Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DSA_1/DSA3
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
II
UNE SOIRÉE RUE SAINT JACQUES
Nous sommes maintenant chez Caron.— Quel Caron ? 6+6 a
Ce n'est pas le nocher de l'avare Achéron ; 6+6 a
Ne voyez point en lui quelque vivant symbole, 6+6 b
Mais un chétif auteur très-fort sur l'hyperbole ; 6+6 b
5 Un pauvre diable ayant jusqu'à ce jour vécu 6+6 a
Entre son dernier rêve et son dernier écu ; 6+6 a
Peu scrupuleux, toujours flairant une ressource, 6+6 b
Dût-il vendre son âme afin d'emplir sa bourse ; 6+6 b
Tout juste honnête assez pour fuir les mauvais pas, 6+6 a
10 Mais excusant tout haut ce qu'il ne ferait, pas ; 6+6 a
S'obstinant à ne voir dans la nature entière 6+6 b
Que l'aveugle hasard d'une vile matière, 6+6 b
Et disant que l'on doit par conséquent saisir 6+6 a
Le plus tôt qu'on le peut fortune, honneurs, plaisir. 6+6 a
15 Tel est l'ami Caron. Expulsé d'un collége 6+6 b
Où d'être surveillant il eut le privilége, 6+6 b
Il se fit tour à tour acteur, saint-simonien, 6+6 a
Enfin littérateur,— ne pouvant être rien. 6+6 a
C'est un état fâcheux, il me faut bien le dire : 6+6 b
20 Quand on ne sait que faire on s'avise d'écrire. 6+6 b
Laissant de côté l'art, on risque le métier. 6+6 a
Quel peuple que celui de nos gâte papier ! 6+6 a
Depuis qu'en feuilletons le roman se divise, 6+6 b
Ainsi que la galette on vend la marchandise, 6+6 b
25 Et mille écrivailleurs torturent leur cerveau 6+6 a
Afin d'alimenter ce commerce nouveau. 6+6 a
Le prix est tarifé : dix centimes la ligne. 6+6 b
A suivre ce sentier le talent se résigne, 6+6 b
Heureux quand il n'a point à supplier en vain 6+6 a
30 Un journaliste obscur, un ignare écrivain 6+6 a
Que le hasard a fait juge en littérature 6+6 b
Et qui, s'il ne sait rien, du moins tranche et rature ! 6+6 b
Cet aveugle niveau qu'on nomme égali 6+6 a
A mis au premier rang la médiocrité. 6+6 a
35 Pour la fécondi Caron tient une plume 6+6 b
Qui ne peut s'arrêter qu'à la fin d'un volume. 6+6 b
Sur tout sujet il broche un livre subi, 6+6 a
Et pour dix éditeurs travaille incognito. 6+6 a
Les Mémoires surtout ont exercé sa verve ; 6+6 b
40 Il n'est pas une idée, un principe qu'il serve. 6+6 b
Il a fait les Récits d'un vieux comte, Émigré ; 6+6 a
Plus tard, les Souvenirs d'un modeste Curé, 6+6 a
Ceux d'un Comédien, ceux d'un Bonapartiste, 6+6 b
D'un Conventionnel, du Bourreau, d'un Artiste. 6+6 b
45 Chaque gouvernement par Caron est choyé, 6+6 a
Et tout lui semble bien, pourvu qu'il soit payé ; 6+6 a
Tout pour lui se résume en quelque bonne somme ; 6+6 b
C'est le besoin du gain, le cynisme fait homme. 6+6 b
Nous en disons beaucoup peut-être ; mais sachez 6+6 a
50 Qu'il existe chez nous bien des Carons cachés, 6+6 a
Et l'on ne saurait trop flétrir cette vermine 6+6 b
Qui dévore sans cesse, au nom de sa famine, 6+6 b
Voile sous l'air artiste un désordre honteux, 6+6 a
Traîne dans les cafés ses jours nécessiteux, 6+6 a
55 En empruntant partout vante sa poésie, 6+6 b
Et confond la Bohême avec la Fantaisie. 6+6 b
Caron, d'ailleurs, n'est pas un trop méchant garçon. 6+6 a
Il aime à plaisanter, il agit sans façon, 6+6 a
Et certe il n'a pas fait grande cérémonie 6+6 b
60 Pour réunir chez lui vingt hommes de génie. 6+6 b
Il va, vient, fait des bonds de sa chambre au palier, 6+6 a
Et, penché sur la rampe, éclaire l'escalier. 6+6 a
« — Arrivez, chers enfants de la docte Montagne ! 6+6 b
J'ai du feu… Ma fontaine est pleine de Champagne. 6+6 b
65 Près de mon poêle assis, nous nous partagerons 6+6 a
Très-fraternellement quelques cents de marrons. 6+6 a
Venez dans mon grenier ; ni marbre ni peinture 6+6 b
N'en ornent les lambris… Chez nous tout est nature. » 6+6 b
Oh ! si l'on eût pu voir dans le fond de son cœur 6+6 a
70 Et bien interpréter son sourire moqueur, 6+6 a
On eût lu des discours d'une tout autre sorte. 6+6 b
Notre homme se disait : « — Ah ! que le diable emporte 6+6 b
Mon métier !… Sot métier !… Quand pourrai-je, à mon tour, 6+6 a
Trancher du personnage auprès des grands du jour ? 6+6 a
75 Que n'ai-je des amis utiles !… Qu'il me tarde 6+6 b
De jeter ma besace au fond de ma mansarde ! » 6+6 b
Mais il rit et folâtre, et ce soir il a mis 6+6 a
Son habit chocnosophe en l'honneur des amis. 6+6 a
« — Ah ! voici Duriveau, notre grand statuaire, 6+6 b
80 Qui doit faire à Pradier une assez rude guerre. — 6+6 b
En attendant, mon cher, lui répond Duriveau, 6+6 a
Il a de la commande, et je n'ai qu'un ciseau. 6+6 a
— Patience, ton tour viendra. Bonsoir, Bardoche. 6+6 b
Messieurs, voici mon peintre. Ah ! jamais Delaroche 6+6 b
85 N'eut de ces paletots que le temps outragea. 6+6 a
Bardoche est inconnu, mais qu'il est grand déjà ! 6+6 a
— Tu me flattes, mon bon, et je t'en remercie ; 6+6 b
Garde tes beaux discours pour l'aristocratie. 6+6 b
Oui, j'ai de la couleur et souvent peu de pain. — 6+6 a
90 Trouve donc au Trésor un seul nom de rapin ! 6+6 a
Il est vrai qu'en trouver serait un grand miracle, 6+6 b
Dit Bardoche ; nos fonds sont toujours en débâcle. 6+6 b
— Oh ! déclama Caron, pour devenir rentier 6+6 a
Faut-il donc être dans un trou d'épicier ! 6+6 a
95 Comme au sein de l'oubli, de l'abandon coupable, 6+6 b
Toujours reste plon le talent véritable ; 6+6 b
Et comme en tous les temps, il reçut pour seul prix, 6+6 a
De la part du Pouvoir, l'injure du mépris ! 6+6 a
Un ministre, fût-il réputé démocrate, 6+6 b
100 Ne tend jamais sa main qu'à la main qui le flatte. 6+6 b
A grand'peine eussiez-vous labouré votre champ, 6+6 a
Fussiez-vous un esprit bon, sincère, touchant, 6+6 a
Si vous ne recrutez des protecteurs, des guides, 6+6 b
Et si vous réclamez sous des dehors timides, 6+6 b
105 On vous repoussera ; dans l'ombre de l'oubli 6+6 a
Votre nom descendra, bientôt enseveli ; 6+6 a
Vous verrez l'impudeur s'unir à la fortune, 6+6 b
Et la croix décorer la bassesse importune. » 6+6 b
Forbain venait d'entrer : un petit carabin 6+6 a
110 Au front chauve, au long nez crochu comme un rabbin, 6+6 a
Possédé du besoin de quelque bonne affaire, 6+6 b
Ne voulant pas s'astreindre aux sentiers du vulgaire, 6+6 b
Et qui, dans les complots de club et de journal, 6+6 a
Rêvait la guérison de l'ordre social. 6+6 a
115 Coquerel arriva, — puis Duhart, — puis Tactyle, 6+6 b
Puis Mazet, — puis Saubot, — cinq ouvriers en style, 6+6 b
Qui dans quelque journal bien malsain, bien obscur, 6+6 a
Embusqués, — comme l'est un bandit contre un mur, 6+6 a
Jettent à tout succès, dont leur rage s'anime, 6+6 b
120 Le fiel et le venin d'une bave anonyme, 6+6 b
Outragent le bon sens, le talent, la raison, 6+6 a
Et font pour tout venant cuisine de poison. 6+6 a
« — Eh ! bonsoir, Fortunat ; d'où reviens-tu ?
— Du Caire, 6+6 b
Pour exploiter l'Égypte.
— Ah ! brave, Saint-Macaire, 6+6 b
125 Vaudevilliste ai naguère à Bobineau 6+6 a
Et qui rive sa chaîne à ce premier anneau. 6+6 a
— Tu dis vrai, cher Caron. Deux femmes très-jolies 6+6 b
Vont me faire passer une pièce aux Folies. 6+6 b
Un bon commencement !… Nous irons t'applaudir, 6+6 a
130 Et j'aurai des battoirs capables d'assourdir. 6+6 a
Tu dis donc, Fortunat ?
— Que j'arrive d'Afrique. 6+6 b
— L'Égypte est un pays curieux, magnifique. 6+6 b
— Superbe, j'en conviens ; mais sous ce ciel d'airain 6+6 a
Peu de manne est promise au pauvre pèlerin. 6+6 a
— Parle sans métaphore.
135 — Eh bien ! la chose est claire. 6+6 b
J'ai visité l'Égypte, et n'ai pas fait d'affaire. 6+6 b
— Quoi ! dit Caron, ce peuple est si fort encrté, 6+6 a
Qu'il ferme son oreille à toute nouveauté ? 6+6 a
On assure pourtant que Méhémet proclame 6+6 b
Le progrès…
140 Il est turc au plus profond de l'âme ; 6+6 b
Oui, le progrès lui plaît s'il fait, dans son trésor, 6+6 a
Par l'accaparement ricocher beaucoup d'or. 6+6 a
Sous ses yeux j'avais mis des projets admirables 6+6 b
Qu'il n'a pas appliqués.
Étaient-ils applicables ? » 6+6 b
145 Demanda Saint-Macaire avec un air bénin. 6+6 a
Fortunat, lui lançant un regard léonin, 6+6 a
S'écria :
« — S'ils étaient applicables ! Je jure 6+6 b
Qu'en douter seulement serait me faire injure. 6+6 b
— Oh ! ne te fâche pas, lui dit Caron, tu sais 6+6 a
150 Que l'on est toujours froid pour de simples essais. 6+6 a
— A présent c'est fini. Vive la Commandite, 6+6 b
Le seul moyen de vaincre une chance maudite ! 6+6 b
De quelle utili cette mode est pour nous ! 6+6 a
Car s'il est bien des sots, il n'est pas moins de fous. 6+6 a
155 L'appel a retenti… Vite l'actionnaire 6+6 b
Apporte confiant son argent débonnaire ; 6+6 b
Et pour s'associer à ce jeu de hasard, 6+6 a
La foule des naïfs craint d'arriver trop tard. 6+6 a
Messieurs, écoutez bien, j'ai mon plan dans ma tête 6+6 b
160 — Eh ! bonsoir, Paul Firmin. C'est notre grand poëte ! 6+6 b
Il se souvient de nous… Célébrons son retour… 6+6 a
Avec beaucoup de craie il faut marquer ce jour. » 6+6 a
Tous redirent en chœur ce vivat d'allégresse ; 6+6 b
Paul Firmin étouffait sous ce flux de tendresse, 6+6 b
165 Tandis que Fortunat, vecomme un renard 6+6 a
Qu'une poule aurait pris, se mettait à l'écart 6+6 a
Et murmurait :— «Les sots ! ils ne sauraient comprendre. 6+6 b
Ignorants à plaisir, ils auraient peur d'apprendre ; 6+6 b
Un homme tel que moi doit passer incompris, 6+6 a
170 Qu'il parte pour l'Égypte ou qu'il reste à Paris. » 6+6 a
Qu'est-ce que Paul Firmin ? Un poëte.— Ah ! de gräce 6+6 b
S'écrira le lecteur, que voulez-vous qu'on lasse 6+6 b
D'un poëte de plus dans ce temps où les vers 6+6 a
Sont, ainsi que les arts, un dangereux travers ! 6+6 a
175 Allez-vous revêtir ce nouveau personnage 6+6 b
D'un costume excentrique et d'un pâle visage ? 6+6 b
Vous qui pour vos péchés êtes limeur, Alfred, 6+6 a
Allez-vous nous offrir un Werther, un Manfred ? 6+6 a
— Lecteur, rassurez-vous ; mon poëte n'aspire 6+6 b
180 Qu'à plaire à ses amis. Un soldat de l'Empire 6+6 b
Fut son père ; en mourant le vieillard lui laissa 6+6 a
Des souvenirs d'honneur que sa voix lui traça ; 6+6 a
De plus, — ce qui n'est pas tout à fait inutile, 6+6 b
— De gentils revenus à manger dans la ville. 6+6 b
185 Paul Firmin a du cœur ; il est franc, et toujours 6+6 a
On trouve près de lui bon conseil et secours. 6+6 a
Simple, artiste avant tout, il aime la campagne ; 6+6 b
Dans ses excursions la muse l'accompagne ; 6+6 b
Un bâton à la main, la blouse sur le dos, 6+6 a
190 Il parcourut l'Europe ; il en revint dispos, 6+6 a
Ayant dans son carton enfoui bien des pages 6+6 b
Et cueilli sur sa route et vers et paysages. 6+6 b
On dirait, à le voir, que jamais un chagrin 6+6 a
N'a creusé d'un seul pli son front large et serein. 6+6 a
195 Si Paul Firmin n'est pas de ceux que l'on renomme, 6+6 b
On chercherait en vain lin plus digne jeune homme. 6+6 b
Ne vous étonnez point de l'amical hourra 6+6 a
Dont l'étrange assemblée en masse l'honora. 6+6 a
La plupart lui devaient de l'argent ; et sans doute 6+6 b
200 Paul Firmin se disait tout bas ce qu'il en coûte 6+6 b
Pour être populaire auprès de ses amis. 6+6 a
De cette ovation étant enfin remis, 6+6 a
Il alla dans un coin allumer son cigare, 6+6 b
Se jeta sur un siége, et loin de la bagarre, 6+6 b
205 Loin des cartes, des pots de bière, loin des dés 6+6 a
Qu'agitaient à grand bruit les joueurs accoudés, 6+6 a
Tranquille, souriant — au moins en apparence 6+6 b
Il écoutait Caron : « — Pourquoi ta longue absence ? 6+6 b
Lui disait ce dernier ; moi, ne te voyant plus, 6+6 a
210 Je t'accusais d'oubli ; nous voici revenus 6+6 a
Au bon temps où, tous deux assis auprès de l'âtre, 6+6 b
Nous causions longuement de vers et de théâtre. 6+6 b
— Des vers ! je n'en fais plus.
— Que fais-tu donc alors ! 6+6 a
— Le sais-je ! Je me mets moi-même au rang des morts. 6+6 a
Je n'écris plus, je songe.
215 — Eh ! mon Dieu ! la pene 6+6 b
Est le premier jalon de l'œuvre commene. 6+6 b
On travaille en songeant…
Sois plus franc avec moi. 6+6 a
Le spleen ne t'irait pas.
Un gaillard tel que toi 6+6 a
Semble fait pour mener une joyeuse vie 6+6 b
220 Aux héros languissants ne porte pas envie. 6+6 b
— Qui t'a dit ?… s'écria Paul Firmin.
— Je vois bien 6+6 a
Quelque chose d'étrange en toi.
— Non, je n'ai rien. - 6+6 a
A la bonne heure. Eh ! mais, que je te complimente, 6+6 b
Trop heureux chevalier d'une femme charmante. 6+6 b
— Comment ?
225 — Ne sais-je pas que l'objet de ta cour 6+6 a
Est la belle comtesse…
— Oh ! tais-toi !
— De Cercourt. 6+6 a
Tu rougis ?… Pauvre ami, la feinte est inutile : 6+6 b
Le bruit de tes amours se répand dans la ville. 6+6 b
— C'est une calomnie !Outrager la vertu ! 6+6 a
230 Pour l'accuser ainsi, Caron, la connais-tu ? 6+6 a
On ne peut donc avoir l'amitié d'une femme 6+6 b
Sans qu'on aille fouiller jusqu'au fond de votre âme, 6+6 b
Dénaturer un noble et pieux sentiment, 6+6 a
Et vous flétrir des noms de mtresse et d'amant ! 6+6 a
235 Allons, modère-toi ; je ne suis, cher poëte, 6+6 b
Que le modeste écho de ce que l'on répète. 6+6 b
— C'est bien ; mais laissons là de stupides propos 6+6 a
Qui ne méritent pas de troubler mon repos. 6+6 a
Je puis lever la tête et ne crains pas la honte. 6+6 b
240 Mon pauvre père fut l'intime ami du comte : 6+6 b
L'un était général et l'autre colonel. 6+6 a
Au milieu des dangers un esprit fraternel 6+6 a
Unit étroitement ces braves militaires. 6+6 b
Tu comprends ? Faut-il donc chercher tant de mystères 6+6 b
245 Dans les bons sentiments que l'un des deux amis 6+6 a
Après la mort du père a montrés à son fils ? 6+6 a
En Monsieur de Cercourt je trouve un second père 6+6 b
Qui jamais de m'aimer n'aura regret, j'espère. » 6+6 b
Caron, qui s'était fait un maintien sérieux, 6+6 a
Dit d'un ton solennel :
250 « — Mon cher Paul, c'est au mieux ; 6+6 a
Car pour toi j'avais peur ; je suis ravi d'apprendre 6+6 b
Que tu n'as point erré sur la carte du Tendre. 6+6 b
En enfant adoptif tu vois le général… 6+6 a
Qu'on vienne maintenant trouver à ça du mal. 6+6 a
255 Je les recevrai bien tous ces faiseurs de glose ! » 6+6 b
Le sculpteur s'approcha :
« — Lisez-nous quelque chose, 6+6 b
Firmin. Avez-vous là quelque sonnet nouveau, 6+6 a
Une ballade ?
— Hélas ! non, mon cher Duriveau. 6+6 a
— Ma foi, je le regrette. En semblable matière 6+6 b
260 Je suis ignorant, comme un vrai tailleur de pierre, 6+6 b
Mais j'aime vos écrits qui s'échappent du cœur ; 6+6 a
Après les avoir lus, on croit être meilleur. 6+6 a
— Des vers ! dit Paul Firmin avec un froid sourire ; 6+6 b
Invitez-moi plutôt à ne jamais écrire. 6+6 b
265 Oubliez-vous, amis, le siècle où nous vivons ? 6+6 a
Pour prix de nos travaux, qu'est-ce que nous trouvons ? 6+6 a
Le dédain, ou — bien moins encor — l'indifférence. 6+6 b
On passe sans daigner croire à notre souffrance. 6+6 b
Si parfois on te jette un oblique regard, 6+6 a
270 Drouineau, c'est pour voir que ton œil est hagard ; 6+6 a
Byron, c'est pour souiller avec la calomnie 6+6 b
Le feuillage sacré qui pare ton génie. 6+6 b
La routine s'attaque aux essais courageux. 6+6 a
L'éclair est le seul phare en nos jours orageux. 6+6 a
275 Nous naissons pour trner un destin de misère : 6+6 b
L'obole du passant honorait Bélisaire ; 6+6 b
Mais nous n'avons plus même, en ce siècle éhonté, 6+6 a
L'obole de la gloire avec la pauvreté. 6+6 a
— Peste ! dit Fortunat, heureux de la revanche, 6+6 b
280 Permettez-moi, mon cher, une réponse franche : 6+6 b
Vous déclamez fort bien, et vous nous faites voir 6+6 a
Qu'on prise aujourd'hui plus l'argent que le savoir ; 6+6 a
Mais pour que l'argument me pénètre et me touche, 6+6 b
Il ne doit pas, Firmin, sortir de votre bouche. 6+6 b
285 — A bas ! » dit l'assistance. Et chacun entonna 6+6 a
Un grognement anglais contre le Fortunat, 6+6 a
Puis ce furent des cris, des rires, un tapage 6+6 b
A réveiller les gens de tout le voisinage ; 6+6 b
Des chansons se croisant ainsi que des éclairs ; 6+6 a
290 Toutes sortes, de mots sur toutes sortes d'airs : 6+6 a
Marlbrough — Tra la la la. — Le vin, le jeu, les belles ; 6+6 b
Des romances d'amour anciennes ou nouvelles ; 6+6 b
Des jurons, des propos confus, extravagants, 6+6 a
On eût dit trente fous, ou bien trente brigands. 6+6 a
295 « — Ah ! Messieurs, s'écria le chevelu Bardoche, 6+6 b
Notre hôte est fort gentil ; pourtant je lui reproche 6+6 b
D'avoir fait un appel à la franche amitié 6+6 a
En oubliant, ce soir, la plus belle moitié 6+6 a
Du genre humain.
-Compris ! compris ! oui, c'est infâme, 6+6 b
300 Inviter trente amis et pas un brin de femme ! » 6+6 b
Cent cris, à ce sujet, sont jetés à la fois. 6+6 a
« — Pour m'accuser, Messieurs, vous n'avez qu'une voix, 6+6 a
Dit Caron ; mais souffrez qu'enfin je me défende. 6+6 b
Comment eussé-je pu prévoir votre demande, 6+6 b
Moi qui ne connais pas de femme ?
305 — O Scipion ! 6+6 a
Je voterai pour toi le grand prix Monthyon, 6+6 a
Dit Fortunat.
— Messieurs, faites trêve aux sornettes. 6+6 b
Je ne fréquente pas le monde des grisettes. 6+6 b
La grisette est sans doute un gentil animal, 6+6 a
310 Mais dont les appétits n'ont rien de très-frugal : 6+6 a
Il lui faut le spectacle, il lui faut la Chaumière ; 6+6 b
On l'aime à dix-huit ans,à trente on la vénère, 6+6 b
Mais on n'en use plus.
— C'est clair comme le jour, 6+6 a
Dit Bardoche ; pourtant exister sans amour 6+6 a
315 Cela me semble plus ennuyeux que la pluie. 6+6 b
Pas de pleurs que la main de la femme n'essuie ! 6+6 b
— O Bardoche ! cria le chœur, ô le rapin 6+6 a
Qui fait du sentiment et des yeux de lapin ! 6+6 a
— Chut ! chut ! Messieurs, reprit Caron, et qu'on m'écoute. 6+6 b
320 Ma proposition vous charmera sans doute. 6+6 b
— Parle, parle.
— A deux pas, sur mon propre palier, 6+6 a
Il est un jeune objet, d'un genre singulier, 6+6 a
Comme on n'en trouve pas : la grisette-modèle ; 6+6 b
Sa chambre inaccessible est une citadelle. 6+6 b
325 Lingère à l'œil modeste, au front pur, la vertu 6+6 a
Respire sur ses traits.
— De qui te moques-tu ? 6+6 a
Dit Saint-Macaire ; c'est le portrait de Lucrèce. 6+6 b
— C'est celui de Cécile.
— Ah bah ! c'est ta mtresse. 6+6 b
— Non, d'honneur. Je lui crois une sévéri 6+6 a
330 De mœurs, à défier notre amabilité. 6+6 a
Toujours dans sa chambrette, au travail assidue, 6+6 b
Et ne sortant jamais quand la nuit est venue ; 6+6 b
Étrangère au plaisir, elle vit sans savoir 6+6 a
Qu'il soit rien de plus doux que l'austère devoir. 6+6 a
335 — Voilà, dit Fortunat, une grave homélie ; 6+6 b
Caron, tu prêches bien.
— Voyons, pas de folie, 6+6 b
Ou je me fâche.
— Soit, mais apprends-nous enfin 6+6 a
Ta proposition.
— Dans le Quartier Latin 6+6 a
Il n'est rien de plus beau que Cécile. J'espère 6+6 b
340 Que l'astre va venir briller dans mon repaire. 6+6 b
— Vraiment ?
— Patientez, je reviens à l'instant. » 6+6 a
Rien de plus solennel que l'heure où l'on attend. 6+6 a
On parle bas ; la langue est comme embarrassée, 6+6 b
Elle traîne les mots ; ailleurs est la pene. 6+6 b
345 Enfin on entendit deux voix. : en ce moment 6+6 a
Caron parut, donnant le bras très-gravement 6+6 a
A la jeune voisine, à la blonde Cécile. 6+6 b
Trop vanter la grisette eût été difficile, 6+6 b
Car elle avait reçu du ciel — et quel trésor 6+6 a
350 — Cette dot de beau qui vaut celle de l'or : 6+6 a
Corsage surmon d'une gorge arrondie, 6+6 b
Hanche voluptueuse à la coupe hardie, 6+6 b
Pieds mignons, mains d'enfant, bouche en cœur, nez en l'air, 6+6 a
De quoi faire fortune au quartier du Helder. 6+6 a
355 Cécile s'ignorait, et je le crois sans peine : 6+6 b
La rose ne sait pas le prix de son haleine, 6+6 b
Jusqu'au jour où la main d'un avide amateur 6+6 a
Sans pitié, de sa tige, arrachera la fleur. 6+6 a
Je n'entreprendrai pas de décrire l'entrée 6+6 b
360 De Cécile. Jamais une reine adoe, 6+6 b
Jamais Victoria, reçue à Westminster, 6+6 a
De vivats plus bruyants n'entendit le concert. 6+6 a
On fit cercle ; on offrit à la jeune grisette 6+6 b
Bière, liqueurs, gâteaux, bouquet de violette, 6+6 b
365 Grandes séductions de ce quartier bruyant 6+6 a
Où, pour en sortir grave, on entre étudiant. 6+6 a
Cécile dit, tremblante :
— Ah ! mon Dieu ! que dé monde ! 6+6 b
CARON
Venez, on vous attend.
FORTUNAT
O la charmante blonde ! 6+6 b
BARDOCHE
Quel tableau j'en ferais !
DURIVEAU
Moi, quel buste !
FORTUNAT à part
Quels traits ! 6+6 a
BARDOCHE
370 Pâque-Dieu ! nous serons ses faiseurs de portraits. 6+6 a
CÉCILE
De me trouver ici je me sens tout émue. 6+6 b
CARON
Mes amis seront fiers de vous avoir connue. 6+6 b
Présidez cette fête et recevez de nous 6+6 a
Un hommage sincère… En est-il de plus doux ? 6+6 a
FORBAIN, à demi-voix
375 Décidément Gessner t'a cédé quelque idylle. 6+6 b
FORTUNAT à la grisette
On dit que du travail votre chambre est l'asile, 6+6 b
Que vous ne connaissez aucun plaisir.
CÉCILE
Je croi 6+6 a
Que le plus grand plaisir est de vivre chez soi 6+6 a
Sans bruit, modestement, loin des regards des hommes. 6+6 b
D'abord, ils me font peur.
FORTUNAT
380 Par exemple ! Nous sommes 6+6 b
Presque tous des moutons. Je regrette de voir 6+6 a
Tant d'attraits enfouis sous les lois du devoir. 6+6 a
CÉCILE
Je suis heureuse ainsi ; jamais je ne m'ennuie, 6+6 b
Et je joins les deux bouts par mon économie. 6+6 b
FORTUNAT à part
385 Ravissante grisette, ô diamant perdu, 6+6 a
Si tu ne m'appartiens que je sois confondu. 6+6 a
Par mes inventions j'étonnerai le monde ; 6+6 b
Oui, tu seras à moi si le sort me seconde. 6+6 b
CÉCILE à Bardoche qui lui a parlé bas
Quoi ! vous voulez, Monsieur…
BARDOCHE
Dès ce soir commencer 6+6 a
390 Un tout petit portrait… rien que vous esquisser. 6+6 a
J'ai là mon attirail.
CÉCILE
Jamais on ne m'a peinte ; 6+6 b
Et ma tante qui vit si loin s'est souvent plainte 6+6 b
De n'avoir rien de moi.
BARDOCHE
Pour la tante, demain, 6+6 a
Jeune fille, aux pinceaux je veux mettre la main. 6+6 a
Asseyez-vous. C'est bien.
(Il se met à tracer une esquisse.)
CARON
395 En l'honneur de Cécile 6+6 b
Faisons du punch,
TOUS
Bravo !
BARDOCHEdessinant
Jarnicoton ! quel style ! 6+6 b
Paul, mettant à profit ce bruit, ce mouvement, 6+6 a
Fit un signe à Caron, et très-discrètement : 6+6 a
« — N'es-tu pas, lui dit-il, de Toulouse ?
— Sans doute. 6+6 b
400 Mon pays avant tout ! bien que l'on m'y redoute 6+6 b
Pour ma malignité…
— Je le crois aisément. 6+6 a
Mais tu peux me fournir quelque renseignement 6+6 a
Sur un concitoyen.
— Cela m'est très-facile : 6+6 b
De loin comme de près je sais par cœur ma ville ; 6+6 b
405 Alors tu connais donc… C'est qu'il est jeune encor… 6+6 a
Certain baron Arthur de Rozemon ?
— D'accord. 6+6 a
Souche patricienne, excellente noblesse ! 6+6 b
Mais je puis franchement dire où le bât le blesse : 6+6 b
Ces gentilshommes-là n'ont rien que des quartiers ; 6+6 a
410 On dîne mal d'orgueil, je plains leurs héritiers. 6+6 a
— Cependant, dit Firmin, pauvreté n'est pas vice. 6+6 b
Le fils vient à Paris pour prendre du service 6+6 b
Dans l'armée… Il paraît très-sage, très-posé. 6+6 a
— Que par les beaux dehors on est vite abusé ! 6+6 a
Explique-toi, Caron.
— Que t'importe ?
415 Il m'importe. 6+6 b
— C'est que la confidence à faire est un peu forte. 6+6 b
Promets-moi le secret.
— Sur l'honneur.
— Cet Arthur 6+6 a
Qui le semble si sage est l'homme le moins sûr. 6+6 a
A Toulouse il courait les brelans, les fillettes, 6+6 b
420 Ne sachant plus dé le chiffre de ses dettes ; 6+6 b
Et puis, dans le grand monde, il s'arrangeait au mieux, 6+6 a
Pour conquérir l'estime un maintien sérieux, 6+6 a
Parlait modestement, tenait petite place, 6+6 b
Feignant de n'oser pas voir une dame en face. 6+6 b
425 Rien n'est vil, selon moi, comme ces jeunes gens 6+6 a
Qui, pour édifier des oncles exigeants, 6+6 a
Pour être en bonne odeur auprès des douairières, 6+6 b
Singent la gravité, mettent dans leurs manières 6+6 b
De la componction, de la discrétion… 6+6 a
430 J'en ai connu plus d'un, chez qui l'ambition 6+6 a
Avait rendu le cœur et la pensée arides : 6+6 b
Non, non, rien de plus laid que ces vieillards sans rides. 6+6 b
Celui-ci, sans risquer son nom et son crédit, 6+6 a
Près des dames poussait sa pointe… à ce qu'on dit. 6+6 a
435 C'est Tartufe vêtu du frac de notre époque, 6+6 b
Ayant quitté l'air sombre et la noire défroque, 6+6 b
Soupirant la romance et dansant le galop. 6+6 a
T'en faut-il davantage ?
— Oh ! non, car j'en sais trop, » 6+6 a
S'écria Paul Firmin.
Sa pâleur éloquente, 6+6 b
440 Sa respiration et pénible et fréquente, 6+6 b
Tout annonçait chez lui quelque effort violent. 6+6 a
« — Grand merci, reprit-il d'un accent triste et lent. 6+6 a
Tu m'as donné, mon cher, des détails…
— Véridiques. 6+6 b
— C'est entre nous !
— Fort bien, si je fais des chroniques, 6+6 b
445 C'est afin de gagner un peu d'argent comptant. 6+6 a
Mais m'a-t-on jamais vu moi-même colportant 6+6 a
Les méchants bruits, l'aigreur des propos, le scandale ? 6+6 b
Caron fut de tout temps l'ami de la morale : 6+6 b
Or, pour la pratiquer à son aise, mon cher, 6+6 a
450 Il faut de la fortune, et la vertu c'est cher. 6+6 a
De votre opinion resterez-vous le maître 6+6 b
Lorsqu'aux goûts des puissants vous devez vous soumettre ? 6+6 b
Irez-vous… Tiens, tu pars le premier ?
— Oui.
— Firmin, 6+6 a
Attends donc.
— J'ai grand mal à la tête.
— Demain 6+6 a
J'irai te voir.
— Demain ?
455 — J'ai besoin d'un service. 6+6 b
D'une heure de ton temps fais-moi le sacrifice. 6+6 b
— Oh ! s'il en est ainsi, je t'attendrai chez moi, 6+6 a
Et nous déjnerons ensemble.
— Sur ma foi, 6+6 a
Je serai ponctuel : c'est ma première étude ; 6+6 b
460 Toujours mon estomac fut plein d'exactitude. » 6+6 b
Firmin partit.
« — Le fou ! dit Caron in petto, 6+6 a
Sicut nycticorax in domicilio, 6+6 a
Il restera toujours fantasque et solitaire. 6+6 b
Hélas ! que la Fortune est aveugle sur terre ! 6+6 b
465 Avec l'argent que Paul tient si mal dans sa main, 6+6 a
Comme depuis longtemps j'eusse fait mon chemin !… 6+6 a
Messieurs, amusez-vous. Ça languit. Du tapage ! 6+6 b
Vive-Dieu ! vous semblez épargner mon ménage. 6+6 b
Dansons, sautons ! A bas la raison, ventrebleu ! 6+6 a
470 Qu'on agite le punch ! C'est là le plus beau feu ! » 6+6 a
Les voilà tous en train. De leur ivresse obscène 6+6 b
Nous n'entreprendrons pas de retracer la scène. 6+6 b
Mille propos grivois, baroques, saugrenus, 6+6 a
De fades quolibets, des calembours connus 6+6 a
475 S'échangent, — comme on voit les rapides fues 6+6 b
S'élever dans les airs et retomber croies. 6+6 b
Et dire que ces fous, avant l'âge flétris, 6+6 a
Sont pour étudier envoyés à Paris ; 6+6 a
Qu'ils seront médecins, juges !… En conscience 6+6 b
480 Prennent-ils le chemin qui mène à la science ? 6+6 b
Est-ce dans les plaisirs grossiers et dissolus, 6+6 a
Que tous ces appelés deviendront des élus ? 6+6 a
Cécile souriait… tantôt embarrassée, 6+6 b
Tantôt vers cette vie égarant sa pene ; 6+6 b
485 Rouge, tout étonnée, interdite à ce bruit 6+6 a
Que faisaient les viveurs dans un étroit réduit. 6+6 a
Les compliments étaient d'une brusque franchise 6+6 b
Qui pouvait l'étonner sans l'avoir compromise. 6+6 b
Vingt bouches à la fois exaltaient sa beauté… 6+6 a
490 Seul, Fortunat faisait un muet à parté, 6+6 a
Roulant plus que jamais dans son cœur et sa tête 6+6 b
Le plan audacieux d'une telle conquête ; 6+6 b
Mais comme tout plaisir doit avoir une fin, 6+6 a
Aux clochers d'alentour minuit sonnait enfin. 6+6 a
Or, on frappe à la porte.
495 « — Eh ! c'est monsieur Vandamme, 6+6 b
Cerbère de l'hôtel. Comment va votre femme, 6+6 b
Môsieur ? et vos enfants, Môsieur ! et votre chien ? 6+6 a
— Vous faites trop de bruit, Messieurs, ça n'est pas bien, 6+6 a
Et j'ai l'ordre formel de la propriétaire 6+6 b
— Va-t'en, vieux soliveau !
500 — Ne veut-il pas se taire ! 6+6 b
— J'ai l'ordre d'empêcher tout dégât et tout bruit. 6+6 a
Il est tard.
— Pas si tard.
— Comment ? il est minuit. 6+6 a
— Rallume ton quinquet.
Entretiens ta veilleuse. 6+6 b
— Messieurs, les bonnes mœurs…
— C'est de la viande creuse. 6+6 b
505 — Eh bien, séparons-nous, dit Caron, il le faut. 6+6 a
Au revoir ! dit le chœur en entonnant très-haut : 6+6 a
« Eh ! ioup, eh ! ioup, eh ! ioup ! 6
« Tra la la 3
« Messieurs les étudiants s'en vont à la Chaumière 6+6 b
510 « Pour danser le Cancan et la Robert-Macaire. 6+6 b
« Toujours, toujours 4 a
« Triomphent les amours ! 6 a
« Eh ! ioup, eh ! ioup, eh ! ioup ! » 6
Tra la la. » 3
mètre profils métriques : 6, 3, 6+6, (4)
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