Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DSA_1/DSA8
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
VII
A L'OPÉRA
Dans le monde élégant toujours on admira 6+6 a
Cet hémicycle immense appelé l'Opéra ; 6+6 a
Ses cintres en ogive, arcades magistrales, 6+6 b
L'azur de son plafond, le velours de ses stalles, 6+6 b
5 Son imposant rideau, son lustre sans pareil 6+6 a
Qui, suspendu dans l'air, plane comme un soleil ; 6+6 a
Ce mélange imposant d'or, de riches tentures, 6+6 b
De bas-reliefs exquis, de charmantes peintures. 6+6 b
C'est le temple du goût, temple délicieux 6+6 a
10 Où tout est satisfait, le cœur, l'esprit, les yeux. 6+6 a
Quel Français, exi de sa chère patrie, 6+6 b
N'a pas vers l'Opéra porté sa rêverie ; 6+6 b
Et pour tromper l'ennui, ce compagnon mortel, 6+6 a
Redit les Huguenots, Robert, Guillaume Tell ? 6+6 a
15 Les chefs-d'œuvre de l'art n'ont pas un but frivole ; 6+6 b
Ils nous rendent meilleurs, leur souvenir console ; 6+6 b
Ils parlent du passé pour nous le faire aimer, 6+6 a
Et parfois leur rayon revient nous ranimer. 6+6 a
Que de solennités dont j'ai gardé mémoire ! 6+6 b
20 Que d'artistes perdus dans leur brume de gloire ! 6+6 b
Nourrit et Damoreau, Duprez, Falcon, Dorus, 6+6 a
Beaux talents tour à tour éclatants, disparus ; 6+6 a
Taglioni, l'oiseau qui volait en cadence, 6+6 b
Chaste apparition, vestale de la danse. 6+6 b
25 C'est bien loin — et c'est près pour qui sait ressaisir 6+6 a
L'ancienne émotion et le premier plaisir. 6+6 a
La génération — qui maintenant s'efface 6+6 b
— Joyeuse, contemplait l'avenir face à face ; 6+6 b
La poésie avait des sourires pour nous ; 6+6 a
30 L'air que nous respirions était suave et doux ; 6+6 a
Dans les arts rajeunis, dans la littérature. 6+6 b
Nous cherchions le secret, le sens de la nature ; 6+6 b
On discourait alors de Mozart, Rossini, 6+6 a
Donizetti, Weber, Beethoven, Bellini, 6+6 a
35 D'Ingres et Delacroix, Decamps et Delaroche, 6+6 b
Puis de nos écrivains… Et soit dit sans reproche, 6+6 b
Nous n'étions pas alors inondés de tribuns 6+6 a
Qui vont semant partout leurs pompeux lieux-communs ; 6+6 a
Ardélions courant jeter, de salle en salle, 6+6 b
40 Leurs cris d'égali, réforme sociale. 6+6 b
Humani, synthèse et tant d'autres mots creux, 6+6 a
Ridicules parfois, plus souvent dangereux. 6+6 a
Au travail, au plaisir la vie. était bornée ; 6+6 b
Et l'on n'avait pas vu, tempête déche, 6+6 b
45 Le peuple, qui détruit partout sur son chemin, 6+6 a
Éclairer sa victoire, une torche à la main, 6+6 a
Aux chefs-d'œuvre de l'art étendre sa vengeance 6+6 b
Et parmi les trésors apporter l'indigence. 6+6 b
Qui pourrait, en levant les masques libéraux, 6+6 a
50 Dans le camp des partis trouver bien des héros ? 6+6 a
Tristes républicains, auxquels Lacédémone 6+6 b
N'eût pas de son mépris daigné faire l'aumône ! 6+6 b
Ils ont, comme à plaisir, tout détruit autour d'eux 6+6 a
Pour se vautrer, le soir, dans des plaisirs hideux ; 6+6 a
55 Ils ont outragé tout,oubliant que l'Histoire 6+6 b
Demanderait un jour raison à leur mémoire. 6+6 b
La liberté n'était que leur drapeau menteur, 6+6 a
Et le peuple, en leurs mains, un levier destructeur, 6+6 a
Jamais impunément on n'agite la boue ; 6+6 b
60 En miasmes s'épand la fange qu'on secoue 6+6 b
Que faire des débris d'un ordre social, 6+6 a
Et quel bien récolter lorsqu'on sème le mal ? 6+6 a
Orgueil, ambition et soif de jouissance, 6+6 b
Désir immodé de luxe et de puissance, 6+6 b
65 Des grands Carbonari c'est le petit secret : 6+6 a
Ces ennemis des rois ont pour roi l'intérêt. 6+6 a
Orgueil, ambition ! double mot d'une époque 6+6 b
Où domine l'envie, au regard équivoque ; 6+6 b
Où chacun sans travail, sans efforts, sans savoir, 6+6 a
70 Aspire à tout connaître et même à tout avoir ; 6+6 a
Où l'on voit se ruer la tourbe populaire 6+6 b
Vers des biens qu'à grands cris réclame sa colère ; 6+6 b
Et plus d'un invoquer, comme bon citoyen, 6+6 a
Le droit de s'engraisser en ne faisant plus rien. 6+6 a
75 Tel que le flot poussé par le vent de l'orage 6+6 b
Hors du lit de la mer, aux sables du rivage : 6+6 b
Ainsi, loin de rester dans son humble berceau, 6+6 a
Le peuple s'est porté vers l'horizon nouveau, 6+6 a
Sans penser,-pauvre dupe en proie aux faux apôtres,— 6+6 b
80 Qu'il manquait son vrai but en en poursuivant d'autres. 6+6 b
On s'ennuie à présent de son obscurité ; 6+6 a
Nul n'accepte l'état où les siens ont été ; 6+6 a
A peine a-t-on je ses regards sur un livre, 6+6 b
Que dans la haute sphère on voudrait déjà vivre 6+6 b
85 Et pas un paysan dont le fils n'ait son 6+6 a
Qu'il fera son chemin s'il est bien protégé. 6+6 a
De là vient le chaos où se mêlent les classes, 6+6 b
Et le débordement de ces coureurs de places 6+6 b
Qui, dédaigneux des champs qu'ils eussent labourés, 6+6 a
90 Des faveurs du Pouvoir se montrent altérés. 6+6 a
La maison paternelle, une sphère modeste 6+6 b
Est comme un lieu d'exil où personne ne reste 6+6 b
Et méprisant le sort que l'on pouvait tenir, 6+6 a
On poursuit au hasard un rêve d'avenir. 6+6 a
95 Sur un pareil sujet trop de bile s'allume : 6+6 b
Je reprends mon récit et laisse aller ma plume. 6+6 b
De Cercourt, la comtesse et le baron Arthur 6+6 a
Sont dans leur loge. Assis au fond d'un angle obscur, 6+6 a
Le comte — que le ciel fit très-peu dilettante 6+6 b
100 — S'étale et clôt ses yeux. Morphée à son attente 6+6 b
Répond ; le vieillard dort si bien que le fracas 6+6 a
Du tonnerre grondant ne l'éveillerait pas. 6+6 a
Quel moment pour Arthur ! Ils sont tous deux ensemble, 6+6 b
Isolés dans la foule. Il frémit… elle tremble 6+6 b
105 Le jeune homme jamais n'a mis dans son regard 6+6 a
Autant de passion mariée à plus d'art. 6+6 a
C'est la première fois qu'il est seul auprès d'elle 6+6 b
Depuis l'aveu… Firmin la tenait sous son aile ; 6+6 b
Et Firmin, par le duc à dîner retenu, 6+6 a
110 Sans doute malgré lui n'est pas encor venu ! 6+6 a
Le baron veut parler… mais un geste l'arrête ; 6+6 b
Vers le comte Amélie a retourné la tête : 6+6 b
Il dort plus que jamais.
« — O Madame, daignez… » 6+6 a
Mais elle : — « N'est-ce pas lady Star ?
— Non.
— Lorgnez. 6+6 a
Elle entre dans sa loge.
115 — Oui, je crois que c'est elle. 6+6 b
Elle est sans diamants et n'en est que plus belle. 6+6 b
— C'est vrai, tout comme vous, Madame.
— Des fadeurs ! 6+6 a
— O ciel !
— Je vois là-bas de Guenille et ses sœurs. 6+6 a
Trio charmant.
— Sans doute…
— Ah ! la loge infernale 6+6 b
120 Se garnit. Admirez ! Monsieur Lautour étale 6+6 b
Un dahlia tout frais… Que de séduction ! 6+6 a
Un bouquet de rosière et le cœur d'un lion. 6+6 a
Le marquis de Courchamp qui s'est fait douairière, 6+6 b
Roqueplan-Figaro sont assis par derrière. 6+6 b
125 Voici Monsieur de Boigne au sourire d'enfant ; 6+6 a
Et Monsieur Castilblaze, écrivain triomphant : 6+6 a
Car pour payer sa muse allemande et très-vague, 6+6 b
On le fait diplomate… Il part pour Copenhague. 6+6 b
— Vraiment je suis surpris… Vous connaissez si bien 6+6 a
Tout ce monde !…
130 — A Paris, peut-on ignorer rien ? 6+6 a
Avec étonnement devriez-vous m'entendre ? 6+6 b
— Non… C'est pour étouffer un langage plus tendre 6+6 b
Que vous parlez ainsi ; je vous comprends, hélas ! 6+6 a
Vous pouvez rire, vous, quand je souffre tout bas, 6+6 a
135 — De grâce, laissez là ce langage. — Madame, 6+6 b
Dites-moi de vous fuir et d'étouffer mon âme. 6+6 b
— Que de monde ce soir !
— Je suis bien malheureux… 6+6 a
Vous me désespérez.
— Taisez-vous, je le veux. 6+6 a
Vous êtes un enfant.
— Et vous, une coquette ! » 6+6 b
140 La comtesse rougit, elle devint muette ; 6+6 b
Et sous son éventail elle cacha son front. 6+6 a
Arthur joignit les mains ; ce mouvement fut prompt ;— 6+6 a
Mais il n'échappa point à la belle comtesse, 6+6 b
Qui ne put retenir un regard de tendresse. 6+6 b
145 Tout cela ne dura qu'un éclair, — c'est assez. 6+6 a
Le baron se pencha, tenant les yeux baissés ; 6+6 a
Puis il dit lentement :
« — A vous mon sang, ma vie 6+6 b
Gardez pour vous la paix que vous m'avez ravie. 6+6 b
Il faut que je m'éloigne… Il le faut ! Dès demain 6+6 a
150 Je me détournerai de votre droit chemin. 6+6 a
Partir, partir, hélas !… Mais j'aurai ce courage ! 6+6 b
A vous le calme, à moi la fatigue et l'orage. 6+6 b
Vous êtes offensée et vous me détestez… 6+6 a
Se peut-il ! Je dois donc vous dire adieu.
— Restez ! » 6+6 a
155 Murmura la comtesse ; et dans sa voix éteinte 6+6 b
Ainsi que la pudeur la tendresse était peinte. 6+6 b
Par un cri de bonheur Rozemon répondit. 6+6 a
Le comte réveillé brusquement, étendit 6+6 a
Les deux bras en disant : — « A-t-on fini la pièce ? 6+6 b
160 On va la commencer. Madame la comtesse 6+6 b
Se fait un vrai plaisir d'entendre encor Robert, 6+6 a
— Que vous êtes heureux ! Moi, spectacle, concert, 6+6 a
Tout cela me paraît un ennuyeux tapage. 6+6 b
— Quoi ! vous ne gtez pas cet admirable ouvrage ? 6+6 b
165 — De mon temps, mes amis, le genre était meilleur, 6+6 a
Quand on jouait Joconde et le Nouveau Seigneur. 6+6 a
Elleviou valait Duprez, quoi qu'on en die ; 6+6 b
On avait moins de cuivre et plus de mélodie. 6+6 b
Allons, vous êtes bien de ces rudes censeurs 6+6 a
170 Pour qui le temps présent n'a jamais de douceurs. 6+6 a
— Votre progrès van n'a rien qui me séduise. 6+6 b
J'abaisse volontiers ce que l'on divinise. 6+6 b
Avez-vous une fois écouté l'opéra 6+6 a
Qu'on va jouer ce soir ?
— Non certe ; il m'inspira 6+6 a
175 Toujours un tel besoin de dormir, qu'il me semble 6+6 b
Valoir le népenthès et l'opium ensemble. » 6+6 b
On joua l'ouverture ; et Monsieur de Cercourt 6+6 a
Ne se rendormit pas, pour faire un peu sa cour 6+6 a
A la comtesse. Arthur dit, à la fin de l'acte 6+6 b
« — Comment trouvez-vous ça ?
180 — Je n'y trouve qu'un pacte 6+6 b
Entre un drôle et le diable… Et c'est un bacchanal 6+6 a
Qu'on a fait discordant pour le rendre infernal. » 6+6 a
Tandis que la comtesse opposait un éloge 6+6 b
A la vive censure, on vit s'ouvrir la loge : 6+6 b
Le duc et Paul Firmin parurent.
185 « — Eh ! bonsoir, 6+6 a
Mes amis, dit le duc.
— Quel plaisir de vous voir, 6+6 a
Mon cher duc ! répondit le général.
— Madame, 6+6 b
Étiez-vous au lever du rideau ?
— Chez ma femme, 6+6 b
Robert est plus qu'un goût. Vous le savez bien.
— Oui, 6+6 a
190 Je le sais, dit le duc. Après tout, aujourd'hui 6+6 a
Cette passion-là semble justifiée : 6+6 b
Depuis près de dix ans l'œuvre est déifiée. 6+6 b
Firmin trouve à Robert sans doute autant d'attrait : 6+6 a
Car de venir si tard il avait un regret… » 6+6 a
195 Un sourire malin escortait cette phrase. 6+6 b
Paul s'inclina.
Le duc reprit avec emphase : 6+6 b
« — Que vous êtes heureux, messieurs les jeunes gens ! 6+6 a
La passion vous guide, et quoiqu'un peu changeants, 6+6 a
Pour tout ce qui vous plaît votre ardeur est la même : 6+6 b
200 Rien ne fixe vos goûts, mais il faut qu'on vous aime ; 6+6 b
Et quand vous chevauchez en pays inconnu, 6+6 a
Vous arrivez, le cœur par l'espoir soutenu. 6+6 a
Dites, monsieur Arthur, si ce tableau fidèle 6+6 b
N'a pas l'air d'être exprès tracé d'après modèle. » 6+6 b
205 Un regard du baron rencontra les beaux yeux 6+6 a
De la comtesse. Paul en devint soucieux. 6+6 a
« — Vous avez, dit Arthur, un talent de poëte ; 6+6 b
Mais de la vraisemblance êtes-vous l'interprète 6+6 b
Quand vous parlez ainsi ? L'on nous croit inconstants : 6+6 a
210 Ce n'est pas nous qu'il faut accuser, mais le temps ; 6+6 a
Le temps, cet ennemi de tout ce qui respire, 6+6 b
Qui tantôt prend un homme et tantôt un empire. 6+6 b
Il fait l'es changements qui nous sont reprochés… 6+6 a
C'est la loi du plus fort.
— Ah ! vous vous retranchez 6+6 a
215 Assez habilement sous un rempart solide, 6+6 b
Dit le duc ; pour ma part, lorsque j'étais sans ride, 6+6 b
Peut-être ai-je tenu ce langage. Aujourd'hui 6+6 a
Je ménage le temps, car j'ai besoin de lui. 6+6 a
Mais laissant ce sujet permettez que j'indique 6+6 b
220 A votre attention… — car c'est vraiment unique 6+6 b
— La princesse d'Elburg et son beau sigisbé, 6+6 a
Paré, musqué, coquet, rose comme un abbé. 6+6 a
Quels tourtereaux ! voyez ces échanges d'œillade, 6+6 b
Ces gestes mesurés… Que c'est comique et fade ! 6+6 b
Qu'en pensez-vous, baron ?
225 — Eh ! mon Dieu, tous les jours, 6+6 a
Dit Arthur, notre monde offre de ces amours. 6+6 a
— Vous êtes indulgent !
— Pourquoi faire l'Alceste ? 6+6 b
La censure n'est pas le fait d'un cœur modeste. 6+6 b
— Et vous, mon cher Firmin ? dit le duc.
— Je ne sais 6+6 a
230 Que blâmer hautement de semblables excès. 6+6 a
Notre société, trop fertile en scandale, 6+6 b
Se perdra pour avoir outragé la morale. 6+6 b
Oui, poursuivit Firmin articulant ses mots, 6+6 a
L'indulgence du monde a produit de grands maux. 6+6 a
235 On accepte l'erreur, à la voir élégante ; 6+6 b
Sur de brillants dehors vit l'espèce intrigante 6+6 b
Qui s'insinue auprès des femmes en flattant. 6+6 a
Sans être Alceste, moi, cela m'indigne tant, 6+6 a
Que je ne puis cacher le courroux qui m'anime 6+6 b
240 A l'aspect de ces gens qui semblent fiers d'un crime. 6+6 b
— Quelle sévérité ! reprit Arthur.
— Eh bien ! 6+6 a
Demanda de Cercourt, que dit le mari ?
— Rien, 6+6 a
Répondit de Surville, Il passe ses soies 6+6 b
Au Jockey-Club. Chez lui l'on a grandes entrées. 6+6 b
245 — Vraiment, c'est fort commode, et voilà, sur ma foi, 6+6 a
Le plus facile époux.On commence, je croi, » 6+6 a
Dit Arthur, désireux d'abréger un chapitre 6+6 b
Où son nom paraissait indiqué sur le titre. 6+6 b
Après l'acte, on alla deviser au foyer, 6+6 a
250 Ce salon de Paris, cet immense atelier 6+6 a
De fables, de bons mots, d'anecdotes joyeuses ; 6+6 b
Le foyer, rendez-vous où les langues railleuses 6+6 b
Échangent à plaisir, sur le compte d'autrui, 6+6 a
De frivoles propos qui trop souvent ont nui. 6+6 a
255 Là vont s'alimenter, ainsi que des vipères 6+6 b
Que le besoin du mal chasse de leurs repaires, 6+6 b
Ces journaux au venin dangereux et caché, 6+6 a
Qui mordent le talent s'il refuse un marché, 6+6 a
Accablant la vertu de tant de calomnie, 6+6 b
260 Qu'ils font de sa grandeur douter jusqu'au génie ; 6+6 b
Ateliers d'imposture et de méchanceté, 6+6 a
Où le reptile obscur travaille en sûreté ; 6+6 a
Sales égouts, remplis d'odieux immondices, 6+6 b
Et d'où s'exhale au loin comme une odeur de vices, 6+6 b
265 Là de vieux colonels, lovelaces goutteux, 6+6 a
Ont avec le ballet un commerce honteux, 6+6 a
Trop contents d'acheter des baisers de danseuse 6+6 b
Oublieux de la Mort et de sa main osseuse 6+6 b
Qui, s'étendant vers eux, les avertit en vain 6+6 a
270 Que la lie est au fond de l'amour et du vin. 6+6 a
De graves députés discourent à voix basse 6+6 b
Et cultivent entre eux l'art de prendre une place. 6+6 b
Rothschild passe, entou des héros du report : 6+6 a
L'orgueil des millions est marqué dans son port. 6+6 a
275 Meyerbeer cachant bien, pour que nul ne l'y prenne, 6+6 b
Sous le flegme allemand l'ardeur italienne ; 6+6 b
Caraffa, lazzarone endormi loin du but 6+6 a
Sur son Mazaniello, magnifique début ; 6+6 a
Auber, qui de Vernet copiant les allures, 6+6 b
280 Fait ses partitions comme lui ses peintures, 6+6 b
Achevai ; puis, près d'eux, l'habile Spontini 6+6 a
Qui chanta la Vestale, et se fit un bon nid 6+6 a
Dans la tombe où descend la pauvre jeune fille ; 6+6 b
Halévy, Clapisson, Adam, cette famille 6+6 b
285 Des maëstri du jour, réunie en un coin, 6+6 a
Discute de son art, et cela mène loin. 6+6 a
Revenons simplement à nos héros. Surville 6+6 b
A pris le bras de Paul ; et la cour et la ville 6+6 b
Sont par lui tour à tour critiqués sans égards, 6+6 a
290 Quand un rassemblement attire ses regards. 6+6 a
« — Qu'est-ce que ces gens-là qui font tant de tapage ? 6+6 b
En connaissez-vous un ? Quel étrange assemblage ! 6+6 b
Dit le duc.
— Vraiment oui, je les connais fort bien. 6+6 a
— Je suis sur que d'eux tous le meilleur ne vaut rien. 6+6 a
295 — Eh ! mon Dieu ! la plupart sont des êtres frivoles ; 6+6 b
Mais leurs plus grands péchés se passent en paroles. 6+6 b
Ils m'ont vu !
— Je m'en vais…
— De grâce.
— A quelques pas. 6+6 a
J'observe ces gens-là, mais ne leur parle pas. » 6+6 a
Bardoche, Fortunat, Forbain et Saint-Makaire 6+6 b
300 Discutaient, prodiguant des gestes en équerre. 6+6 b
Bardoche tout joyeux s'écria :
« — Paul Firmin ! 6+6 a
Quel bienheureux hasard ! »
Chacun tendit la main 6+6 a
Au poëte, et chacun de dire : « — Quel miracle ! 6+6 b
Notre mystérieux sort de son tabernacle ! » 6+6 b
305 Paul Firmin leur rendit ce salut amical. 6+6 a
« — Comment va votre muse ?
— Elle ne va pas mal, 6+6 a
Mon cher Forbain ; j'ai soin de la laisser tranquille. 6+6 b
— Quoi ! n'écrivez-vous plus ?
Un labeur inutile. 6+6 b
Assez d'autres sans moi fatiguent leur cerveau ; 6+6 a
On a tout dit.
310 Il est encore du nouveau, 6+6 a
Objecta Saint-Makaire.
— Oh ! oui, des vaudevilles ! 6+6 b
— Pourquoi pas ? L'avenir réserve ses Clairvilles. 6+6 b
Scribe vieillit ; Bayard, Dupin et Beaumanoir 6+6 a
Seront-ils éternels ?
— Saint-Makaire a l'espoir 6+6 a
315 D'être le fournisseur de nos petits théâtres. 6+6 b
— Sans doute. Je suis fort dans les sujets folâtres ; 6+6 b
J'ai bien de la grisette étudié le chic ; 6+6 a
Le patois campagnard et le jargon loustic 6+6 a
Me sont connus… Je puis arriver comme un autre. 6+6 b
320 Avec les ignorés je fais le bon apôtre : 6+6 b
Ils n'ont pas le métier, ils ont l'invention ; 6+6 a
Je fournis la ficelle, ils donnent l'action. 6+6 a
— Et c'est votre nom seul qui paraît sur l'affiche ? 6+6 b
Dit Firmin indigné.
— Croyez-vous que je triche ? 6+6 b
325 Répondit aigrement Saint-Makaire ; j'entends 6+6 a
Les bénédictions des jeunes débutants, 6+6 a
Quand ils ont tiers de part. Une route commune 6+6 b
Peut nous conduire ensemble un jour à la fortune. 6+6 b
Lorsque je tiendrai bien quelque théâtre, à moi 6+6 a
330 Toute la place ; et rien qui soit hors de ma loi ! 6+6 a
Pas une pièce admise où je n'aie une prime : 6+6 b
Les commençants… bannis, s'ils n'acquittent la dîme. 6+6 b
Et vous ne savez pas, vous autres grands niais, 6+6 a
Comme à ce métier-là bientôt j'engraisserais. 6+6 a
335 Le mérite n'est plus qu'un objet de surtaxe ; 6+6 b
Plus d'un vaudevilliste ignore la syntaxe 6+6 b
Mais dans l'art de pousser les ouvrages d'autrui, 6+6 a
En y mettant son nom, plus d'un brille aujourd'hui. 6+6 a
Il faut au directeur s'accrocher sans relâche, 6+6 b
340 Être une ombre pour lui, quand bien même il se fâche, 6+6 b
Et tant le fatiguer, qu'il vous signe un trai 6+6 a
Par lequel tout rival soit, de droit, écarté. 6+6 a
— Racine, dit Firmin, eut pour soutien Molière. 6+6 b
— Bah ! bah ! l'on n'ouvre plus de porte hospitalière. 6+6 b
345 Aujourd'hui, qu'on se pousse en courant et parlant, 6+6 a
C'est un très-grand malheur que d'avoir du talent. 6+6 a
Plus d'un artiste meurt sur le champ qu'il défriche : 6+6 b
Mais Duflonflon prospère et Deladague est riche. 6+6 b
Le théâtre peut être une poule aux œufs d'or : 6+6 a
350 Je connais le secret, et j'aurai le trésor ! 6+6 a
— Bravo ! mon cher ami, dit Forbain ; moi j'enrage 6+6 b
D'avoir pris le scalpel : il est rare, à mon âge, 6+6 b
Qu'on devienne célèbre, et dans l'art de guérir 6+6 a
L'Esculape en jnant risque fort de mourir. 6+6 a
355 Aussi j'ai mis ailleurs toute mon espérance. 6+6 b
Ah ! vive Fortunat pour l'audace et la chance ! 6+6 b
Il est vrai, s'écria celui-ci radieux, 6+6 a
Sur un meilleur métier j'ai su jeter les yeux : 6+6 a
Ma commandite marche avec tant de vitesse, 6+6 b
360 Que deux cent mille francs sont déjà dans ma caisse. 6+6 b
— Quoi ! cette somme immeimmense
— Et j'attends avant peu 6+6 a
Cent mille francs encore, ou nous verrons beau jeu. 6+6 a
Mes brillants prospectus ont eu, grâce à ma veine, 6+6 b
Pour le capitaliste une voix de sirène. 6+6 b
365 Enfin, que donnez-vous pour prix du capital ? 6+6 a
— Le moyen d'en finir avec cet animal, 6+6 a
Plus nuisible cent fois que le ver solitaire, 6+6 b
Avec le hanneton ou le coléoptère, 6+6 b
Ainsi qu'il vous plaira.
— Bizarre invention ! 6+6 a
370 — N'est-ce rien, cher Firmin, que la destruction 6+6 a
D'insectes dévorants qui vont rongeant sans cesse ? 6+6 b
— Et l'on compte sur vous pour extirper l'espèce ! 6+6 b
— Oui !
— C'est trop fort !
Allons, voilà bien mon censeur ! 6+6 a
— Fortunat, mon ami, vous êtes un farceur. 6+6 a
375 — Paul, respectez un peu mon rang, mon caractère ; 6+6 b
Et ne l'oubliez pas, je suis commanditaire. 6+6 b
— A propos, dit Forbain, tu me sembles pourvu 6+6 a
De bonheurs variés ; je crois bien avoir vu 6+6 a
Près de toi, dans ta loge, une charmante femme. » 6+6 b
380 Le Fortunat sourit, fier jusqu'au fond de l'âme. 6+6 b
« — Ah ! ah ! dit-il, l'as-tu reconnue en effet ? 6+6 a
— Cécile ?
— Justement. Admire le bienfait 6+6 a
De la fortune ; grâce à mes billets de banque, 6+6 b
Talisman dont jamais le prestige ne manque, 6+6 b
385 J'ai fasciné les yeux de cette belle enfant. 6+6 a
Sous sa riche toilette elle a l'air triomphant. 6+6 a
C'est une gté folle, une verve parfaite ! 6+6 b
Pour le Quartier-Latin elle n'était pas faite. 6+6 b
J'affirme que pas une, à la place Bréda, 6+6 a
390 Pour la grâce et l'esprit ne vaut ma Florida. 6+6 a
— Florida !
— C'est un nom romantique. Ça pose. 6+6 b
Allons, heureux mortel, tu sais cueillir la rose, 6+6 b
Mais prends garde à l'épine.
— Oh ! va, je ne crains rien. » 6+6 a
Paul fronça les sourcils ; il dit :
« — Ce n'est pas bien, 6+6 a
395 Fortunat. Vous avez commis peut-être un crime. 6+6 b
— Eh quoi ! la passion est-elle illégitime ? 6+6 b
Depuis quand ne peut-on se donner un plaisir ? 6+6 a
Qui n'aurait pour Cécile éprouvé ce désir ? 6+6 a
— Vous n'avez pas son que dans une âme sage 6+6 b
400 Vous alliez apporter le désordre et l'orage ; 6+6 b
La lancer au milieu d'un ardent tourbillon ; 6+6 a
De son front qui fut pur effacer tout rayon ; 6+6 a
Et qu'elle pourrait bien, du fardeau de sa honte, 6+6 b
A vous, son séducteur, un jour demander compte ! 6+6 b
405 Son honneur virginal, vous l'avez acheté ; 6+6 a
Vous avez à sa lèvre offert la volupté… 6+6 a
Malheur, malheur à ceux dont la parole adroite 6+6 b
Mène les ignorants loin de la route droite ! 6+6 b
— Vraiment, dit Fortunat, c'est un grave sermon, 6+6 a
410 Et Firmin me ferait passer pour un démon. 6+6 a
Mes amis, soyez francs, descendez dans vos âmes : 6+6 b
Faut-il tant de façons pour conquérir les femmes ? » 6+6 b
D'un air approbatif on l'écoutait parler 6+6 a
Le poète comprit qu'il devait s'en aller. 6+6 a
Mais Forbain le retint.
415 « — Ah ! sais-tu la nouvelle ? 6+6 b
Notre pauvre Caron… Quelle chance cruelle ! 6+6 b
Il s'était endetté sans avoir réfléchi 6+6 a
Que ses billets pourraient le conduire à Clichy. » 6+6 a
Le duc se rapprocha.
« — Comment ! le pauvre diable 6+6 b
420 Un juif s'est rencontré, Schylock épouvantable, 6+6 b
Qui, sans avoir égard aux cris de l'opprimé, 6+6 a
Sous de triples verrous l'a fort bien enfermé. 6+6 a
Au malheur de Caron, dit Paul, soyez sensibles 6+6 b
Et faites avec moi tous les efforts possibles 6+6 b
Pour le tirer de là. Combien doit-il ?
425 Au moins 6+6 a
Cinq mille francs.
— Eh bien ! j'emplrai tous mes soins 6+6 a
Afin qu'ils soient payés. Ne pourrions-nous souscrire ? » 6+6 b
Silence général ; et Surville de rire, 6+6 b
Lorsque Paul indigné l'entrna loin de ceux 6+6 a
430 Qui n'avaient pas un sou pour l'ami malheureux. 6+6 a
« — C'est bien, pensait le duc, j'obtiendrai la victoire. » 6+6 b
Dans la loge, plus tard, Firmin conta l'histoire 6+6 b
De Cécile ; il eut l'art de bien faire sentir 6+6 a
Que près du déshonneur marche le repentir ; 6+6 a
435 Et qu'on ne peut troubler le repos d'une femme 6+6 b
Sans qu'un remords pénètre et demeure dans l'âme. 6+6 b
La comtesse écoutait fort attentivement. 6+6 a
Une larme roulait dans ses yeux par moment. 6+6 a
Contre de Rozemon Paul l'avait prévenue, 6+6 b
440 Et, d'abord confiante, elle était devenue 6+6 b
Froide comme la glace. Arthur en frémissant 6+6 a
Vit qu'il était encor sur un chemin glissant ; 6+6 a
Et qu'un instant, un seul, suffirait pour détruire 6+6 b
La machine d'enfer qu'il avait su construire. 6+6 b
445 Il sortit, puis revint. Le spectacle achevé, 6+6 a
Lorsque pour s'éloigner chacun s'était levé ; 6+6 a
Quand déjà la comtesse avait pris sa douillette, 6+6 b
Le baron lui glissa, d'une main si discrète 6+6 b
Que des trois assistants aucun ne put le voir, 6+6 a
450 Un billet qu'il avait écrit dans le couloir. - 6+6 a
Hélas ! Arthur avait l'air si triste, si tendre ! 6+6 b
Quelle femme voudrait condamner sans entendre ? 6+6 b
Donc le petit billet fut pris furtivement, 6+6 a
Et le baron se dit : « — Je marche au dénment ! » 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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