Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DSA_1/DSA2
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
I
UN BAL DU GRAND MONDE
C'était le trois janvier, | — en mil huit cent quarante. 6+6 a
Un noble lord, atteint | d'un million de rente, 6+6 a
Avait, dans son hôtel | du faubourg Saint-Germain, 6+6 b
— Cet hôtel dont les arts | connaissent le chemin, 6+6 b
5 — Convoqué tout Paris. | C'est le terme d'usage. 6+6 a
Paris, pour s'amuser, | ferait un grand voyage, 6+6 a
Et sa suprême affaire | est, je crois, le plaisir, 6+6 b
— Sylphe qui fuit toujours | lorsqu'on va le saisir. 6+6 b
Et voilà que la foule, | — élégante cohue, 6+6 a
10 — S'entasse ; les derniers | venus sont dans la rue ; 6+6 a
Bien des gens sans entrer | devront passer la nuit… 6+6 b
Le raout de lord G |. fera beaucoup de bruit. 6+6 b
Les lustres répandaient | des torrents de lumière ; 6+6 a
Des corbeilles semaient | une odeur printanière, 6+6 a
15 Tandis que, de l'orchestre | aux merveilleux accords, 6+6 b
L'ardeur eût ranimé | doctrinaires et morts. 6+6 b
Cicéri, Duponchel, | dans ce palais de fées 6+6 a
Avaient comme à l'envi | réuni leurs trophées. 6+6 a
Nul sans s'extasier | n'y pouvait faire un pas . 6+6 b
20 Hope même et Rothschild | applaudissaient tout bas. 6+6 b
Par la voix de l'huissier | les grands noms retentissent : 6+6 a
Beaucoup de sommités, | il est vrai, rapetissent, 6+6 a
Et plus d'un pair de France | est effacé devant 6+6 b
Un poëte, un artiste, | un guerrier, un savant. 6+6 b
25 Cette digression | n'est plus qu'une redite, 6+6 a
D'après maint philosophe ; | ainsi donc passons vite. 6+6 a
Laissons les députés | échanger des saluts ; 6+6 b
Car on vient d'annoncer, | ce qui nous émeut plus, 6+6 b
Berryer, Ingres, Vernet, | Delacroix, Lamartine : 6+6 a
30 Lamartine, oublieux | de sa muse divine ; 6+6 a
Politique apprenti, | poëte déserteur, 6+6 b
Honteux de son génie, | il veut être orateur. 6+6 b
Viennet, Lebrun, Musset, | m'apparaissent encore ; 6+6 a
Près des astres pâlis, | l'astre qui vient d'éclore ; 6+6 a
35 Puis Émile Deschamps, | le poëte charmant, 6+6 b
Qui marche dans la vie | ainsi qu'en un roman ; 6+6 b
Alexandre Dumas, | conteur infatigable, 6+6 a
Et qui sème l'esprit | comme on jette le sable ; 6+6 a
Maquet, son adjudant : | amis et non rivaux, 6+6 b
40 Ces Hercules ont fait | plus de douze travaux. 6+6 b
Assez modestement | George Sand se dérobe 6+6 a
Aux regards… Il est vrai | qu'il ou qu'elle est en robe. 6+6 a
Plus loin, je vois poser | dans un coin à l'écart 6+6 b
Un grave observateur : | c'est notre Alphonse Karr, 6+6 b
45 Chez qui l'on trouve, par | un assemblage unique, 6−6 a
Joint au bon sens français | l'idéal germanique. 6+6 a
Il paraît confiant… | Pourtant certain bas-bleu 6+6 b
N'est pas très-loin de lui… | Quelle muse, corbleu ! 6+6 b
Malheur à qui n'est pas | à genoux devant elle ! 6+6 a
50 Vous l'avez en rêvant, | mon cher, échappé belle. 6+6 a
Listz est là ; ses longs doigts | cherchent un piano. 6+6 b
Dorus et Géraldy | chanteront un duo. 6+6 b
Meyerbeer a daigné | venir à cette fête : 6+6 a
Mais croyez qu'il s'inspire | en pensant au Prophète. 6+6 a
55 Théophile Gautier | est auprès de Méry : 6+6 b
Le succès grossit l'un, | et l'autre en a maigri. 6+6 b
On ne pourrait compter | les talents et les gloires ; 6+6 a
Pour les enregistrer | il faudrait dix mémoires. 6+6 a
j'allais passer Gozlan, | au regard espagnol ; 6+6 b
60 Soulié, que la mort seule | arrêta dans son vol ; 6+6 b
Alexandre Soumet, | dont la verve enflammée 6+6 a
Contraste avec l'aspect | si froid de Mérimée ; 6+6 a
Beauvoir, ce talon rouge | en un siècle pesant ; 6+6 b
Balzac, grand écrivain | sous un masque plaisant ; 6+6 b
65 Janin, critique fin, | causeur que chacun aime, 6+6 a
Toujours neuf en brodant | toujours sur un seul thème, 6+6 a
Et qui fait, à propos | de nos faibles essais, 6+6 b
La bonne comédie | avec tant de succès ; 6+6 b
Sainte-Beuve, aristarque | aussi bien que poëte, 6+6 a
70 — Le crayon incisif | et la vive palette ; 6+6 a
Berlioz l'incompris ; | le comte de Vigny 6+6 b
Qui, ciseleur du style, | en est le Cellini ; 6+6 b
Chasles, cet érudit | grâce auquel l'Angleterre 6+6 a
Pour nous depuis longtemps | n'a plus aucun mystère ; 6+6 a
75 Planche le doctoral, | son martinet en main ; 6+6 b
L'école avec messieurs | Cousin et Villemain, 6+6 b
Rhéteurs qui portent haut | leur air de suffisance… 6+6 a
De tout temps les pédants | gouvernèrent la France ; 6+6 a
Scribe, l'adroit protée | en tout genre vainqueur ; 6+6 b
80 Desbordes qui ne sait | s'inspirer que du cœur ; 6+6 b
De Luynes que les arts | ont nommé leur Mécène ; 6+6 a
Delavigne, trop tôt | enlevé de la scène… 6+6 a
Mais le vide funèbre | est comblé tôt ou tard, 6+6 b
Et nous applaudirons | Augier, Lacroix, Ponsard ; 6+6 b
85 Anaïs Ségalas, | cette mère qui chante 6+6 a
Près d'un berceau d'enfant | quelque strophe touchante ; 6+6 a
Ferai qui doit un jour, | quittant les rangs obscurs, 6+6 b
De ses titres fameux | barioler nos murs. 6+6 b
Cet acteur, dont le front | a reçu plus d'un masque, 6+6 a
90 C'est Girardin, esprit | remuant et fantasque, 6+6 a
Et qui voudrait, — dût-il | semer partout le deuil, — 6+6 b
Donner le monde entier | pour cadre à son orgueil. 6+6 b
Sous ses ardents regards | le pouvoir qui s'étale 6+6 a
Cause à ce malcontent | les douleurs de Tantale. 6+6 a
95 Oh ! s'il pouvait avoir | le pays dans sa main ! 6+6 b
S'il pouvait devant lui | pousser le genre humain ! 6+6 b
C'est alors qu'on verrait | briller la commandite… 6+6 a
Mais quoi ! nul ne l'entend… | la France est donc maudite ? 6+6 a
Les démocs le vengeant | de ce cruel dédain, 6+6 b
100 Un jour auprès d'Hugo | placeront Girardin 6+6 b
Sur ce banc infernal | où Lamennais, dans l'ombre, 6+6 a
Sent passer le remords | sur son visage sombre, 6+6 a
Et repoussé de ceux | qui d'abord l'ont béni, 6+6 b
N'a pour le consoler | que Sand et Mazzini. 6+6 b
105 Dans ce brillant raout, | le parti royaliste 6+6 a
Peut se glorifier | d'une assez belle liste : 6+6 a
La Rochejacquelein, | Larcy, Béchard, Muret, 6+6 b
Nettement, de Valmy, | Rovigo, Pastoret. 6+6 b
Un ministre a paru, | portant sur sa poitrine 6+6 a
110 La croix de commandeur ; | vite chacun s'incline ; 6+6 a
C'est à qui d'un salut | bien humble, bien profond, 6+6 b
Flattera l'Excellence ; | et quel assaut ils font 6+6 b
Tous ces quêteurs d'emplois, | solliciteurs avides ! 6+6 a
Des vieillards étaient là. | Sur leurs faces livides 6+6 a
115 On lisait un espoir, |un ridicule espoir, 6+6 b
— Comme s'ils n'étaient pas | dans les ombres du soir. 6+6 b
Automates musqués, | Adonis en perruque, 6+6 a
Ils prêtaient un sourire | à leur bouche caduque… 6+6 a
On eût dit qu'ils étaient | bien sûrs du lendemain, 6+6 b
120 Tant ils semblaient songer | à faire leur chemin. 6+6 b
Près d'eux étaient aussi | des jeunes gens imberbes, 6+6 a
Portant un vaste orgueil | avec des airs superbes 6+6 a
Diplomates d'hier, | mendiants de salons, 6+6 b
Et qui rêvent déjà | la croix et les galons, 6+6 b
125 Quand sur leur lèvre ouverte | à l'amertume, au doute, 6+6 a
Le lait de la nourrice | a laissé quelque goutte ! 6+6 a
Jeune homme impatient, | — ambitieux vieillard, 6+6 b
L'un commence trop tôt, | l'autre finit trop tard. 6+6 b
Mendier, courtiser, | c'est un besoin en France ; 6+6 a
130 A tout astre nouveau | s'attache une espérance. 6+6 a
La gent solliciteuse | est toujours prête à voir 6+6 b
Se lever dans le ciel | l'aurore d'un pouvoir. 6+6 b
Le chien qui quête un os | et que du pied l'on chasse 6+6 a
N'a ni le cœur plus vil, | ni l'échine plus basse. 6+6 a
135 C'est qu'il faut tant d'argent | pour briller à Paris ! 6+6 b
Les immenses besoins | font les petits esprits. 6+6 b
Je vous ai dénombré | poëtes et critiques, 6+6 a
Je pourrais bien nommer | les hommes politiques, 6+6 a
Tous les partis formant | divers groupes épais, 6+6 b
140 Et, pour une soirée, | ayant conclu la paix. 6+6 b
A cet air sérieux, | à cet œil méthodiste, 6+6 a
Reconnaissez Guizot, | en tête de la liste ; 6+6 a
Thiers, cet esprit subtil, | adroit, toujours hardi, 6+6 b
Un Figaro de plus | donné par le Midi ; 6+6 b
145 Salvandy…, de Colbert | il enviait la gloire, 6+6 a
Les lettres lui feront | une part dans l'histoire ; 6+6 a
Barrot, qui se grisant | de popularité, 6+6 b
Voulut, mais ne sut pas | régler la liberté ; 6+6 b
Montalembert, si jeune | et si grand… l'éloquence 6+6 a
150 Ainsi que d'un volcan | jaillit de sa croyance ; 6+6 a
Pasquier, Molé, Séguier, | adroits caméléons, 6+6 b
Sur le tréteau public | éternels histrions ; 6+6 b
Rambuteau, ce marquis | échappé de Versaille ; 6+6 a
Persil, cet affamé | qui dans le budget taille ; 6+6 a
155 Bugeaud, brave soldat ; | Garnot qui n'a qu'un nom… 6+6 b
Et puis dix généraux, | sans valeur, sans renom, 6+6 b
Courtisans qui, trompant | le maître aux Tuileries. 6+6 a
Lutteront de mensonge | et de forfanteries, 6+6 a
Et qui, dans son malheur, | le laisseront tout seul 6+6 b
160 Traîner sa royauté | couverte d'un linceul. 6+6 b
Car nous ne sommes plus | au temps où, pour sa cause, 6+6 a
Un homme sans pâlir | à mille morts s'expose ; 6+6 a
Les rois dans le danger | ne trouvent plus d'appui : 6+6 b
Ils avaient cent flatteurs — | et pas un Tanneguy. 6+6 b
165 On s'empresse, l'on court… | Rachel vient d'apparaître. 6+6 a
Déesse du grand art | dont Talma fut le prêtre, 6+6 a
Elle entre fièrement | avec son air romain, 6+6 b
Et plus d'un duc et pair | vient lui presser la main. 6+6 b
Nous aurons donc ce soir | les Fureurs d'Hermione ; 6+6 a
170 D'Arlincourt donnera | la réplique en personne, 6+6 a
Et Rolle applaudira, | comme un classique ardent 6+6 b
Qui pour broyer Hugo | toujours eut une dent. 6+6 b
Ah ! vous avez, Milord, | vraiment bien fait les choses. 6+6 a
Vos salons, pour Jailly, | sont un bosquet de roses ! 6+6 a
175 Quelle est donc cette femme | au visage rêveur ? 6+6 b
Sur son front jeune et lisse | on lirait la candeur, 6+6 b
Front noble où pas un pli | ne se dessine encore ; 6+6 a
Sa joue a le carmin | dont la fleur se colore 6+6 a
Au soleil du printemps ; | ses cheveux noirs et beaux 6+6 b
180 Côtoyant les sourcils | descendent en bandeaux ; 6+6 b
Sa bouche gracieuse | et vermeille est ornée 6+6 a
Du plus léger duvet ; | sur sa peau satinée 6+6 a
Des signes sont jetés | par un piquant hasard : 6+6 b
Chez elle la nature | est étrangère à l'art. 6+6 b
185 Vous chercheriez en vain | sur la belle personne 6+6 a
Des bijoux… A quoi bon | ce que le luxe donne, 6+6 a
Quand la nature même, | en modelant ses traits, 6+6 b
A voulu la combler | de célestes attraits ? 6+6 b
Et pourtant on lirait | au front de cette reine 6+6 a
190 — J'entends reine du bal — | quelque secrète peine. 6+6 a
Est-ce le mal d'amour ? | est-ce le mal d'ennui, 6+6 b
Compagnon assidu | qui nous traîne après lui, 6+6 b
Envahit notre esprit, | éteint notre pensée, 6+6 a
Et la quitte certain | qu'elle est morne et glacée ? 6+6 a
195 Écoutons discourir | deux jeunes merveilleux : 6+6 b
C'est les entendre tous | que d'en entendre deux. 6+6 b
« — Tu dis donc, Enguerrand, | que cette grande dame… 6+6 a
— Du comte de Cercourt | est la femme.
— Sa femme ! 6+6 a
Se peut-il ! c'est l'hiver | enté sur le printemps. 6+6 b
200 — Tout juste. D'un côté | l'on trouverait vingt ans ; 6+6 b
De l'autre, sans mentir, | au moins la soixantaine. 6+6 a
— Bizarre accouplement ! |
— Ça te fait de la peine ? 6+6 a
— Non, du tout ; sans les vieux, | maris très-indulgents, 6+6 b
Que deviendrions-nous, | nous autres jeunes gens ? 6+6 b
205 — Madame de Cercourt | semble occuper ta tête. 6+6 a
Arthur, ne tente pas | une telle conquête : 6+6 a
La comtesse est dévote. |
— Une mode aujourd'hui. 6+6 b
— L'époux est un sabreur. |
— Je le suis plus que lui. 6+6 b
Va, ne me parle pas | de dangers ou d'obstacles. 6+6 a
210 Une volonté ferme | accomplit des miracles. 6+6 a
— Quoi ! tu songes déjà… |
— Je ne sais rien encor… 6+6 b
Peut-être j'aimerai. | Mais j'admire d'abord. 6+6 b
— Crois-moi, n'embarque pas | ta jeunesse joyeuse 6+6 a
Sur les flots incertains | d'une mer orageuse. 6+6 a
215 Souvent, quand on se jette | au devant du récif, 6+6 b
On voudrait arrêter | la course de l'esquif ; 6+6 b
Mais en vain : car il faut | que le sort s'accomplisse, 6+6 a
Qu'à la témérité | l'on paie un sacrifice. 6+6 a
Je te parle en ami. |
— Tu parles en rhéteur. 6+6 b
220 Mais c'est perdre ton temps | et tes frais d'orateur ; 6+6 b
Je ne la connais pas, | après tout, cette femme ; 6+6 a
Demain son souvenir | aura quitté mon âme. 6+6 a
Ne me juge donc pas | engagé comme un fou 6+6 b
Dans un piége infernal | à me rompre le cou. 6+6 b
Mon regard est charmé, | rien de plus.
225 — Ta parole ? 6+6 a
— J'en jure sur l'honneur. | Il n'est pas une idole 6+6 a
Qui devant son autel | pût me voir prosterné. 6+6 b
De me sentir épris | je serais étonné. 6+6 b
Jouons avec l'amour, | nous autres jeune France ; 6+6 a
230 Prenons-en la douceur | et jamais la souffrance. 6+6 a
— Ah ! fort bien raisonné, | mon très-cher. J'étais sûr 6+6 b
Que je retrouverais | la sagesse d'Arthur. » 6+6 b
Tandis que se poursuit | cet entretien intime, 6+6 a
Le bal éblouissant | de plus en plus s'anime. 6+6 a
235 Les valses, les polkas, | où cent bras vont s'unir, 6+6 b
Font en se succédant | la chaîne du plaisir. 6+6 b
On chante, on lit des vers | classiques, romantiques, 6+6 a
Tous critiqués— au bruit | de bravos frénétiques. - 6+6 a
On regarde beaucoup | les toilettes du jour ; 6+6 b
240 Chaque dame est passée | en revue à son tour. 6+6 b
Ailleurs, le lansquenet, | ce reflet du Cent-treize, 6+6 a
Fait ruisseler de l'or ; | on se ruine à l'aise. 6+6 a
Des vieillards acharnés, | sur les caries blêmis, 6+6 b
Convoitent du regard | l'argent de leurs amis ; 6+6 b
245 Ce sont pour la plupart | des seigneurs de la Bourse : 6+6 a
On croirait qu'ils n'ont plus | pour dernière ressource 6+6 a
Que le triste hasard | d'un coup aventureux, 6+6 b
Tant la fureur du gain | a mis de fièvre en eux. 6+6 b
Laissons-les, et suivons | dans une galerie 6+6 a
250 Deux causeurs. Le premier | sur sa face flétrie 6+6 a
Porte avec la laideur | un magnifique aplomb ; 6+6 b
Le temps l'a fait ployer | sous son manteau de plomb, 6+6 b
Mais n'a pu dépouiller | le noble personnage 6+6 a
Du sourire éternel | qui ride son visage ; 6+6 a
255 Un sourire bénin, | froid, railleur, fatigant. 6+6 b
Surville fit jadis | le voyage de Gand ; 6+6 b
Il eut sa bonne part | dans les Traités de Vienne. 6+6 a
Les honneurs lui sont chers ; | il sait, quoi qu'il advienne, 6+6 a
Au rang d'ambassadeur | demeurer attaché ; 6+6 b
260 Et tout pourrait tomber | sans qu'il eût trébuché. 6+6 b
Duc sous la branche aînée | et pair sous la cadette, 6+6 a
Il croit à son pays | avoir payé sa dette, 6+6 a
Parce qu'il a daigné | prendre de tous les rois, 6+6 b
Au prix d'un peu d'encens, | cordons, titres, emplois. 6+6 b
265 Il juge volontiers | l'accusé politique ; 6+6 a
A servir tout pouvoir | employant sa tactique, 6+6 a
Il pense toujours bien | car avec les plus forts 6+6 b
Il sait mettre en commun | son âme et ses efforts. 6+6 b
Dans le fait accompli | réside sa morale ; 6+6 a
270 Ce qui n'entraîne pas | de bruit ni de scandale 6+6 a
Est volontiers absous | par cet homme d'état, 6+6 b
Par ce caméléon, | type de l'apostat. 6+6 b
Aussi de Talleyrand | il eut la confiance, 6+6 a
Et Pozzo l'honora | de sa correspondance ; 6+6 a
275 Chez Monsieur d'Appony | vous le trouvez souvent, 6+6 b
Vous le trouvez… partout | où souffle le bon vent. 6+6 b
Bien qu'avec le vieux duc | il soit au rang d'intime, 6+6 a
L'autre interlocuteur | mérite toute estime : 6+6 a
Bon, brave, généreux | et crédule à l'excès ; 6+6 b
280 Le type du soldat, | du vrai troupier français. 6+6 b
C'est presque Stanislas, | de Michel et Christine, 6+6 a
Le grognard d'autrefois | que la goutte lutine 6+6 a
Et qui, dans ses foyers | revenu pour toujours, 6+6 b
A défaut de Bellone | invoque les Amours. 6+6 b
285 Pour finir le portrait | de cet excellent homme 6+6 a
Dont parlaient nos lions, | nous dirons qu'il se nomme 6+6 a
Le comte de Cercourt, | et que le général 6+6 b
Est l'époux envié | de la reine du bal. 6+6 b
Envié… Mais il tremble | à lui voir tant de charmes. 6+6 a
290 Jamais on ne possède | un trésor sans alarmes. 6+6 a
« — Mon ami, dit le duc, | toujours en souriant, 6+6 b
Vous avez cette nuit | un aspect effrayant. 6+6 b
Voulez-vous d'Othello | recommencer l'histoire ? 6+6 a
Il sied d'être jaloux | quand on a la peau noire ; 6+6 a
Mais vous, un vieux guerrier… |
295 — Vieux, voilà le malheur. 6+6 b
Je ne suis point jaloux… |
-Vraiment ?
— Non, sur l'honneur. 6+6 b
Mais le métier d'époux | n'est pas semé de roses, 6+6 a
Et sans ouvrir beaucoup | les yeux on voit des choses… 6+6 a
— Pour moi je ne sais pas | ce qui peut vous troubler ; 6+6 b
Votre femme est un ange ! |
300 — A ne vous rien celer, 6+6 b
Je trouve comme vous | que ma femme est un ange ; 6+6 a
Mais on en voit tomber… |
— Par quel caprice étrange, 6+6 a
Dit le duc ennuyé, | par quel aveuglement 6+6 b
Semblez-vous rechercher | un sombre dénoùment ? 6+6 b
305 C'est à vous tourmenter | prendre tâche vous-même. 6+6 a
— C'est être soucieux | de la femme que j'aime. 6+6 a
— Manque-t-elle jamais | de tendresse envers vous ? 6+6 b
— Elle n'a que vingt ans. | Je suis un vieil époux. 6+6 b
— Tout homme marié | doit être philosophe. 6+6 a
310 — Mon cher, je ne suis pas | d'une aussi bonne étoffe. 6+6 a
— Que prétendez-vous donc ? | être adoré ?
— Non pas. 6+6 b
Mais je crains l'avenir. |
— Oui, j'entends, les faux pas. 6+6 b
Que vous êtes enfant ! |
— Surville, je suis sage. 6+6 a
— Alors n'écoutez pas | un sinistre présage ; 6+6 a
315 Jouissez du bonheur, | jouissez du présent, 6+6 b
Et narguez l'avenir ; | c'est bien plus amusant. 6+6 b
— Quoi ! n'avez-vous pas lu | sur le front d'Amélie 6+6 a
Les ravages cruels | de la mélancolie ? 6+6 a
Il est vrai ; je conviens | qu'il est fort dangereux 6+6 b
320 Qu'une femme s'ennuie… | Eh bien ! cherchons tous deux 6+6 b
Le moyen de combattre | avec quelque avantage 6+6 a
Le spleen, cet ennemi | des douceurs du ménage. 6+6 a
Conduisez votre femme | aux Eaux.
— Précisément 6+6 b
Elle est antipathique | à ce délassement, 6+6 b
Et…
325 — N'en parlons donc plus. | Avez-vous une loge 6+6 a
A l'Opéra ?
— Sans doute, | et souvent je déroge 6+6 a
Jusqu'à mener ma femme | au simple boulevard. 6+6 b
Elle adore le draine. |
— Ah ! tant pis !
— Quelque part 6+6 b
Qu'on annonce un plaisir, | aussitôt je me hâte 6+6 a
De le lui procurer. |
330 — Et c'est ce qui la gâte. 6+6 a
Vous en avez trop fait, | mon cher, je vous le dis. 6+6 b
Le rayon du soleil | n'est bien chaud qu'à midi : 6+6 b
C'est ainsi qu'un mari, | quand lui-même il s'observe, 6+6 a
Dispense prudemment | les plaisirs, et réserve 6+6 a
335 Pour les jours à venir | quelque distraction. 6+6 b
Mais bah ! soyez donc sage | avec la passion ! 6+6 b
Savez-vous ce qu'il faut | à votre femme, en somme ? 6+6 a
Un tiers dans la maison, | un aimable jeune homme 6+6 a
Attentif et galant, | enfin un compagnon. 6+6 b
— Vous me faites frémir. | C'est un amant !
340 — Non, non ! 6+6 b
— La proposition | est d'une étrange sorte. 6+6 a
— Vous allez la comprendre, | elle n'est pas trop forte. 6+6 a
L'ennui, dit-on, naquit | de l'uniformité : 6+6 b
Or cet hôte est venu | dans votre intimité ; 6+6 b
345 Ainsi qu'une harpie | il corrompt ce qu'il touche ; 6+6 a
Un souffle glacial | s'exhale de sa bouche ; 6+6 a
Il vous faut le combattre, | il faut mettre entre vous 6+6 b
Un tiers, un adjudant, | qui seconde l'époux ; 6+6 b
Complaisant qui se voue | au culte d'Amélie 6+6 a
350 Tout platoniquement, | ainsi qu'en Italie 6+6 a
Ce service courtois | échoit aux sigisbés. 6+6 b
— Peste soit des galants | et des petits abbés ! 6+6 b
Me croyez-vous, mon cher, | un mari de peinture ? 6+6 a
— Allons, modérez-vous | et tentez l'aventure. 6+6 a
355 Votre femme s'ennuie ; | eh bien ! occupez-la. 6+6 b
Il est beau le moyen | que vous m'indiquez là ! 6+6 b
— C'est l'unique, sinon | je fais la prophétie… 6+6 a
— Non, non, tenez-vous-en | à la diplomatie. 6+6 a
Mais on nous écoutait ! |
— Vous rêvez. Nul hors nous 6+6 b
360 N'était dans ce salon. | Que je plains les jaloux ! 6+6 b
Rentrons. »
Les deux amis | regagnèrent leur place. 6+6 a
Madame de Cercourt, | se trouvant déjà lasse, 6+6 a
Voulut partir avant | le moment du souper ; 6+6 b
Et bientôt retentit | son élégant coupé 6+6 b
365 Ramenant vers l'hôtel | la charmante comtesse, 6+6 a
Les fleurs au front, — le cœur | tout rempli de tristesse. 6+6 a
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