Métrique en Ligne
DSA_1/DSA6
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
V
LE CLUB A L'ESTAMINET
« — Citoyens, écoutez : je vais faire l'appel. 6+6 a
« Chacun devint muet ; et, d'un ton solennel, 6+6 a
Le président, vieux brave à la moustache grise, 6+6 b
Lut ces noms : « — Duriveau— Forbain— Caron— Charrize 6+6 b
5 — Bardoche — Rosencrantz — Laplace — Jean Crampon 6+6 a
— Fabre — Boudet — Gospur — Flacon — Vouzin — Tampon 6+6 a
— Bennotti — Kellermer — Desroziers — Pierrefitte 6+6 b
— Rétho — Jacob — Mainville — Aristide — Lhermitte. » 6+6 b
J'en passe, et des meilleurs.
Ces messieurs, sur trois bancs 6+6 a
10 S'étaient mis. On eût dit un cercle de forbans, 6+6 a
A voir leur air féroce et leurs barbes farouches, 6+6 b
Leurs paletots ornés d'ouvertures très-louches, 6+6 b
Et les rudes gourdins qu'ils serraient dans leur main 6+6 a
Pour réformer entre eux le sort du genre humain. 6+6 a
15 Un vacarme assez grand ayant rempli la salle, 6+6 b
Cet appel fut suivi d'un très-long intervalle. 6+6 b
Chacun criait, chacun se levait à son tour, 6+6 a
Afin que son projet fût à l'ordre du jour. 6+6 a
Vainement s'agitait la sonnette.
« — De grâce, 6+6 b
20 Disait le président, restez à votre place. 6+6 b
On ne peut discuter de la sorte ; attendez, 6+6 a
J'inscris les orateurs. »
Un des plus décidés, 6+6 a
Le citoyen Laplace, un ancien capitaine, 6+6 b
Réclama la parole et, d'une voix hautaine, 6+6 b
Fit ce speach :
25 « — Mes enfants, de bons républicains 6+6 a
Devraient-ils se montrer turbulents et taquins ? 6+6 a
Je suis las de vous voir, pour un motif frivole, 6+6 b
Perdre ce capital qui trop vite s'envole, 6+6 b
Le temps !… Soyons enfin raisonnables. Corbleu ! 6+6 a
30 Nous ne jabotions pas quand nous allions au feu 6+6 a
Sous l'Empereur… C'était l'époque du génie ! 6+6 b
— Bah ! s'écria Boudet, dites de tyrannie. » 6+6 b
Laplace répliqua, l'œil brillant de fureur : 6+6 a
« — Voudrais-tu, par hasard, salir mon Empereur, 6+6 a
Blanc-bec de perruquier ?
35 — A l'ordre ! à l'ordre !» crie 6+6 b
L'assemblée en rumeur.
Le président supplie ; 6+6 b
Mais le garçon coiffeur et l'ardent vétéran 6+6 a
Tous deux par de gros mots vident leur différend. 6+6 a
On les a séparés… et l'orage s'apaise. 6+6 b
40 Le pauvre président peut respirer à l'aise. 6+6 b
Il reprend la parole :
« — Amis, vous m'affligez. 6+6 a
Par la division si nous sommes rongés ; 6+6 a
Si nous n'observons pas la règle du civisme, 6+6 b
C'en est fait à jamais du républicanisme. 6+6 b
45 Quoi ! ne pouvons-nous être assemblés quelquefois 6+6 a
Sans nous provoquer tous du geste et de la voix ! 6+6 a
Soyons graves… soyons dignes de la patrie, 6+6 b
Et ne trahissons pas cette mère chérie 6+6 b
Qui nous a confié son espoir d'avenir. 6+6 a
50 Robespierre nous voit !… Il faut s'en souvenir. 6+6 a
— Bravo ! bravo !
-Merci. Reprenons les affaires. 6+6 b
Nous devons aujourd'hui, dans les rangs de nos frères, 6+6 b
Admettre un vrai héros, le vaillant Krisnowski, 6+6 a
Polonais qui servit sous Poniatowski. 6+6 a
— Bravo ! bravo !
55 — Depuis un mois il est en France. 6+6 b
Vous frémirez d'apprendre à combien de souffrance 6+6 b
Il fut soumis, après la prise de Praga ; 6+6 a
Fait prisonnier, conduit aux bords du Ladoga, 6+6 a
Roué de coups, réduit à tant de pénurie, 6+6 b
60 Que ses vœux appelaient l'affreuse Sibérie 6+6 b
Pour y mourir de froid… Mais il put s'échapper ! 6+6 a
Nicolas est pourtant peu facile à tromper. 6+6 a
Bref, pour nous qui devrons combattre dans la rue 6+6 b
Cet officier me semble une bonne recrue. 6+6 b
— Excellente, corbleu ! dit Laplace.
65 — Bravo ! 6+6 a
Répéta l'assemblée.
— Eh bien ! dit Duriveau, 6+6 a
Qu'il vienne, qu'il paraisse. A ce vieux camarade 6+6 b
Offrons tous le tribut d'une chaude accolade. » 6+6 b
L'idée est adoptée.
« — Il serait plus prudent 6+6 a
70 De réfléchir un peu, reprit le président. 6+6 a
Je juge Krisnowski digne d'être des nôtres ; 6+6 b
Mais généralement craignons les faux apôtres, 6+6 b
Et n'admettons personne avant qu'on ait juré 6+6 a
D'observer en tous points notre code sacré. 6+6 a
75 — Oui, oui ! vous poserez les questions vous-même, 6+6 b
Dit le docteur Forbain. Citoyens, anatbème 6+6 b
Sur celui qui viendrait à rompre ses serments, 6+6 a
A trahir le secret de nos engagements ! » 6+6 a
A ces mots, prononcés d'un accent énergique, 6+6 b
80 Se dressent les gourdins par un accord magique. 6+6 b
Et Caron a frémi ; la crainte d'un soupçon 6+6 a
Jusqu'au fond de ses os fait courir le frisson 6+6 a
Chez le duc de Surville il se voit en pensée 6+6 b
Ici dix mille francs, là l'échine cassée ; 6+6 b
85 D'une part la fortune, et de l'autre les coups. 6+6 a
Tous les républicains ont allongé leurs cous. 6+6 a
La porte s'est ouverte, et l'on voit la Pologne 6+6 b
Figurée en relief par une rouge trogne 6+6 b
Qu'une immense moustache abrite pour moitié. 6+6 a
90 Un chapeau que le temps n'a pas pris en pitié, 6+6 a
Un col noir des plus hauts, puis une redingote 6+6 b
Des plus courtes, ayant des guipures de crotte, 6+6 b
Un large pantalon, sorte de havre-sac 6+6 a
Où logent le briquet, la pipe et le tabac ; 6+6 a
95 Tel était le costume affreux— mais respectable 6+6 b
— Du pauvre Polonais. Il parut admirable ; 6+6 b
Chacun sur ses malheurs s'attendrit, on pressa 6+6 a
Ses deux mains, et Dieu sait les larmes qu'on versa 6+6 a
En parlant des revers de la seconde France. 6+6 b
100 « — Citoyens, dit Gospur, j'ai la ferme espérance 6+6 b
Que nous réparerons le passé quelque jour, 6+6 a
Et notre sœur du Nord sera forte à son tour. 6+6 a
Alors le Nicolas, cet infâme autocrate, 6+6 b
Sentira ce que pèse un bras de démocrate. 6+6 b
105 Le tyran, par nos voix brusquement réveillé, 6+6 a
Voudra vainement fuir, sous ses trésors ployé : 6+6 a
Par lui nous donnerons une leçon au monde. 6+6 b
Mort à nos ennemis ! gloire à qui nous seconde ! » 6+6 b
Gospur avait jadis coupé les faits-Paris 6+6 a
110 Pour un journal ardent ; c'est là qu'il avait pris 6+6 a
Certains mots dont on peut tirer un bon usage, 6+6 b
Lorsqu'en un club on veut briller par son langage. 6+6 b
Il eut un grand succès. Par malheur, Bennotti 6+6 a
Des plis de son manteau soudain étant sorti, 6+6 a
115 Prit sa pose romaine et sa voix la plus forte 6+6 b
Pour s'écrier :
« — On fait des vœux d'étrange sorte ! 6+6 b
On oublie, en parlant de la Pologne ainsi, 6+6 a
Que ma chère Italie est bien souffrante aussi. 6+6 a
Pays des Scipions, terre de Michel-Ange, 6+6 b
120 De ta vieille splendeur le Barbare se venge ! 6+6 b
L'Italie est aux fers du lourd Autrichien 6+6 a
Amis, vous le savez, et vous ne dites rien ! 6+6 a
C'est par là que la France aura d'abord un rôle 6+6 b
A remplir.
Der Teufel ! je vous trouve un peu drôle, 6+6 b
125 S'écria Rosencrantz, saxon aux cheveux roux. 6+6 a
Pourquoi vouloir ainsi qu'on commence par vous ? 6+6 a
Puisqu'il s'agit de fers, voyez la tyrannie 6+6 b
Qui pèse lourdement sur notre Germanie. 6+6 b
J'invoque pour les miens le secours des Français : 6+6 a
130 Chez nous comme en nos cœurs ils trouveront accès. 6+6 a
— Au loin votre Allemagne, et vive l'Italie ! 6+6 b
— Au diable votre Rome, et vive ma patrie ! 6+6 b
— Ça, dit le Polonais, vous êtes bons tous deux ! 6+6 a
Mon pays avant tout ! »
Se prenant aux cheveux, 6+6 a
135 Les trois braves allaient poursuivre la dispute 6+6 b
Par les poings… Mais on put prévenir cette lutte. 6+6 b
Sauf un accroc léger que reçut Bennotti 6+6 a
Dans son manteau, le choc fut bien vite amorti. 6+6 a
Le président s'était couvert. Mais l'assemblée, 6+6 b
140 Que la crainte du bruit avait d'abord troublée, 6+6 b
Voulut continuer la séance. On vida 6+6 a
Trois litres de vin blanc, et puis on décida 6+6 a
Que l'on s'occuperait d'une grave matière : 6+6 b
De réorganiser la France tout entière. 6+6 b
La parole est donnée à Forbain.
145 « — Mes amis, 6+6 a
Soyons fermes et grands. C'est à nous qu'est remis 6+6 a
Le soin de préparer l'avenir de l'Europe. 6+6 b
Écoutez-moi, souffrez que je vous développe 6+6 b
Le plan qui m'est venu pendant les longues nuits 6+6 a
150 Où la pensée active allégeait mes ennuis. 6+6 a
La France est un pays neuf pour la république. 6+6 b
Il en a fait l'essai, mais l'essai fut unique ; 6+6 b
Un soldat confisqua nos jeunes libertés. 6+6 a
Revenons aux efforts que l'on avait tentés. 6+6 a
155 Montrons-nous aujourd'hui dignes fils de nos pères ; 6+6 b
Ils eurent la tempête : à nous les temps prospères. 6+6 b
Le fusil à la main, ils ont semé pour nous ; 6+6 a
La moisson a mûri… Peuples, qu'attendez-vous ? 6+6 a
Les rois s'en vont ! a dit une voix prophétique. 6+6 b
160 Sachons donc profiter de ce moment critique 6+6 b
Où chaque souverain, devant nous reculant, 6+6 a
Regarde avec effroi son trône chancelant. 6+6 a
Je le prédis : ce siècle, où l'homme s'associe, 6+6 b
Verra l'essor brillant de la démocratie. 6+6 b
— Très-bien ! très-bien !
165 — A nous le pouvoir, la splendeur. 6+6 a
Montrons en nous dressant quelle est notre grandeur. 6+6 a
— Très-bien ! »
Émotion. On tousse, on crache, on pleure. 6+6 b
« — A l'horloge du temps vient de sonner notre heure ; 6+6 b
Notre tour est venu. Plus de maîtres, de rois ! 6+6 a
170 Meure le privilège ; à nous seuls tous les droits. 6+6 a
Le peuple aura cessé d'être comme un coupable 6+6 b
Qui doit s'humilier sous la main qui l'accable. » 6+6 b
A ces mots, les hourras éclatent en transports 6+6 a
Qui de leur profond somme eussent tiré les morts. 6+6 a
175 L'orateur profita de cet effet de drame 6+6 b
Pour ajouter bientôt :
« — Vous comprenez mon âme. 6+6 b
Merci, frères. Surtout, quand nous aurons repris 6+6 a
Notre rang et nos droits, connaissons-en le prix ; 6+6 a
Ne laissons plus venir de ces princes perfides 6+6 b
180 Qui criaient : «Gloire au peuple ! » et se faisant ses guides, 6+6 b
Nous apprêtaient des fers en nous tendant la main, 6+6 a
La veille nos amis, — tyrans le lendemain. 6+6 a
Je dis : « Tout pour nous seuls ! » Voyez, ici nous sommes 6+6 b
Trente au moins. Parmi nous on peut trouver des hommes, 6+6 b
185 Oui, des hommes d' État… J'ai moi-même arrangé 6+6 a
Un ministère, afin qu'en donnant son congé 6+6 a
A Philippe, on possède, en ce rude passage, 6+6 b
Une combinaison à la fois ferme et sage. » 6+6 b
Déployant un papier avec grand appareil, 6+6 a
L'orateur lut ceci :
190 « Président du Conseil : 6+6 a
« Capitaine Laplace, avec le portefeuille 6+6 b
« De la Guerre. »
« — Bravo ! dit chacun, on l'accueille ! » 6+6 b
— « Commerce : Desroziers. »
« — Eh quoi ! dit celui-ci, 6+6 a
— Attendez ; vous pourrez discuter tout ceci. » 6+6 a
195 « Intérieur : Forbain. Affaires Étrangères : 6+6 b
« Jacob. A tous emplois sont propres les libraires 6+6 b
« Travaux publics : Caron. Aux Finances : Gospur. » 6+6 a
« S'il est peu financier, du moins il est très-pur 6+6 a
Comme républicain, et cela doit suffire. 6+6 b
200 C'est le premier brevet que le pays désire. » 6+6 b
« Instruction publique et Cultes… » « Sur ma foi ! 6+6 a
Citoyens, vous n'eussiez pas mieux choisi que moi : 6+6 a
Je prends Jacques Vouzin, le grand maître d'étude. 6+6 b
Jamais de croire en Dieu Vouzin n'eut l'habitude ; 6+6 b
205 Ce sera fort joli quand notre fier clergé 6+6 a
Par ce ministre-là se verra dirigé. » 6+6 a
« Marine : Jean Lhermitte. » « Il servit à Marseille…» 6+6 b
« Aristide : Police. »
— « A merveille ! à merveille ! » — 6+6 b
« Justice : Sigismond Rétho, jeune avocat, 6+6 a
210 « Étudiant du moins… mais déjà plein d'éclat. 6+6 a
« Aux Beaux-Arts : Duriveau ; pour le Louvre : Bardoche. » 6+6 b
« Tel est mon plan : voyez si quelque chose y cloche. 6+6 b
Je le livre sans crainte à vos réflexions ; 6+6 a
Jugez-le, mais surtout jugez sans passions 6+6 a
215 Jean Crampon se leva, tout gonflé de colère, 6+6 b
Comme est représenté le lion populaire ; 6+6 b
Son visage bouffi, ses poings fermés, ses yeux 6+6 a
Étincelants, prouvaient un dépit furieux. 6+6 a
« — C'est donc ainsi, dit-il, que dans la république 6+6 b
220 La sainte égalité selon toi se pratique ! 6+6 b
Tu prends tout pour les tiens, et tu te places, toi, 6+6 a
D'après ton bon plaisir, dans le premier emploi ! 6+6 a
Je suis un ouvrier, un cambreur ; mais je jure 6+6 b
Qu'on ne me fera point avaler cette injure. 6+6 b
225 Je suis un prolétaire, et mes droits sont connus. 6+6 a
Aristos déguisés, respectez les bras-nus ! » 6+6 a
Cette interruption fit un effet terrible. 6+6 b
Mais Forbain, laissant voir un sourire impassible, 6+6 b
Répondit doucement :
« — Citoyen, c'est un tort 6+6 a
230 De s'emporter ainsi ; pourquoi crier si fort ? 6+6 a
Chacun a son avis, mais aucun ne commande. 6+6 b
Quant à l'ambition, oui la mienne est très-grande : 6+6 b
C'est de servir un jour mon pays ; qui de nous 6+6 a
N'en voudrait faire autant ?
— Nous le servirons tous ! 6+6 a
S'écria l'assemblée.
235 — Et j'ajoute : personne 6+6 b
Plus que toi ne mérite une part large et bonne. 6+6 b
J'allais parler de toi, citoyen, tout exprès : 6+6 a
Ton futur ministère est celui du Progrès. 6+6 a
— J'accepte, dit Crampon, lui tendant sa main rude. 6+6 b
240 Vingt ans, dans l'atelier, j'ai poursuivi l'étude 6+6 b
Du travail, et je sais comment rendre meilleur, 6+6 a
Aux dépens des Crésus, le sort du travailleur. 6+6 a
Que j'arrive au pouvoir en tenant ma bannière, 6+6 b
Les vieilles questions sortiront de l'ornière ; 6+6 b
245 L'argent circulera ; le régime nouveau 6+6 a
Placera tous les fronts sous le même niveau. 6+6 a
Plus d'étages divers, d'esclaves ni de maîtres ! 6+6 b
Nous n'engraisserons plus l'orgueil de quelques traîtres 6+6 b
Qui sur les ouvriers font tomber leur mépris. 6+6 a
250 Ayons de nos travaux le légitime prix. 6+6 a
Un code d'atelier protégera nos veilles 6+6 b
Bannissons les frelons, nous serons les abeilles ! » 6+6 b
Vifs applaudissements. Crampon félicité 6+6 a
Par ses amis, revient au banc qu'il a quitté. 6+6 a
255 Le président alors prend ainsi la parole : 6+6 b
« — Ministres désignés, il faut qu'à tour de rôle 6+6 b
Vous exposiez vos plans, pour que nous sachions tous 6+6 a
Ce que notre avenir peut attendre de vous. 6+6 a
— Oui ! oui !
— Levez-vous donc, capitaine Laplace. 6+6 b
260 — Amis, dit le vieux brave, on me met face à face 6+6 b
Avec un tel devoir, que je refuserais 6+6 a
Si mon repos passait avant les intérêts 6+6 a
De ma chère patrie… O ma patrie ! ô France ! 6+6 b
On aura vainement enchaîné ta vaillance. 6+6 b
265 Ainsi que le lion tu te réveilleras, 6+6 a
Et fière comme lui partout tu régneras. 6+6 a
Je veux, moi gouvernant, que notre jeune armée 6+6 b
Égale ses anciens en force et renommée ; 6+6 b
Je veux que pas un roi ne demeure debout. 6+6 a
270 Nous savons les chemins et nous irons partout. 6+6 a
Nos frontières du Rhin ! plus de traités de Vienne ! 6+6 b
Et, propagande ou guerre, il faut, quoi qu'il advienne, 6+6 b
Dans l'univers entier promener nos drapeaux. 6+6 a
J'ai dit. »
Vous eussiez vu casquettes et chapeaux 6+6 a
275 S'agiter, tant fut grand l'effet de la harangue. 6+6 b
« — Satané capitaine ! il possède une langue ! 6+6 b
Dit l'envieux Boudet tout bas à son voisin ; 6+6 a
Mais il s'inspire trop dans le jus de raisin. » 6+6 a
Forbain est appelé.
« — Citoyens, qu'ai-je à dire ? 6+6 b
280 Vous me connaissez bien, et vous pouvez prédire 6+6 b
Que si l'Intérieur un jour m'est confié, 6+6 a
Le peuple aura cessé d'être, sacrifié. 6+6 a
Nettoyer les bureaux, ces foyers de souillures, 6+6 b
Répartir entre vous places et préfectures, 6+6 b
285 Tel est mon premier soin ; en faveur des amis, 6+6 a
Je chasse sans pitié jusqu'aux plus vieux commis. 6+6 a
Qui servit les tyrans nous porterait ombrage. 6+6 b
La vertu ne veut point d'un impur alliage. 6+6 b
De plus, pour m'assurer de nos départements, 6+6 a
290 Et pour me procurer de bons renseignements, 6+6 a
J'ai dessein d'envoyer partout des émissaires 6+6 b
Que je décorerai du nom de Commissaires. 6+6 b
Ils auront le pouvoir militaire, civil, 6+6 a
Judiciaire même ; et d'un regard subtil 6+6 a
295 Liront au fond des cœurs les projets royalistes. 6+6 b
De suspects, de réacs ils m'enverront des listes. 6+6 b
Afin que par le luxe ils narguent nos tyrans, 6+6 a
Chacun d'eux recevra par jour quarante francs. 6+6 a
Quant à la Chambre, il faut qu'elle ait aussi sa rente : 6+6 b
300 Ce n'est pas, entre nous, matière indifférente. 6+6 b
Vous aurez tant souffert, hélas ! dans le passé 6+6 a
Qu'un jour le dévoûment soit bien récompensé. » 6+6 a
Bravos multipliés. Bientôt à la tribune 6+6 b
Paraît maître Jacob. Sa figure est commune ; 6+6 b
305 Mais il porte en sa barbe, en son front, en ses yeux 6+6 a
Une assurance rare, un aplomb merveilleux. 6+6 a
Libraire démocrate, éditeur politique, 6+6 b
Il rêve de troquer son arrière-boutique 6+6 b
Contre un brillant hôtel aux somptueux salons, 6+6 a
310 Et d'avoir vingt laquais tout chargés de galons. 6+6 a
« — Mon programme, dit-il, est simple ; en une phrase 6+6 b
Je vous l'exposerai sans détour, sans emphase, 6+6 b
La France, si je puis avoir place au Conseil, 6+6 a
Reprendra dans l'Europe un éclat sans pareil. 6+6 a
315 Les questions par nous seront bientôt vidées, 6+6 b
Et nos ambassadeurs ce seront les idées. 6+6 b
— Caron, à toi. »
Caron se leva.
« — Je prétends 6+6 a
Mettre mon ministère à la hauteur du temps, 6+6 a
Dit-il ; car les Travaux sont comme une semence 6+6 b
320 D'où sort une moisson inépuisable, immense. 6+6 b
Chacun aura le droit de vivre par ses bras ; 6+6 a
Le riche a fait de nous autant de parias : 6+6 a
Mais il devra compter avec la multitude. 6+6 b
D'un salutaire effroi naît la sollicitude. 6+6 b
— Gospur, à toi. »
Gospur se leva.
325 « — Je dis, moi, 6+6 a
Qu'en finances il faut une nouvelle loi. 6+6 a
Délivrons de l'impôt le peuple qui succombe 6+6 b
Et traîne son fardeau jusqu'aux bords de la tombe. 6+6 b
Le pauvre seul gémit des charges de l'État : 6+6 a
330 Lui prendre ses deniers c'est presque un attentat. 6+6 a
Ce qu'on demande au pauvre il est sûr qu'on le vole. 6+6 b
Prélevons le budget sur un luxe frivole. 6+6 b
Les titres insolents de messieurs tels et tels, 6+6 a
Les laquais, les chevaux, les chiens et les hôtels, 6+6 a
335 Articles de budget !… Bientôt mes ordonnances 6+6 b
Métamorphoseront la face dès finances. 6+6 b
— Vouzin, à toi. »
Vouzin se leva, raide et sec, 6+6 a
Philosophe pétri de syntaxe et de grec. 6+6 a
« — L'entendement, dit-il, veut l'étude profonde. 6+6 b
340 L'instruction publique est l'école du monde. 6+6 b
Rien d'abstrait, mes amis, mais rien de général ; 6+6 a
Tout est concret. L'idée existe au principal ; 6+6 a
Mais nos conceptions toutes particulières 6+6 b
Se meuvent dans l'esprit de diverses manières. 6+6 b
345 Vous comprenez ? — Il n'est pas de sensation 6+6 a
Sans quelque volonté, sans quelque attention ; 6+6 a
Pas de volition ne venant d'une force 6+6 b
Causatrice. Autrement penser est une amorce. 6+6 b
La synthèse, et non pas l'analyse ! — Comment ? 6+6 a
350 Particularité veut dire entendement : 6+6 a
Or, nos conceptions offrent deux caractères, 6+6 b
Contingentes tantôt et tantôt nécessaires. 6+6 b
D'où je conclus qu'au jour où je gouvernerai, 6+6 a
Le savoir jouira d'un triomphe assuré. » 6+6 a
Le président bâillait.
355 « — Je passe à la Justice, 6+6 b
Dit-il. Parle, Rétho, pour que l'on t'investisse. » 6+6 b
Rétho pour haranguer ne se fit pas prier. 6+6 a
C'était un pleutre ayant le poil d'un sanglier, 6+6 a
L'œil fauve, le teint blême et le rictus d'un dogue, 6+6 b
360 Des taches à la peau, le nez camus, l'air rogue. 6+6 b
Chez lui tout affectait le carré : son habit, 6+6 a
Son gilet, son chapeau, son col et son débit. 6+6 a
Rétho prit carrément son sujet en ces termes : 6+6 b
« — Citoyens, le temps vient où de plus en plus fermes 6+6 b
365 Nous devrons dévouer tous nos soins au pays. 6+6 a
On me nomme ministre : eh bien ! moi, j'obéis. 6+6 a
Sous le poids du pouvoir grandira mon courage ; 6+6 b
Je ne pâlirai point aux éclairs de l'orage. 6+6 b
— Bravo ! très-bien !
— Il est dans mon département 6+6 a
370 Des abus odieux, mais qui soudainement 6+6 a
Disparaîtront ; qu'enfin le pauvre ait, dans son juge, 6+6 b
Non un rude censeur, mais un père, un refuge. 6+6 b
Assez d'infortunés peuplent les cabanons : 6+6 a
Le geôlier inscrira de plus illustres noms 6+6 a
375 Vile aristocratie, ô marâtre coupable ! 6+6 b
J'armerai contre toi ma Thémis implacable. 6+6 b
— Bravo ! très-bien ! »
Chacun félicite Rétho : 6+6 a
On a vu Bennotti trembler dans son manteau 6+6 a
D'émotion, s'entend.
« — Aux Beaux-Arts, à cette heure, 6+6 b
Cria le président. Duriveau !
380 — Que je meure, 6+6 b
Murmura ce dernier, si je sais un seul mot 6+6 a
De discours. Mais parlons. Qui dit muet, dit sot. 6+6 a
Messieurs… Non, citoyens… Quand Diogène, à Rome 6+6 b
Non, à Sparte plutôt… cherchait jadis un homme, 6+6 b
385 Et sa lanterne en main le cherchait vainement, 6+6 a
Il avait bien raison ce poëte !… Vraiment 6+6 a
Distinguer entre l'un et l'un, comme dit maître 6+6 b
Hugo, c'est difficile, il faut bien s'y connaître. 6+6 b
— Au fait ! au fait !
— Amis, nous avons bien le temps. 6+6 a
390 Ah ! de mes sentiments vous serez tous contents. 6+6 a
L'art est dans son essence une chose superbe ; 6+6 b
Mais nous serions réduits à chiquer tous de l'herbe, 6+6 b
Si le bourgeois commun, grossier, indifférent, 6+6 a
Toujours par ses écus tenait le premier rang. 6+6 a
395 L'art est peuple avant tout ; il est michelangesque, 6+6 b
Et du raphaélesque il s'élève au dantesque. 6+6 b
Chaque siècle a son goût ; le nôtre, par bonheur, 6+6 a
Est le plus beau de tous : nous avons la couleur. 6+6 a
En dépit de rapins et de bedeaux malingres, 6+6 b
400 Eugène Delacroix enfonce le père Ingres. 6+6 b
Delaroche… épicier ! A bas le noir Granet ! 6+6 a
Vivent Diaz et Decamps !… Foin d'Horace Vernet ! 6+6 a
Que je sois aux Beaux-Arts, l'affreuse Académie 6+6 b
— Ce corps putréfié, cette vieille momie 6+6 b
405 — Sera honteusement chassée, et ses tableaux 6+6 a
En expiation serviront de flambeaux ! » 6+6 a
Ce speach improvisé satisfit l'auditoire, 6+6 b
Et le jeune sculpteur en sortit à sa gloire. 6+6 b
« — A Duriveau je suis de cœur et d'âme uni, 6+6 a
Dit Bardoche.
— Très-bien ! »
410 L'examen est fini, 6+6 a
Quand le limonadier pénétrant dans la salle, 6+6 b
Le visage effaré :
« — Vite que l'on détale ! 6+6 b
Par là sont des agents de police venus 6+6 a
Pour nous espionner ; si nous sommes connus, 6+6 a
415 Gare à nous ! le Parquet n'y va pas de main morte. » 6+6 b
A ces mots, il ouvrit une petite porte ; 6+6 b
Et chacun s'esquiva par un étroit couloir 6+6 a
Qui menait, loin de là, dans un passage noir. 6+6 a
Le lapin au terrier, le lièvre dans son gîte 6+6 b
420 Fuit moins diligemment sous la peur qui l'agite. 6+6 b
Pour attendre le jour où vaincrait leur drapeau, 6+6 a
Ces messieurs avaient soin de ménager leur peau. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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