Métrique en Ligne
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DSA_1/DSA4
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
III
PETITE GUERRE
Amélie est au fondde son charmant boudoir. 6+6 a
Elle a mis, ce matin,un élégant peignoir ; 6+6 a
La gaze vaporeuseenveloppe sa tête, 6+6 b
Pour séduire les cœursinfaillible toilette. 6+6 b
5 A son bras demi-nus'enroule un gros serpent, 6+6 a
— Non pas l'aspic mortelqui menace en rampant, 6+6 a
— Mais un bracelet d'or.La comtesse soulève 6+6 b
Les feuillets d'un album ;mais ailleurs est le rêve 6+6 b
Qui tient en ce momentson esprit occupé. 6+6 a
10  Paul Firmin est assisnon loin du canapé, 6+6 a
Grave tout en gardantcet apparent sourire 6+6 b
Qui cache la penséeet parfois le martyre. 6+6 b
Il porte tour à tourson regard anxieux 6+6 a
Sur la comtesse et lapendule ; dans ses yeux 6−6 a
15 On lirait aisémentla poignante amertume : 6+6 b
C'est par un feu cachéque l'âme se consume. 6+6 b
Le poëte jamaisn'avait été plus beau ; 6+6 a
Et de ses doigts crispésil froissait son chapeau 6+6 a
Sans que la noble dameapeût le ravage 6+6 b
20 Des passions, produitau cœur du bon sauvage. 6+6 b
C'était le petit nomqu'on donnait à Firmin. 6+6 a
La comtesse tournaitavec sa blanche main 6+6 a
Ses boucles de cheveux,soyeuses, parfumées ; 6+6 b
Puis disait quelques mots…Ses lèvres mi-fermées 6+6 b
25 Avaient peine à laissertomber les mots distraits, 6+6 a
Et l'ennui dévorantse lisait sur ses traits. 6+6 a
Ce n'est pas que Firminmanquât de ces saillies 6+6 b
Qui font passer le tempsen bonnes causeries ; 6+6 b
Mais il faut convenirqu'il n'avait pas appris 6+6 a
30 Cet art du courtisanqui plt tant à Paris, 6+6 a
L'art d'être sémillant,de médire avec grâce, 6+6 b
Et de pirouettertout en lorgnant la glace ; 6+6 b
De donner du piquant,du neuf, de l'imprévu 6+6 a
A ce qu'on ne sait pas,à ce qu'on n'a pas vu ; 6+6 a
35 D'enchâsser avec gt,ainsi qu'un lapidaire, 6+6 b
Les perles du discoursdans un métal vulgaire. 6+6 b
Firmin allait tout droitau fait, et brusquement 6+6 a
Sans crainte de choquerdisait son sentiment ; 6+6 a
Il ne corrigeait pasavec un peu d'adresse 6+6 b
40 Ce qu'il avait montréd'énergique rudesse. 6+6 b
Donc il n'amusait pasla comtesse, grand tort ! 6+6 a
S'il donnait un avis,il le faisait trop fort ; 6+6 a
Ne sachant pas assez,conseiller inflexible, 6+6 b
Ménager l'amour-propre,épiderme sensible. 6+6 b
45 Auprès de la comtesseil semblait un mentor, 6+6 a
Il semblait le dragongardant la Toison d'Or. 6+6 a
Les femmes, par malheur,dames ou demoiselles, 6+6 b
Ont toujours assez peugté leurs sentinelles ; 6+6 b
Soit duègnes, soit jaloux,soit amants, soit amis, 6+6 a
50 Tout ce qui les surveillea le nom d'ennemis. 6+6 a
Or le pauvre Firmins'était donné la tâche 6+6 b
D'observer la comtesse.Observer sans relâche 6+6 b
Est un rôle pénible,un jeu d'inimitié : 6+6 a
On ne déteste passon Argus à moitié. 6+6 a
55 Être libre est un biensi doux, que ce qui gêne 6+6 b
Doit nécessairementprovoquer notre haine. 6+6 b
Les femmes sont surtoutfolles de liberté : 6+6 a
On peut les dédaigneret froisser leur fierté ; 6+6 a
Mais dans leurs mouvementssi l'on veut les contraindre, 6+6 b
60 Elles n'aimeront pluscelui qu'il leur faut craindre. 6+6 b
Firmin dans Améliea vu presque une enfant : 6+6 a
Des pièges de ce mondealors qu'il la défend 6+6 a
Et comme un bouclierse place devant elle, 6+6 b
A ses enseignementselle reste rebelle ; 6+6 b
65 Elle trouve moyen,en niant le danger, 6+6 a
De repousser la mainqui veut la protéger. 6+6 a
Paul ne s'est jamais plaint :la mordante épigramme 6+6 b
Comme l'eau sur le roca glissé sur son âme. 6+6 b
Souvent mal accueilli,mais dans sa dignité 6+6 a
70 Conservant les dehorsde la sérénité, 6+6 a
Le poëte n'est pas,auprès de la comtesse, 6+6 b
Un jeune homme remplide fougue et de tendresse : 6+6 b
C'est un ami prudentqui ne demande rien, 6+6 a
Un honnête fermierménager d'un beau bien. 6+6 a
75 Nous avons dit déjàqu'il avait pour le comte 6+6 b
Beaucoup d'affection ;or lui sauver la honte 6+6 b
D'un malheur dont les sotstoujours se moqueront, 6+6 a
— Car le monde vous faitun crime d'un affront,— 6+6 a
Tel était le projetde notre bon poëte. 6+6 b
80 « Quel projet, dira-t-on,va-t-il se mettre en tête ? 6+6 b
Aurait-il quelque partlaissé choir sa raison ? 6+6 a
Le geôlier vigilants'enchne à la prison : 6+6 a
S'il est pour son captifune vivante entrave, 6+6 b
De son captif aussile geôlier est l'esclave. » 6+6 b
85 Non, Firmin n'est pas fou,mais il aime : « Bravo ! 6+6 a
Me dira-t-on encor,mais ce n'est pas nouveau. 6+6 a
Schiller, Gœthe, Byron,vingt autres qu'on renomme, 6+6 b
Ont peint éloquemmentces rêves de jeune homme 6+6 b
Qui ne veut pas aimertout en aimant très-fort, 6+6 a
90 Et soutient fièrementun duel contre le sort. » 6+6 a
— Oui, mais Firmin entendl'amour à sa manière ; 6+6 b
Et s'il a du devoirrespecté la barrière, 6+6 b
Il sait qu'il ne peut plusarracher de son cœur, 6+6 a
Malgré ses longs efforts,un sentiment vainqueur. 6+6 a
95 O souffrance d'amour,ô cruelle blessure, 6+6 b
Qui fait à chaque instantéprouver sa morsure ! 6+6 b
On voudrait l'oublier,on n'en veut pas guérir ; 6+6 a
On s'attache aux douleursdont on devra mourir. 6+6 a
Et puis il faut parfois,couvrant de fleurs sa tête, 6+6 b
100 Le front calme et serein,aller de fête en fête ; 6+6 b
Faire mentir son âme ;et, tout bas affligé, 6+6 a
Succomber en luttantcontre le préjugé ! 6+6 a
 Firmin n'avait rien ditqui n't l'art de déplaire. 6+6 b
Chacun d'eux attendait,— c'était chose bien claire. 6+6 b
« — A propos…
105 (Ce mot-làsouvent est bien jeté) 6+6 a
Vous n'êtes pas venuchez moi prendre le thé 6+6 a
Hier au soir.
— Le tempsm'a manqué.
— Belle excuse ! 6+6 b
Je crois qu'on peut allerpartout l'on s'amuse. 6+6 b
— Vous n'avez pas besoinde moi pour vos plaisirs. 6+6 a
110 Un autre maintenant,épiant vos désirs… 6+6 a
Allons, vous retombezdans votre jalousie ! 6+6 b
Je veux avoir d'amisune troupe : choisie. 6+6 b
Pourvu que vous soyezle premier entre tous, 6+6 a
Avez-vous donc, Monsieur,un grief contre nous ? 6+6 a
115 — Contre vous un grief !… Me plaindre, moi, Madame ! 6+6 b
Je serais ridiculeet j'aurais votre blâme ;. 6+6 b
J'en conviens, il m'étaitbien doux de vous revoir 6+6 a
Chaque jour, frche, heureuseet livrée au devoir… 6+6 a
Aurais-je donc perdumes droits à votre estime ? 6+6 b
120 Oh ! grand Dieu ! le souon,ce serait presque un crime. 6+6 b
D'ailleurs, m'appartient-ilde me faire censeur ? 6+6 a
Et quel homme n'a pasde serpent dans le cœur ? 6+6 a
Mais si j'ose parler,si je suis trop sincère, 6+6 b
C'est qu'un peu de franchiseest un mal nécessaire. 6+6 b
125 Puis j'aime votre époux…Comprenez donc enfin ! 6+6 a
— Oui, c'est un beau discoursauquel manque une fin. 6+6 a
Vous aimez mon époux ?
Oh ! de toute mon âme. 6+6 b
— Mais contre le baronquel motif vous enflamme ? 6+6 b
Il est assez à plaindre.
A plaindre… lui ! pourquoi ? 6+6 a
130 — Pour vingt raisons. Il estsans biens et sans emploi ; 6+6 a
Gentilhomme, il ne peutsoutenir sa noblesse ; 6+6 b
Il appartient au monde, trop d'éclat le blesse ; 6+6 b
L'espérance a pour luidérobé son rayon ; 6+6 a
Et, tout jeune, en son cœurs'éteint l'illusion. 6+6 a
135 Il sentait fermenterla pensée en sa tête. 6+6 b
Vif et plein de talent,il t été poëte ; 6+6 b
Le découragementl'a surpris au début : 6+6 a
Au hasard dans la vieil s'avance sans but. 6+6 a
 — Madame, dit Firmin,vous prêtez aux modèles, 6+6 b
140 En peintre tout-puissant,les couleurs les plus belles ; 6+6 b
Mais je crains que le tonn'en soit exagéré, 6+6 a
Que le baron ne joueun rôle préparé. 6+6 a
L'ambition, voilàle mal qui le consume. 6+6 b
— Quoi ! reprit Amélieavec quelque amertume, 6+6 b
Me croyez-vous aveugle ?
145 Oh ! non, mais votre erreur 6+6 a
Échappe à la raisonet part de votre cœur. 6+6 a
Je ne suis pas de ceuxque touche un air malade : 6+6 b
La vivante élégieest pour moi très-maussade. 6+6 b
Je suis simple, et je veuxcette simplicité : 6+6 a
150 Or sentiment n'est passentimentalité. 6+6 a
— Votre sévérité(si ce n'est un caprice) 6+6 b
Me semble quelque peutoucher à l'injustice. » 6+6 b
On annonça : — MonsieurArthur de Rozemon. 6+6 a
Et Firmin tressaillit,comme si du démon 6+6 a
155 Il t, pauvre pécheur,senti la rude atteinte. 6+6 b
D'une part, un sourire,et de l'autre, une plainte, 6+6 b
Tel fut l'effet produitsur eux en cet instant 6+6 a
Par un nom… C'est qu'un nomquelquefois en dit tant ! 6+6 a
 On vit entrer alorsun jeune homme assez pâle, 6+6 b
160 Ayant de beaux yeux noirsdans un visage ovale, 6+6 b
La moustache petiteet les cheveux épais ; 6+6 a
Sa tournure, ses mains,ses pieds étaient parfaits. 6+6 a
Il portait, sans partreen tirer avantage, 6+6 b
L'habit le mieux coupé ;son gilet à ramage, 6+6 b
165 Sa cravate nouéeavec un art exquis, 6+6 a
Jusqu'à ses fins souliers,tout sentait le marquis ; 6+6 a
Ou bien, le gentleman(style du jour) : au reste, 6+6 b
Ce héros de romanavait un air modeste 6+6 b
Qui ne messied pas trop,et séduit promptement 6+6 a
170 Le cœur qui veut y voirun noble sentiment. 6+6 a
 Tel était cet Arthurqui prend dans mon histoire 6+6 b
Une place assez grandeet peut-être assez noire. 6+6 b
Chez Rozemon la voix,le regard, tout offrait 6+6 a
Quelque chose de douxinspirant l'intérêt, 6+6 a
175 Cette timiditéqui plt dans la jeunesse. 6+6 b
Lorsqu'on charme d'abord,pourquoi la hardiesse ? 6+6 b
Pourquoi dire en entrant :— Voyez, regardez-moi, 6+6 a
— Quand on sait bien qu'on atous ses trésors sur soi ? 6+6 a
« — Comment vous portez-vous,Madame la comtesse ? 6+6 b
180 Assez mal ce matin.Ma migraine m'oppresse. 6+6 b
— Combien je le regrette !Il m'était survenu 6+6 a
Un projet qui pourravous sembler ingénu. 6+6 a
— Lequel ?
— Pardonnez-moi,c'est un enfantillage. 6+6 b
Et pourquoi pas, Monsieur ?On en fait à tout âge. 6+6 b
185 — Mon Dieu ! pensa Firmin,tout en venant de lui 6+6 a
Semble piquant ; et moitriste porteur d'ennui 6+6 a
Je veux du moins rester,et juger par moi-même 6+6 b
S'il aime la comtesse,ou si c'est lui qu'elle aime. 6+6 b
— Pardon, lui dit Arthuren allongeant sa main, 6+6 a
190 Je ne vous voyais pas,mon cher Monsieur Firmin. 6+6 a
Il fait si petit jourchez moi, » dit la comtesse. 6+6 b
 Firmin par un salutrendit la politesse. 6+6 b
Mais ce fut tout.
« — Vraiment,se dit avec humeur 6+6 a
La comtesse, quel oursque ce pauvre rimeur ! 6+6 a
195 Eh bien ! Monsieur Arthur,revenons donc de grâce 6+6 b
Au projet… Je ne saisce qui vous embarrasse. » 6+6 b
 Arthur jetait les yeuxsur Firmin ; celui-ci 6+6 a
Le gênait, sans partreen prendre de souci. 6+6 a
« — Parlerez-vous, Monsieur,sans plus de préambules ? 6+6 b
200 — Madame voudrait-ellealler aux Funambules ? » 6+6 b
 Par un éclat de rireAmélie accueillit 6+6 a
La proposition ;Firmin même faillit 6+6 a
Étouffer, tant la choseà ses yeux sembla drôle. 6+6 b
Mais Arthur avait tropapprofondi son rôle 6+6 b
205 Pour être embarrassé,pour s'avouer vaincu. 6+6 a
« — Ah ! sans doute le monde vous avez vécu, 6+6 a
Madame, reprit-il,est si loin d'un spectacle 6+6 b
Fait pour des ouvriers,que ce serait miracle 6+6 b
Si vous n'éprouviez pasun peu d'éloignement 6+6 a
210 Pour ce genre nouveaude divertissement. 6+6 a
Toutefois permettez :Janin, de qui j'estime 6+6 b
La verve et le talent,vante la pantomime 6+6 b
Et ne voit rien à mettreau-dessus de Pierrot. 6+6 a
— Paradoxe ! Irez-vous,dit Firmin, prendre au mot 6+6 a
215 Un écrivain subtil,charmant, mais qui s'amuse 6+6 b
Lui-même des ébatsqu'il permet à la muse ? 6+6 b
S'il donne à Déburauplace en son feuilleton, 6+6 a
Devez-vous admirersur parole et par ton ? 6+6 a
— Je ne sais s'il a tortdans son panégyrique, 6+6 b
220 Mais je sais qu'on éprouve,en lisant le critique, 6+6 b
Un désir curieux.— Que je partagerais, 6+6 a
Dit Amélie.
Eh quoi !vous trouvez des attraits, 6+6 a
Madame, s'écriaFirmin, dans la parade ? 6+6 b
Ce ne serait pour vousqu'un spectacle maussade. 6+6 b
225 — Nullement. Seriez-vous…Oh ! cela me surprend… 6+6 a
Aristocrate ?
— Non ;mais vous êtes d'un rang… 6+6 a
— Je vous reconnais là,grand prêcheur d'étiquette. 6+6 b
Viendrez-vous avec nous ?
— Merci, » dit le poëte, 6+6 b
En s'inclinant d'un airpoli, mais assez froid. 6+6 a
230  Plus Firmin était bon,moins il était adroit. 6+6 a
 La comtesse morditses lèvres. Un silence 6+6 b
Assez embarrassantet rempli d'éloquence 6+6 b
Régna quelques instants…
Mais la porte s'ouvrit. 6+6 a
Un domestique entratout doucement et dit : 6+6 a
235 « — Monsieur Firmin peut-ilvenir ? Monsieur le comte 6+6 b
Désire lui parler.
— C'est bien, Tony. Je compte, 6+6 b
Avant de m'éloignerde l'hôtel, vous offrir 6+6 a
Mon hommage, Madame.»
Oh ! comme il dut souffrir 6+6 a
En laissant le dandyprès de la jeune femme, 6+6 b
240 Le serpent sous la fleur,le démon près de l'âme ! 6+6 b
 Un silence nouveaufit suite à son départ. 6+6 a
La comtesse repritson album ; d'autre part, 6+6 a
Arthur fit appartreun bouquet magnifique ; 6+6 b
Son chapeau le cachait.Un éclair sympathique 6+6 b
245 S'alluma dans les yeuxd'Amélie, à l'aspect 6+6 a
De l'œuvre de Provost.Avec un grand respect 6+6 a
Le baron présentaces fleurs, charmant emblème, 6+6 b
Message parfuméqui parle à ce qu'on aime. 6+6 b
 « — Vous me gâtez, Monsieur.A quoi bon tous ces frais 6+6 a
250 Entre amis comme nous ?Je prends vos intérêts 6+6 a
Et ne souffrirai pasd'inutile dépense. 6+6 b
 — Madame veut railler.
— Moi railler !
— Je le pense. 6+6 b
Qu'est-ce que ce bouquet ?En parler plus longtemps 6+6 a
Serait m'humilier.
— Soit donc ; mais je prétends 6+6 a
Que désormais…
255 — Mon Dieu !si vous saviez, Madame, 6+6 b
Comme ce bon accueilfait de bien à mon âme ! 6+6 b
— Je ne vous comprends pas,Monsieur Arthur ; eh quoi ! 6+6 a
Vous attachez du prix.
Oh ! tout en a pour moi ; 6+6 a
Tout, un mot, un regard,un peu de bienveillance, 6+6 b
260 Votre sourire affable, et même ce silence 6+6 b
Que je n'osais troublerJe suis un insensé, 6+6 a
Dit-il ; mais que mon tortdu moins soit effacé. 6+6 a
Je m'éloigne.
— Quelle estcette crainte soudaine ? 6+6 b
— Ce que je crains, c'est moi :je vous quitte avec peine, 6+6 b
265 Mais je sais obéirà la loi du devoir. 6+6 a
— Vous êtes notre ami ;n'est-ce pas pour nous voir ? 6+6 a
— Mon Dieu ! » dit le jeune homme.
Et puis, baissant la tête, 6+6 b
Comme si dans son seingrondait une tempête, 6+6 b
Il posa sur son cœursa main et chancela. 6+6 a
270 « — Vous êtes un enfant ;venez vous asseoir là, 6+6 a
Monsieur, dit Amélieavec un fin sourire. 6+6 b
Parlons… de ce spectacle vous m'allez conduire. 6+6 b
— Hélas ! épargnez-moile travail de parler. 6+6 a
Je tremble tellement…
— Je vous ferais trembler 6+6 a
275 Allez-vous de Firminenvier le partage ? 6+6 b
Et seriez-vous jalouxdu surnom de sauvage ? 6+6 b
 — Pardonnez, pardonnez, ou bien entendez-moi, 6+6 a
Madame ; puis alors,docile à votre loi, 6+6 a
Si mon aveu vous choqueou mon chagrin vous touche, 6+6 b
280 J'entendrai mon arrêtsortir de votre bouche. 6+6 b
Que vais-je déclareret que penserez-vous ? 6+6 a
Peut-être dans vos yeuxbrillera le courroux ; 6+6 a
Ou, par un froid dédaintraduisant votre blâme, 6+6 b
Dans la confusionplongerez-vous mon âme. 6+6 b
285 Il le faut cependant…, j'obéis au destin…, 6+6 a
Et je cours au malheur,dût-il être certain. 6+6 a
— Monsieur, je ne dois pasvous écouter.
— De grâce 6+6 b
 Un geste du baronla retint à sa place. 6+6 b
« — Je ne demande rienOh ! pourriez-vous penser 6+6 a
290 Que d'un lâche désirj'irais vous offenser ! 6+6 a
J'en ai trop dit ; souffrezmaintenant que j'achève. 6+6 b
— Non, non, j'oublîrai tout…ainsi qu'un mauvais rêve. 6+6 b
Ne parlez pas… ; restonsamis, et voilà tout. 6+6 a
— Que je souffre, ô mon Dieu !»
Arthur était debout. 6+6 a
295 Soudain un mouvementimprévu, plein d'adresse, 6+6 b
Le jeta palpitantaux pieds de la comtesse. 6+6 b
 Elle joignit les mains.
«— O ciel ! relevez-vous… 6+6 a
Oh ! si l'on vous trouvait,Monsieur, à mes genoux ! 6+6 a
Vous êtes un enfant…Relevez-vous…
— Madame, 6+6 b
300 J'obéis… Mais du moinslaissez parler mon âme. 6+6 b
Oh ! lorsque je vous vispour la première fois, 6+6 a
Quand, m'approchant de vous,j'entendis votre voix… 6+6 a
C'était au bal… Ce bal vous étiez si belle 6+6 b
Je crus que, détachéde la sphère immortelle, 6+6 b
305 Un ange du Seigneurparaissait devant moi, 6+6 a
Et je compris alorset l'extase et la foi. 6+6 a
J'aimai dès ce momentd'un amour qui rayonne ; 6+6 b
De cet amour puissant,auquel on s'abandonne. 6+6 b
Hors vous plus rienEn vousforce, bonheur, espoir. 6+6 a
310 Je n'eus plus qu'un désir,celui de vous revoir. 6+6 a
Chez vous on m'amena ;sourd à toute sagesse, 6+6 b
D'un poison enchanteurje savourai l'ivresse. 6+6 b
Vous contempler, restermuet auprès de vous, 6+6 a
Entendre cette voixdont l'accent est si doux, 6+6 a
315 C'était mon seul besoin,c'était ma seule envie. 6+6 b
Par vous je comprenaisqu'on peut donner sa vie ! 6+6 b
Enchné désormais,je me laissais aller 6+6 a
Au rêve délirantqui semblait m'appeler 6+6 a
Et cependant croyez,oh ! croyez bien, Madame, 6+6 b
320 Que pour ma passionj'avais tout bas un blâme ; 6+6 b
Que, ramené vers vous,je voulais chaque jour 6+6 a
M'éloigner de ces lieuxet vaincre mon amour. 6+6 a
Dans,mon cœur repentant,mais fasciné sans cesse, 6+6 b
Je ne retrouvais plusque ma folle tendresse. 6+6 b
325 La raison dut fléchir…Je ne l'écoute.plus ! 6+6 a
Ah ! mille fois la mortsi mes vœux sont déçus. 6+6 a
Mais j'ai parlé ; je cèdeà ce transport suprême 6+6 b
Qui me jette aux genouxde la femme que j'aime. 6+6 b
J'aimeOh ! ce mot est froid…On aime d'amitié 6+6 a
330 Je vous adore moiPitié ! pitié ! pitié !… » 6+6 a
 La comtesse tenaitsa tête détournée 6+6 b
Et se taisait ; sa gorgeà peine emprisonnée 6+6 b
Par le léger peignoir,se soulevait… Sa main 6+6 a
Voilait ses yeux… Arthurs'en empara soudain ; 6+6 a
335 Il y posa sa lèvreet la sentit brûlante. 6+6 b
Ensuite il ajouta(sa voix était tremblante) : 6+6 b
« — Un seul mot…, mon arrêt…
— Laissez-moi !
— Mon pardon ! 6+6 a
— Songez à mon honneur.
— Vous me haïssez donc ? 6+6 a
— Moi le haïr !… Hélas !je le voudrais… Le puis-je ? 6+6 b
340 — Savez-vous que ce motme donne le vertige ! 6+6 b
Non, je m'abuseO ciel !vous ne défendez pas 6+6 a
Que je vous aime !
-On vient !Oui, oui, j'entends des pas ; 6+6 a
Vite remettez-vous,Monsieur, à votre place. 6+6 b
Feuilletez cet album.»
Consultant une glace, 6+6 b
345 La comtesse frémiten voyant sa pâleur. 6+6 a
Mais le boudoir avaitcette faible lueur, 6+6 a
Ce demi-jour discret,qui voile et favorise 6+6 b
L'amour, en le gardantcontre toute surprise. 6+6 b
 Le comte et Paul Firminparurent. L'un riait, 6+6 a
350 — C'était le mari ; — l'autreen frémissant voyait 6+6 a
Arthur, l'heureux Arthurauprès de la comtesse. 6+6 b
A juger Paul Firminsur son air de tristesse, 6+6 b
On t dit qu'il avaitun droit à réclamer, 6+6 a
Le droit d'être en ce lieule seul qu'on dût aimer. 6+6 a
355  « — Quel sujet de gté,mon ami, vous possède ? 6+6 b
Demanda la comtesse
Ah ! venez à mon aide, 6+6 b
Ma chère ; ce Firminest si drôle aujourd'hui 6+6 a
Rien, je crois, ne sauraitêtre approuvé par lui. 6+6 a
Vos projets de ce soir,comique fantaisie, 6+6 b
360 Semblent effarouchersa grave poésie. 6+6 b
Nous avons changé d'âge :il devance le temps 6+6 a
Et me fait hériterde ses vingt-six printemps. 6+6 a
— Général, vous avezune grâce charmante 6+6 b
A railler ; permettezque je vous complimente. 6+6 b
— Quoi ! sérieusement,Paul ?
365 — Sérieusement… 6+6 a
— Rozemon, votre affaireest en bon train.
— Vraiment ? 6+6 a
Combien je suis touchéQuelle reconnaissance ! 6+6 b
— Je n'en mérite pas ;c'est, à votre naissance . 6+6 b
Que vous devrez, mon cher,l'épaulette.
— Fort bien, 6+6 a
370 Dit Firmin, affectantun dédaigneux maintien. 6+6 a
Pour arriver, Monsieura des chances fort belles : 6+6 b
La noblesse a jetédes racines nouvelles ; 6+6 b
Le roi veut s'entourerd'une cour, refoulant 6+6 a
Ceux qui l'ont élevésur un pavois sanglant ; 6+6 a
375 Il lui faut à présentune aristocratie. 6+6 b
— Monsieur songe-t-il bienque sa démocratie 6+6 b
Se fourvoie en l'hôteldu comte de Cercourt ? » 6+6 a
 Paul fronça le sourcil
« — Allons, je coupe court, 6+6 a
Dit le vieux général ;pas d'aigreur ! Les disputes 6+6 b
380 Divisent les espritssans terminer les luttes. 6+6 b
Soyez de votre avischacun, et cependant 6+6 a
Prouvez qu'on peut en paixrester indépendant. 6+6 a
Il fait beau ; le soleilest brillant ; rien n'empêche 6+6 b
Que nous fassions un tourjusqu'au Bois en calèche. 6+6 b
Cela vous convient-il,mon amie ?
385 Adopté. » 6+6 a
 On vota la sortieà l'unanimité. 6+6 a
La comtesse ne mitqu'une heure à sa toilette ; 6+6 b
Les chevaux piaffaient,la voiture était prête ; 6+6 b
On partit, et bientôton eut gagné le Bois. 6+6 a
390 Deux regards bien furtifsse rencontraient parfois ; 6+6 a
Et comme au jour du bal,Amélie, emportée 6+6 b
Par ses fougueux bai-brun,roula, belle et fêtée. 6+6 b
Que d'animationremplissait son ennui ! 6+6 a
 « — Oh ! pensait Paul Firmin,son cœur est-il à lui ? » 6+6 a
395 Et tantôt souriante,et tantôt oppressée, 6+6 b
La comtesse suivaitle cours de sa pensée, 6+6 b
Jetant comme au hasarddes mots charmants, des riens, 6+6 a
Quelque monosyllabeentre deux entretiens. 6+6 a
Jamais Arthur n'avaitmis plus d'art à partre 6+6 b
400 Causeur indifférent ;mais Paul flairait un trtre : 6+6 b
Ce calme l'effrayait.
« — Qu'ont-ils fait ? Qu'ont-ils dit ? 6+6 a
Pensait-il… Pauvre comte !Oh ! je hais ce dandy ! » 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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