contemplait : il la trouvait si belle, 6+6 b
Qu'il n'osait lui parler dans son ravissement ! 6+6 a
Mais il était toujours placé sur son passage. 6+6 a
Un regard bienveillant lui donnait du courage. 6+6 a
135 — Si tu voulais m'aimer, ange murmurait-il, 6+6 a
Mais si bas, que lui seul l'entendait dans son âme ; 6+6 b
Si tu voulais m'aimer, de celte foule infâme 6+6 b
Je braverais l'affront ! — Comme la fleur d'avril 6+6 a
Dégage doucement l'écorce de sa tige 6+6 a
140 Et vient ouvrir son sein à l'oiseau qui voltige ; 6+6 a
Comme elle, douce enfant, je l'ouvrirais mon cœur, 6+6 a
Fermé jusqu'aujourd'hui. — De ton amour la force 6+6 b
Saurait briser, crois-moi, sa grossière écorce 6+6 b
Et serait le soleil qui fait naître la fleur ! 6+6 a
145 Un jour, elle venait de rapporter l'ouvrage ; 6+6 a
Marie, en regardant, aperçut dans la cage 6+6 a
Un nouveau compagnon pour son oiseau chéri. 6+6 a
Deux ou trois jours avant, elle en fit la demande ; 6+6 b
Elle crut deviner de qui venait l'offrande. 6+6 b
150 Car cet oiseau portait son ruban favori. 6+6 a
— C'est toi, mère ! dit-elle. Oh ! je te remercie. 6+6 a
— Je ne te comprends pas ! Que me dis-tu, Marie ? 6+6 a
Dit la mère étonnée. Hélas ! depuis un mois, 6+6 a
Je n'ai pas, tu le sais, descendu dans la rue. 6+6 b
155 L'oiseau vient du voisin. — Ah ! fit Marie émue, 6+6 b
C'est le sien, car la cage est vide, lu le vois. 6+6 a
Le soir, lorsque Louis eut fini sa journée, 6+6 a
Marie, en rougissant (elle en fut étonnée), 6+6 a
Alla remercier son généreux voisin. 6+6 a
160 L'ouvrier, en l'écoutant, avait comme la fièvre. 6+6 b
Un mot : Oh ! je vous aime… ! échappa de sa lèvre, 6+6 b
Qui de la pauvre enfant vint effleurer la main. 6+6 a
Elle rêva la nuit !… Mais non plus ce beau songe 6+6 a
Dans lequel, chaque soir, le cœur en paix se plonge, 6+6 a
165 Car elle ne vit point le paradis et Dieu ! 6+6 a
Cet aveu de Louis, le songe le répète : 6+6 b
Rêveuse le matin, elle mit sur sa tète, 6+6 b
Au lieu du ruban blanc, un autre ruban bleu ! 6+6 a
III
ESPÉRANCE
— Un mois s'est écou depuis que, dans son âme, 6+6 a
170 Marie avait senti brûler une autre flamme 6+6 a
Et naître un autre amour qu'elle ignorait alors ; 6+6 a
Elle avait, à son tour, dit à Louis : Je t'aime ! 6+6 b
Oh ! qu'il était heureux ! Pour cet aveu suprême, 6+6 b
Il n'aurait pas voulu les plus riches trésors. 6+6 a
175 Chaque jour apportait des moments pleins de charmes, 6+6 a
Car leur amour encore ignorait les alarmes ; 6+6 a
Ils s'enivraient ensemble à leur félicité. 6+6 a
Le présent était tout. L'avenir, chose obscure, 6+6 b
Ne venait point troubler leur félicité pure, 6+6 b
180 Car ils n'y songeaient point dans leur tranquillité. 6+6 a
Peut-être ignorez-vous, ma charmante Lectrice 6+6 a
(Je ne vous blâme pas et je vous rends justice ; 6+6 a
Votre cœur est trop pur) ; peut-être ignorez-vous 6+6 a
Tous ces mille tourments que l'amour fait d'une ombre, 6+6 b
185 Ces boutades et puis tous ces accords sans nombre 6+6 b
Que suscite l'amour pour peu qu'on soit jaloux. 6+6 a
C'était ainsi chez eux ; d'accord, brouillés encore ; 6+6 a
Et plus on est brouillé, mieux après on s'adore : 6+6 a
C'est la règle en amour, point d'uniformité ; 6+6 a
190 Un plaisir qu'on acquiert sans désirs est bien fade. 6+6 b
Mais je vous vois rougir de ma sotte incartade ; 6+6 b
Veuillez me pardonner cette immoralité… 6+6 a
L'ivresse de Louis ne peut pas se décrire. 6+6 a
Il avait igno jusqu'alors qu'un sourire, 6+6 a
195 Un mot, un seul regard, c'était là du bonheur. 6+6 a
— Oh ! merci ! disait-il, merci pour ta tendresse 6+6 b
Car elle a de mon cœur dissipé la tristesse 6+6 b
Et le nuage obscur qui pesait sur mon cœur. 6+6 a
Au seul bruit de ta voix, j'ai senti fuir le doute, 6+6 a
200 Et, prêt à succomber,' j'ai poursuivi ma route ; 6+6 a
Car, seul, abandonné, moi je voulais mourir. 6+6 a
Chacun me repoussait ; maintenant je veux vivre. 6+6 b
Tu m'aimes ! n'est-ce pas ? Oh ! ton amour m'enivre ; 6+6 b
J'ai vécu de douleur, je mourrai de plaisir !…. 6+6 a
205 En écoutant ces mots, Marie était heureuse. 6+6 a
Ils se voyaient une heure, heure délicieuse. 6+6 a
La mère ne prenait point garde à cet amour. 6+6 a
Vous savez… la vieillesse est toujours confiante ; 6+6 b
Et puis, ils parlaient d'elle, et leur flamme innocente 6+6 b
210 Lui promettait aussi bien du bonheur un jour. 6+6 a
— Louis, tu l'aimeras ? disait alors Marie. 6+6 a
— Je n'ai jamais connu de mère dans ma vie : 6+6 a
Elle m'en tiendra lieu… Tu vois je l'aimerai. 6+6 a
— Nous aurons bien soin d'elle. Oh ! c'est qu'elle est si bonne ! 6+6 b
215 Nous n'aurons pas besoin, pour vivre, de personne : 6+6 b
Toi, tu travailleras ; moi, je la soignerai. 6+6 a
Hélas ! un jour, Louis rentra triste ; — des larmes 6+6 a
S'échappaient de ses yeux. — Quelles sont tes alarmes ? 6+6 a
Dit Marie effrayée. — Il faut partir demain ! 6+6 a
220 Répondit le jeune homme — Eh ! pourquoi donc ? — L'armée 6+6 b
Me réclame. — Soldat ! fit Marie accablée…. 6+6 b
Et son front abattu s'inclina sur sa main. 6+6 a
Il partit… Et Marie, en comptant les journées 6+6 a
Attendait son retour. Il fallait sept années 6+6 a
225 Avant qu'il ne revînt au pays. C'était long ! 6+6 a
Et nous vivions alors dans ces jours où la guerre 6+6 b
Du bruit de ses canons épouvantait la terre, 6+6 b
Où les rois pâlissaient devant Napoléon. 6+6 a
Elle attendait toujours et prenait du courage ; 6+6 a
230 Un bruit dans l'escalier suspendait son ouvrage, 6+6 a
Elle y courait alors. — Mon Dieu ! ce n'est pas lui ! 6+6 a
Disait, en remontant, la pauvre jeune fille. 6+6 b
Puis elle murmurait,en reprenant l'aiguille : — 6+6 b
Je crois que.cela fait juste un an aujourd'hui. 6+6 a
235 Elle continuait : — Je veux être jolie, 6+6 a
Je veux qu'à son retour il me trouve embellie. 6+6 a
Si Louis aujourd'hui, mon Dieu, pouvait me voir 6+6 a
Comme il serait content ! Je suis encor plus belle 6+6 b
Chaque minute, aussi, toujours la trouvait-elle 6+6 b
240 Consultant le reflet de son petit miroir. 6+6 a
Il sera général à son retour, peut-être ! 6+6 a
Disait la pauvre enfant courant à la fenêtre, 6+6 a
En écoutant un bruit qu'on entendait dehors. 6+6 a
Il sera général ! Comme je serai fière ! 6+6 b
245 Elle attendait toujours sans savoir, pauvre ouvrière, 6+6 b
Que la gloire souvent n'escorte que les morts. 6+6 a
Enfin, elle attendait, tantôt triste ou joyeuse, 6+6 a
Gaie ou sombre aujourd'hui, demain triste ou rieuse. 6+6 a
Le seuil de sa mansarde était toujours ouvert, 6+6 a
250 Comme on fait pour quelqu'un qu'on attend à toute heure » 6+6 b
Ses yeux semblaient chercher l'absent clans sa demeure, 6+6 b
Et dans ses cheveux blonds brillait un ruban vert. 6+6 a
IV
DEUIL
Le clairon a sonné… tout s'émeut et tout tremble. 6+6 a
On dirait un seul homme à voir tout cet ensemble 6+6 a
255 De mille bataillons marchant à rangs serrés… 6+6 a
Le silence est partout. L'heure d'une bataille 6+6 b
Répand un morne effroi. Mais bientôt la mitraille 6+6 b
Dissipe la terreur de ces fronts assurés. 6+6 a
Ils vaincront ou mourront ! En avant !… La victoire 6+6 a
260 Leur est promise à tous. Ils couvriront de gloire 6+6 a
Et d'immortali leurs drapeaux triomphants. 6+6 a
D'où leur vient donc ainsi celte noble assurance ? 6+6 b
Qui les guide ? Un génie a fait, par sa présence, 6+6 b
Passer d'un seul coup d'œil la victoire en leurs rangs. 6+6 a
265 Un seul coup d'œil, un geste, un signe, une parole, 6+6 a
Celle qui fit franchir d'un bond le pont d'Arcole ; 6+6 a
Car ce génie était le vainqueur d'Austerlitz ! 6+6 a
C'était Napoléon ! qui, ravageant la terre, 6+6 b
Dans ses vastes desseins avait rêvé de faire 6+6 b
270 Des couronnes des rois des jouets pour son fils. 6+6 a
En avant ! en avant ! la fanfare résonne. 6+6 a
Par cent bouches d'airain la mort s'élance et tonne, 6+6 a
Et le champ de bataille est jonché de mourants. 6+6 a
En avant ! vieux soldat, quelles sont donc tes craintes ? 6+6 b
275 N'entends-tu pas ces cris de victoire et de plaintes, 6+6 b
Cet horrible concert que font des combattants ? 6+6 a
Napoléon est là ; son regard, regard d'aigle, 6+6 a
Mesure tous les plans ; il court, il vient, il règle 6+6 a
Les chances du succès. Il a vu ta valeur, 6+6 a
280 Il te fait signe ; approche ! et que ton front s'incline. 6+6 b
Pour payer ton courage, il va, sur la poitrine, 6+6 b
Faire luire, soldat, l'étoile de l'honneur. 6+6 a
Va te faire tuer, maintenant, que t'importe ! 6+6 a
Tu jetteras encor, d'une voix assez forte, 6+6 a
285 Un cri d'enthousiasme, et vive l'Empereur ! 6+6 a
Mais les rangs ennemis faiblissent et s'affaissent ; 6+6 b
Leurs derniers bataillons devant vous disparaissent ; 6+6 b
Napoléon encor se promène vainqueur ! 6+6 a
Mais que de morts, mon Dieu ! dorment dans la poussière 6+6 a
290 Qui pourrait les compter ? Leurs corps couvrent la terre ; 6+6 a
A l'appel du clairon ils ne répondront plus. 6+6 a
Un lourd sommeil de plomb pèse sur leur paupière ; 6+6 b
Ils ne reverront plus leurs parents, leur chaumière 6+6 b
Où depuis si longtemps ils étaient attendus !… 6+6 a
295 Retournons maintenant à la pauvre Marie. 6+6 a
Que fait-elle ? Elle attend, elle croit, elle prie. 6+6 a
Un noir pressentiment attriste son amour ; 6+6 a
— Oh ! s'il était tué ! — se disait-elle émue. 6+6 b
Un jour, elle descend, en courant, dans la rue : 6+6 b
300 Elle avait entendu comme un bruit de tambour. 6+6 a
Un régiment passait. — C'est le sien !… cria-t-elle. — 6+6 a
Il revient donc, enfin ! Et puis elle chancelle, 6+6 a
Car Louis n'était pas parmi tous ces soldats. 6+6 a
Elle s'informe, alors, elle demande et pleure. 6+6 b
305 Avez-vous vu Louis ? Pourquoi donc à cette heure 6+6 b
N'est-il pas' avec vous ? — On ne répondait pas. 6+6 a
— Parlez, dites un mot ; j'étais sa sœur chérie, 6+6 a
Sa compagne, son bien, le bonheur de sa vie. 6+6 a
Vous voulez m'effrayer, Messieurs, vous avez tort 6+6 a
310 Tenez, je ris ; parlez, déjà l'heure s'écoule ; 6+6 b
Pourquoi retardez-vous mon bonheur ? — De la foule 6+6 b
Une voix s'échappa, disant : — Louis est mort !… 6+6 a
— Mort !!… — Ce cri de l'enfant fut la seule parole, 6+6 a
Et puis elle tomba pour se relever folle. 6+6 a
315 Lorsque de sa mansarde elle prit le chemin, 6+6 a
Ses yeux étaient hagards ; pas une plainte amère 6+6 b
Ne sortait de sa bouche ; elle embrassa sa mère 6+6 b
Qui, quelques jours après, expirait de chagrin ! 6+6 a
Oh ! comme tout était changé dans la mansarde ! 6+6 a
320 Plus de chant, plus d'ouvrage, et la lueur blafarde 6+6 a
D'une lampe éclairait tout ce morne abandon. 6+6 a
Les voisins, par pitié, secouraient la misère 6+6 b
De Marie, accroupie au foyer solitaire, 6+6 b
Et qui semblait n'avoir retenu qu'un seul nom. 6+6 a
325 La nuit, on l'entendait parfois à sa fenêtre 6+6 a
Pousser un long éclat de rire. — Il va paraître ! 6+6 a
Criait-elle aux passants… Il revient aujourd'hui !… 6+6 a
Parfois, elle arrêtait un soldat au passage ; 6+6 b
Elle le regardait en dessous du visage, 6+6 b
330 Puis, le laissait aller, disant : — Ce n'est pas lui. 6+6 a
Elle avait enlevé, dans un moment lucide, 6+6 a
Son ruban vert, hélas ! de tant de pleurs humide 6+6 a
A quoi bon désormais l'emblème de l'espoir ! 6+6 a
Seulement et parfois, aux jeunes amoureuses, 6+6 b
335 De leur bonheur présent si fières, si joyeuses, 6+6 b
Elle montrait un ruban noir !!! 8 a
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