Métrique en Ligne
DSA_1/DSA2
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
I
UN BAL DU GRAND MONDE
C'était le trois janvier, — en mil huit cent quarante. 6+6 a
Un noble lord, atteint d'un million de rente, 6+6 a
Avait, dans son hôtel du faubourg Saint-Germain, 6+6 b
— Cet hôtel dont les arts connaissent le chemin, 6+6 b
5 — Convoqué tout Paris. C'est le terme d'usage. 6+6 a
Paris, pour s'amuser, ferait un grand voyage, 6+6 a
Et sa suprême affaire est, je crois, le plaisir, 6+6 b
— Sylphe qui fuit toujours lorsqu'on va le saisir. 6+6 b
Et voilà que la foule, — élégante cohue, 6+6 a
10 — S'entasse ; les derniers venus sont dans la rue ; 6+6 a
Bien des gens sans entrer devront passer la nuit 6+6 b
Le raout de lord G. fera beaucoup de bruit. 6+6 b
Les lustres répandaient des torrents de lumière ; 6+6 a
Des corbeilles semaient une odeur printanière, 6+6 a
15 Tandis que, de l'orchestre aux merveilleux accords, 6+6 b
L'ardeur eût ranimé doctrinaires et morts. 6+6 b
Cicéri, Duponchel, dans ce palais de fées 6+6 a
Avaient comme à l'envi réuni leurs trophées. 6+6 a
Nul sans s'extasier n'y pouvait faire un pas . 6+6 b
20 Hope même et Rothschild applaudissaient tout bas. 6+6 b
Par la voix de l'huissier les grands noms retentissent : 6+6 a
Beaucoup de sommités, il est vrai, rapetissent, 6+6 a
Et plus d'un pair de France est effacé devant 6+6 b
Un poëte, un artiste, un guerrier, un savant. 6+6 b
25 Cette digression n'est plus qu'une redite, 6+6 a
D'après maint philosophe ; ainsi donc passons vite. 6+6 a
Laissons les députés échanger des saluts ; 6+6 b
Car on vient d'annoncer, ce qui nous émeut plus, 6+6 b
Berryer, Ingres, Vernet, Delacroix, Lamartine : 6+6 a
30 Lamartine, oublieux de sa muse divine ; 6+6 a
Politique apprenti, poëte déserteur, 6+6 b
Honteux de son génie, il veut être orateur. 6+6 b
Viennet, Lebrun, Musset, m'apparaissent encore ; 6+6 a
Près des astres pâlis, l'astre qui vient d'éclore ; 6+6 a
35 Puis Émile Deschamps, le poëte charmant, 6+6 b
Qui marche dans la vie ainsi qu'en un roman ; 6+6 b
Alexandre Dumas, conteur infatigable, 6+6 a
Et qui sème l'esprit comme on jette le sable ; 6+6 a
Maquet, son adjudant : amis et non rivaux, 6+6 b
40 Ces Hercules ont fait plus de douze travaux. 6+6 b
Assez modestement George Sand se dérobe 6+6 a
Aux regards… Il est vrai qu'il ou qu'elle est en robe. 6+6 a
Plus loin, je vois poser dans un coin à l'écart 6+6 b
Un grave observateur : c'est notre Alphonse Karr, 6+6 b
45 Chez qui l'on trouve, par un assemblage unique, 6−6 a
Joint au bon sens français l'idéal germanique. 6+6 a
Il paraît confiant… Pourtant certain bas-bleu 6+6 b
N'est pas très-loin de lui… Quelle muse, corbleu ! 6+6 b
Malheur à qui n'est pas à genoux devant elle ! 6+6 a
50 Vous l'avez en rêvant, mon cher, échappé belle. 6+6 a
Listz est là ; ses longs doigts cherchent un piano. 6+6 b
Dorus et Géraldy chanteront un duo. 6+6 b
Meyerbeer a daigné venir à cette fête : 6+6 a
Mais croyez qu'il s'inspire en pensant au Prophète. 6+6 a
55 Théophile Gautier est auprès de Méry : 6+6 b
Le succès grossit l'un, et l'autre en a maigri. 6+6 b
On ne pourrait compter les talents et les gloires ; 6+6 a
Pour les enregistrer il faudrait dix mémoires. 6+6 a
j'allais passer Gozlan, au regard espagnol ; 6+6 b
60 Soulié, que la mort seule arrêta dans son vol ; 6+6 b
Alexandre Soumet, dont la verve enflammée 6+6 a
Contraste avec l'aspect si froid de Mérimée ; 6+6 a
Beauvoir, ce talon rouge en un siècle pesant ; 6+6 b
Balzac, grand écrivain sous un masque plaisant ; 6+6 b
65 Janin, critique fin, causeur que chacun aime, 6+6 a
Toujours neuf en brodant toujours sur un seul thème, 6+6 a
Et qui fait, à propos de nos faibles essais, 6+6 b
La bonne comédie avec tant de succès ; 6+6 b
Sainte-Beuve, aristarque aussi bien que poëte, 6+6 a
70 — Le crayon incisif et la vive palette ; 6+6 a
Berlioz l'incompris ; le comte de Vigny 6+6 b
Qui, ciseleur du style, en est le Cellini ; 6+6 b
Chasles, cet érudit grâce auquel l'Angleterre 6+6 a
Pour nous depuis longtemps n'a plus aucun mystère ; 6+6 a
75 Planche le doctoral, son martinet en main ; 6+6 b
L'école avec messieurs Cousin et Villemain, 6+6 b
Rhéteurs qui portent haut leur air de suffisance 6+6 a
De tout temps les pédants gouvernèrent la France ; 6+6 a
Scribe, l'adroit protée en tout genre vainqueur ; 6+6 b
80 Desbordes qui ne sait s'inspirer que du cœur ; 6+6 b
De Luynes que les arts ont nommé leur Mécène ; 6+6 a
Delavigne, trop tôt enlevé de la scène 6+6 a
Mais le vide funèbre est comblé tôt ou tard, 6+6 b
Et nous applaudirons Augier, Lacroix, Ponsard ; 6+6 b
85 Anaïs Ségalas, cette mère qui chante 6+6 a
Près d'un berceau d'enfant quelque strophe touchante ; 6+6 a
Ferai qui doit un jour, quittant les rangs obscurs, 6+6 b
De ses titres fameux barioler nos murs. 6+6 b
Cet acteur, dont le front a reçu plus d'un masque, 6+6 a
90 C'est Girardin, esprit remuant et fantasque, 6+6 a
Et qui voudrait, — dût-il semer partout le deuil, — 6+6 b
Donner le monde entier pour cadre à son orgueil. 6+6 b
Sous ses ardents regards le pouvoir qui s'étale 6+6 a
Cause à ce malcontent les douleurs de Tantale. 6+6 a
95 Oh ! s'il pouvait avoir le pays dans sa main ! 6+6 b
S'il pouvait devant lui pousser le genre humain ! 6+6 b
C'est alors qu'on verrait briller la commandite 6+6 a
Mais quoi ! nul ne l'entend… la France est donc maudite ? 6+6 a
Les démocs le vengeant de ce cruel dédain, 6+6 b
100 Un jour auprès d'Hugo placeront Girardin 6+6 b
Sur ce banc infernal où Lamennais, dans l'ombre, 6+6 a
Sent passer le remords sur son visage sombre, 6+6 a
Et repoussé de ceux qui d'abord l'ont béni, 6+6 b
N'a pour le consoler que Sand et Mazzini. 6+6 b
105 Dans ce brillant raout, le parti royaliste 6+6 a
Peut se glorifier d'une assez belle liste : 6+6 a
La Rochejacquelein, Larcy, Béchard, Muret, 6+6 b
Nettement, de Valmy, Rovigo, Pastoret. 6+6 b
Un ministre a paru, portant sur sa poitrine 6+6 a
110 La croix de commandeur ; vite chacun s'incline ; 6+6 a
C'est à qui d'un salut bien humble, bien profond, 6+6 b
Flattera l'Excellence ; et quel assaut ils font 6+6 b
Tous ces quêteurs d'emplois, solliciteurs avides ! 6+6 a
Des vieillards étaient là. Sur leurs faces livides 6+6 a
115 On lisait un espoir, — un ridicule espoir, 6+6 b
— Comme s'ils n'étaient pas dans les ombres du soir. 6+6 b
Automates musqués, Adonis en perruque, 6+6 a
Ils prêtaient un sourire à leur bouche caduque 6+6 a
On eût dit qu'ils étaient bien sûrs du lendemain, 6+6 b
120 Tant ils semblaient songer à faire leur chemin. 6+6 b
Près d'eux étaient aussi des jeunes gens imberbes, 6+6 a
Portant un vaste orgueil avec des airs superbes 6+6 a
Diplomates d'hier, mendiants de salons, 6+6 b
Et qui rêvent déjà la croix et les galons, 6+6 b
125 Quand sur leur lèvre ouverte à l'amertume, au doute, 6+6 a
Le lait de la nourrice a laissé quelque goutte ! 6+6 a
Jeune homme impatient, — ambitieux vieillard, 6+6 b
L'un commence trop tôt, l'autre finit trop tard. 6+6 b
Mendier, courtiser, c'est un besoin en France ; 6+6 a
130 A tout astre nouveau s'attache une espérance. 6+6 a
La gent solliciteuse est toujours prête à voir 6+6 b
Se lever dans le ciel l'aurore d'un pouvoir. 6+6 b
Le chien qui quête un os et que du pied l'on chasse 6+6 a
N'a ni le cœur plus vil, ni l'échine plus basse. 6+6 a
135 C'est qu'il faut tant d'argent pour briller à Paris ! 6+6 b
Les immenses besoins font les petits esprits. 6+6 b
Je vous ai dénombré poëtes et critiques, 6+6 a
Je pourrais bien nommer les hommes politiques, 6+6 a
Tous les partis formant divers groupes épais, 6+6 b
140 Et, pour une soirée, ayant conclu la paix. 6+6 b
A cet air sérieux, à cet œil méthodiste, 6+6 a
Reconnaissez Guizot, en tête de la liste ; 6+6 a
Thiers, cet esprit subtil, adroit, toujours hardi, 6+6 b
Un Figaro de plus donné par le Midi ; 6+6 b
145 Salvandy…, de Colbert il enviait la gloire, 6+6 a
Les lettres lui feront une part dans l'histoire ; 6+6 a
Barrot, qui se grisant de popularité, 6+6 b
Voulut, mais ne sut pas régler la liberté ; 6+6 b
Montalembert, si jeune et si grand… l'éloquence 6+6 a
150 Ainsi que d'un volcan jaillit de sa croyance ; 6+6 a
Pasquier, Molé, Séguier, adroits caméléons, 6+6 b
Sur le tréteau public éternels histrions ; 6+6 b
Rambuteau, ce marquis échappé de Versaille ; 6+6 a
Persil, cet affamé qui dans le budget taille ; 6+6 a
155 Bugeaud, brave soldat ; Garnot qui n'a qu'un nom 6+6 b
Et puis dix généraux, sans valeur, sans renom, 6+6 b
Courtisans qui, trompant le maître aux Tuileries. 6+6 a
Lutteront de mensonge et de forfanteries, 6+6 a
Et qui, dans son malheur, le laisseront tout seul 6+6 b
160 Traîner sa royauté couverte d'un linceul. 6+6 b
Car nous ne sommes plus au temps où, pour sa cause, 6+6 a
Un homme sans pâlir à mille morts s'expose ; 6+6 a
Les rois dans le danger ne trouvent plus d'appui : 6+6 b
Ils avaient cent flatteurs — et pas un Tanneguy. 6+6 b
165 On s'empresse, l'on court… Rachel vient d'apparaître. 6+6 a
Déesse du grand art dont Talma fut le prêtre, 6+6 a
Elle entre fièrement avec son air romain, 6+6 b
Et plus d'un duc et pair vient lui presser la main. 6+6 b
Nous aurons donc ce soir les Fureurs d'Hermione ; 6+6 a
170 D'Arlincourt donnera la réplique en personne, 6+6 a
Et Rolle applaudira, comme un classique ardent 6+6 b
Qui pour broyer Hugo toujours eut une dent. 6+6 b
Ah ! vous avez, Milord, vraiment bien fait les choses. 6+6 a
Vos salons, pour Jailly, sont un bosquet de roses ! 6+6 a
175 Quelle est donc cette femme au visage rêveur ? 6+6 b
Sur son front jeune et lisse on lirait la candeur, 6+6 b
Front noble où pas un pli ne se dessine encore ; 6+6 a
Sa joue a le carmin dont la fleur se colore 6+6 a
Au soleil du printemps ; ses cheveux noirs et beaux 6+6 b
180 Côtoyant les sourcils descendent en bandeaux ; 6+6 b
Sa bouche gracieuse et vermeille est ornée 6+6 a
Du plus léger duvet ; sur sa peau satinée 6+6 a
Des signes sont jetés par un piquant hasard : 6+6 b
Chez elle la nature est étrangère à l'art. 6+6 b
185 Vous chercheriez en vain sur la belle personne 6+6 a
Des bijoux… A quoi bon ce que le luxe donne, 6+6 a
Quand la nature même, en modelant ses traits, 6+6 b
A voulu la combler de célestes attraits ? 6+6 b
Et pourtant on lirait au front de cette reine 6+6 a
190 — J'entends reine du bal — quelque secrète peine. 6+6 a
Est-ce le mal d'amour ? est-ce le mal d'ennui, 6+6 b
Compagnon assidu qui nous traîne après lui, 6+6 b
Envahit notre esprit, éteint notre pensée, 6+6 a
Et la quitte certain qu'elle est morne et glacée ? 6+6 a
195 Écoutons discourir deux jeunes merveilleux : 6+6 b
C'est les entendre tous que d'en entendre deux. 6+6 b
« — Tu dis donc, Enguerrand, que cette grande dame 6+6 a
— Du comte de Cercourt est la femme.
— Sa femme ! 6+6 a
Se peut-il ! c'est l'hiver enté sur le printemps. 6+6 b
200 — Tout juste. D'un côté l'on trouverait vingt ans ; 6+6 b
De l'autre, sans mentir, au moins la soixantaine. 6+6 a
— Bizarre accouplement !
— Ça te fait de la peine ? 6+6 a
— Non, du tout ; sans les vieux, maris très-indulgents, 6+6 b
Que deviendrions-nous, nous autres jeunes gens ? 6+6 b
205 — Madame de Cercourt semble occuper ta tête. 6+6 a
Arthur, ne tente pas une telle conquête : 6+6 a
La comtesse est dévote.
— Une mode aujourd'hui. 6+6 b
— L'époux est un sabreur.
— Je le suis plus que lui. 6+6 b
Va, ne me parle pas de dangers ou d'obstacles. 6+6 a
210 Une volonté ferme accomplit des miracles. 6+6 a
— Quoi ! tu songes déjà…
— Je ne sais rien encor 6+6 b
Peut-être j'aimerai. Mais j'admire d'abord. 6+6 b
— Crois-moi, n'embarque pas ta jeunesse joyeuse 6+6 a
Sur les flots incertains d'une mer orageuse. 6+6 a
215 Souvent, quand on se jette au devant du récif, 6+6 b
On voudrait arrêter la course de l'esquif ; 6+6 b
Mais en vain : car il faut que le sort s'accomplisse, 6+6 a
Qu'à la témérité l'on paie un sacrifice. 6+6 a
Je te parle en ami.
— Tu parles en rhéteur. 6+6 b
220 Mais c'est perdre ton temps et tes frais d'orateur ; 6+6 b
Je ne la connais pas, après tout, cette femme ; 6+6 a
Demain son souvenir aura quitté mon âme. 6+6 a
Ne me juge donc pas engagé comme un fou 6+6 b
Dans un piége infernal à me rompre le cou. 6+6 b
Mon regard est charmé, rien de plus.
225 — Ta parole ? 6+6 a
— J'en jure sur l'honneur. Il n'est pas une idole 6+6 a
Qui devant son autel pût me voir prosterné. 6+6 b
De me sentir épris je serais étonné. 6+6 b
Jouons avec l'amour, nous autres jeune France ; 6+6 a
230 Prenons-en la douceur et jamais la souffrance. 6+6 a
— Ah ! fort bien raisonné, mon très-cher. J'étais sûr 6+6 b
Que je retrouverais la sagesse d'Arthur. » 6+6 b
Tandis que se poursuit cet entretien intime, 6+6 a
Le bal éblouissant de plus en plus s'anime. 6+6 a
235 Les valses, les polkas, où cent bras vont s'unir, 6+6 b
Font en se succédant la chaîne du plaisir. 6+6 b
On chante, on lit des vers classiques, romantiques, 6+6 a
Tous critiqués— au bruit de bravos frénétiques. - 6+6 a
— On regarde beaucoup les toilettes du jour ; 6+6 b
240 Chaque dame est passée en revue à son tour. 6+6 b
Ailleurs, le lansquenet, ce reflet du Cent-treize, 6+6 a
Fait ruisseler de l'or ; on se ruine à l'aise. 6+6 a
Des vieillards acharnés, sur les caries blêmis, 6+6 b
Convoitent du regard l'argent de leurs amis ; 6+6 b
245 Ce sont pour la plupart des seigneurs de la Bourse : 6+6 a
On croirait qu'ils n'ont plus pour dernière ressource 6+6 a
Que le triste hasard d'un coup aventureux, 6+6 b
Tant la fureur du gain a mis de fièvre en eux. 6+6 b
Laissons-les, et suivons dans une galerie 6+6 a
250 Deux causeurs. Le premier sur sa face flétrie 6+6 a
Porte avec la laideur un magnifique aplomb ; 6+6 b
Le temps l'a fait ployer sous son manteau de plomb, 6+6 b
Mais n'a pu dépouiller le noble personnage 6+6 a
Du sourire éternel qui ride son visage ; 6+6 a
255 Un sourire bénin, froid, railleur, fatigant. 6+6 b
Surville fit jadis le voyage de Gand ; 6+6 b
Il eut sa bonne part dans les Traités de Vienne. 6+6 a
Les honneurs lui sont chers ; il sait, quoi qu'il advienne, 6+6 a
Au rang d'ambassadeur demeurer attaché ; 6+6 b
260 Et tout pourrait tomber sans qu'il eût trébuché. 6+6 b
Duc sous la branche aînée et pair sous la cadette, 6+6 a
Il croit à son pays avoir payé sa dette, 6+6 a
Parce qu'il a daigné prendre de tous les rois, 6+6 b
Au prix d'un peu d'encens, cordons, titres, emplois. 6+6 b
265 Il juge volontiers l'accusé politique ; 6+6 a
A servir tout pouvoir employant sa tactique, 6+6 a
Il pense toujours bien car avec les plus forts 6+6 b
Il sait mettre en commun son âme et ses efforts. 6+6 b
Dans le fait accompli réside sa morale ; 6+6 a
270 Ce qui n'entraîne pas de bruit ni de scandale 6+6 a
Est volontiers absous par cet homme d'état, 6+6 b
Par ce caméléon, type de l'apostat. 6+6 b
Aussi de Talleyrand il eut la confiance, 6+6 a
Et Pozzo l'honora de sa correspondance ; 6+6 a
275 Chez Monsieur d'Appony vous le trouvez souvent, 6+6 b
Vous le trouvez… partout où souffle le bon vent. 6+6 b
Bien qu'avec le vieux duc il soit au rang d'intime, 6+6 a
L'autre interlocuteur mérite toute estime : 6+6 a
Bon, brave, généreux et crédule à l'excès ; 6+6 b
280 Le type du soldat, du vrai troupier français. 6+6 b
C'est presque Stanislas, de Michel et Christine, 6+6 a
Le grognard d'autrefois que la goutte lutine 6+6 a
Et qui, dans ses foyers revenu pour toujours, 6+6 b
A défaut de Bellone invoque les Amours. 6+6 b
285 Pour finir le portrait de cet excellent homme 6+6 a
Dont parlaient nos lions, nous dirons qu'il se nomme 6+6 a
Le comte de Cercourt, et que le général 6+6 b
Est l'époux envié de la reine du bal. 6+6 b
Envié… Mais il tremble à lui voir tant de charmes. 6+6 a
290 Jamais on ne possède un trésor sans alarmes. 6+6 a
« — Mon ami, dit le duc, toujours en souriant, 6+6 b
Vous avez cette nuit un aspect effrayant. 6+6 b
Voulez-vous d'Othello recommencer l'histoire ? 6+6 a
Il sied d'être jaloux quand on a la peau noire ; 6+6 a
Mais vous, un vieux guerrier…
295 — Vieux, voilà le malheur. 6+6 b
Je ne suis point jaloux…
-Vraiment ?
— Non, sur l'honneur. 6+6 b
Mais le métier d'époux n'est pas semé de roses, 6+6 a
Et sans ouvrir beaucoup les yeux on voit des choses 6+6 a
— Pour moi je ne sais pas ce qui peut vous troubler ; 6+6 b
Votre femme est un ange !
300 — A ne vous rien celer, 6+6 b
Je trouve comme vous que ma femme est un ange ; 6+6 a
Mais on en voit tomber…
— Par quel caprice étrange, 6+6 a
Dit le duc ennuyé, par quel aveuglement 6+6 b
Semblez-vous rechercher un sombre dénoùment ? 6+6 b
305 C'est à vous tourmenter prendre tâche vous-même. 6+6 a
— C'est être soucieux de la femme que j'aime. 6+6 a
— Manque-t-elle jamais de tendresse envers vous ? 6+6 b
— Elle n'a que vingt ans. Je suis un vieil époux. 6+6 b
— Tout homme marié doit être philosophe. 6+6 a
310 — Mon cher, je ne suis pas d'une aussi bonne étoffe. 6+6 a
— Que prétendez-vous donc ? être adoré ?
— Non pas. 6+6 b
Mais je crains l'avenir.
— Oui, j'entends, les faux pas. 6+6 b
Que vous êtes enfant !
— Surville, je suis sage. 6+6 a
— Alors n'écoutez pas un sinistre présage ; 6+6 a
315 Jouissez du bonheur, jouissez du présent, 6+6 b
Et narguez l'avenir ; c'est bien plus amusant. 6+6 b
— Quoi ! n'avez-vous pas lu sur le front d'Amélie 6+6 a
Les ravages cruels de la mélancolie ? 6+6 a
— Il est vrai ; je conviens qu'il est fort dangereux 6+6 b
320 Qu'une femme s'ennuie… Eh bien ! cherchons tous deux 6+6 b
Le moyen de combattre avec quelque avantage 6+6 a
Le spleen, cet ennemi des douceurs du ménage. 6+6 a
Conduisez votre femme aux Eaux.
— Précisément 6+6 b
Elle est antipathique à ce délassement, 6+6 b
Et…
325 — N'en parlons donc plus. Avez-vous une loge 6+6 a
A l'Opéra ?
— Sans doute, et souvent je déroge 6+6 a
Jusqu'à mener ma femme au simple boulevard. 6+6 b
Elle adore le draine.
— Ah ! tant pis !
— Quelque part 6+6 b
Qu'on annonce un plaisir, aussitôt je me hâte 6+6 a
De le lui procurer.
330 — Et c'est ce qui la gâte. 6+6 a
Vous en avez trop fait, mon cher, je vous le dis. 6+6 b
Le rayon du soleil n'est bien chaud qu'à midi : 6+6 b
C'est ainsi qu'un mari, quand lui-même il s'observe, 6+6 a
Dispense prudemment les plaisirs, et réserve 6+6 a
335 Pour les jours à venir quelque distraction. 6+6 b
Mais bah ! soyez donc sage avec la passion ! 6+6 b
Savez-vous ce qu'il faut à votre femme, en somme ? 6+6 a
Un tiers dans la maison, un aimable jeune homme 6+6 a
Attentif et galant, enfin un compagnon. 6+6 b
— Vous me faites frémir. C'est un amant !
340 — Non, non ! 6+6 b
— La proposition est d'une étrange sorte. 6+6 a
— Vous allez la comprendre, elle n'est pas trop forte. 6+6 a
L'ennui, dit-on, naquit de l'uniformité : 6+6 b
Or cet hôte est venu dans votre intimité ; 6+6 b
345 Ainsi qu'une harpie il corrompt ce qu'il touche ; 6+6 a
Un souffle glacial s'exhale de sa bouche ; 6+6 a
Il vous faut le combattre, il faut mettre entre vous 6+6 b
Un tiers, un adjudant, qui seconde l'époux ; 6+6 b
Complaisant qui se voue au culte d'Amélie 6+6 a
350 Tout platoniquement, ainsi qu'en Italie 6+6 a
Ce service courtois échoit aux sigisbés. 6+6 b
— Peste soit des galants et des petits abbés ! 6+6 b
Me croyez-vous, mon cher, un mari de peinture ? 6+6 a
— Allons, modérez-vous et tentez l'aventure. 6+6 a
355 Votre femme s'ennuie ; eh bien ! occupez-la. 6+6 b
— Il est beau le moyen que vous m'indiquez là ! 6+6 b
— C'est l'unique, sinon je fais la prophétie 6+6 a
— Non, non, tenez-vous-en à la diplomatie. 6+6 a
Mais on nous écoutait !
— Vous rêvez. Nul hors nous 6+6 b
360 N'était dans ce salon. Que je plains les jaloux ! 6+6 b
Rentrons. »
Les deux amis regagnèrent leur place. 6+6 a
Madame de Cercourt, se trouvant déjà lasse, 6+6 a
Voulut partir avant le moment du souper ; 6+6 b
Et bientôt retentit son élégant coupé 6+6 b
365 Ramenant vers l'hôtel la charmante comtesse, 6+6 a
Les fleurs au front, — le cœur tout rempli de tristesse. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 183((aa))
logo du CRISCO logo de l'université