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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
DSA_1/DSA19
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
XVIII
L' ADIEU DU POÈTE
Monsieur de Cercourt mort, | la comtesse perdue, 6+6 a
— Comme si dans la tombe | elle fût descendue, 6+6 a
— Amélie hier belle | et parée, aujourd'hui 6+6 b
Donnant à des souffrants | ses soins et son appui ; 6+6 b
5 De ces êtres aimés | l'un dans le ciel, et l'autre 6+6 a
Suivant péniblement | le sentier de l'Apôtre ; 6+6 a
L'un goûtant le repos | de l'éternel sommeil, 6+6 b
L'autre de ses remords | éprouvant le réveil… 6+6 b
Plus d'amis… — Tel était | le présent déplorable. 6+6 a
10 Paul Firmin ressentit | l'angoisse d'un coupable 6+6 a
Qui cherche vainement — | en horreur à ses yeux — 6+6 b
Une âme sympathique, | un confident pieux. 6+6 b
Rien, plus rien !… Il se dit : | « — A quoi bon dans ce monde 6+6 a
Promener le tableau | de ma douleur profonde ? 6+6 a
15 A quoi bon soutenir | des regards indiscrets ? 6+6 b
Avec de faux amis | épancher mes secrets ? 6+6 b
A la société | pour toujours je renonce. 6+6 a
Qu'entre elle et moi là-haut | le Tout-Puissant prononce ; 6+6 a
Dans mon cœur ulcéré | tout n'est plus que débris. » 6+6 b
20 Et sa colère ainsi | tourna contre Paris : 6+6 b
« Adieu, séjour du vice ; | adieu, cloaque infâme, 6+6 a
Où l'on cache si bien | les stigmates de l'âme ; 6+6 a
Mais dont l'impureté, | déguisée avec art, 6+6 b
N'a pu se dérober | au feu de mon regard. 6+6 b
25 Va, je t'ai devinée | et je te lis entière, 6+6 a
O nouvelle Astarté, | vouée à la matière. 6+6 a
Je te hais, — ou plutôt | je n'ai que du mépris 6+6 b
Pour les vices couverts | du grand nom de Paris, 6+6 b
Pour la société | frivole et dissolue 6+6 a
30 Que d'un absurde hommage | on poursuit, on salue. 6+6 a
Qu'as-tu fait de ce nom, | apanage d'honneur ? 6+6 b
Ta gloire a disparu ; | que devient ta splendeur ? 6+6 b
Un jour peut-être, un jour | on cherchera la trace 6+6 a
Du sol où maintenant | ta multitude passe. 6+6 a
35 Puisse s'éteindre aussi | jusqu'à ton souvenir ! 6+6 b
Si tu l'avais voulu, | tout devrait te bénir ; 6+6 b
Ton rôle était bien beau, | cité grande entre toutes ; 6+6 a
Vers ton axe central | se dirigeaient les routes ; 6+6 a
Tous les peuples, soumis | à ta suprême loi, 6+6 b
40 Pour agir ou penser | fixaient leurs yeux sur toi. 6+6 b
Mais lasse de remplir | ce magnifique rôle, 6+6 a
Tu brisas ton épée | et souillas ta parole. 6+6 a
A présent tu n'es plus | qu'un vaste lupanar, 6+6 b
Où la corruption | étale son bazar. 6+6 b
45 L'austérité te blesse | et le talent t'offense. 6+6 a
Comme un vieux débauché | qui penche vers l'enfance, 6+6 a
Tu ne demandes plus, | au terme des plaisirs, 6+6 b
Qu'à raviver en toi | quelques derniers désirs ! 6+6 b
Paris, c'est un marché : | tout s'y vend, la science, 6+6 a
50 Le travail, la pudeur, | — jusqu'à la conscience. 6+6 a
L'amitié n'est qu'un mot | qui résonne et qui ment ; 6+6 b
L'amour, absent du cœur, | promène un faux serment ; 6+6 b
L'impureté se met | un fard d'hypocrisie ; 6+6 a
Tout conspire à tromper | la foi, la poésie. 6+6 a
55 L'homme emploie à mal faire | un semblant de raison. 6+6 b
S'il vous ouvre les bras, | traduisez : trahison. 6+6 b
Il nuit pour nuire ; il est | dévoré par l'envie ; 6+6 a
Au culte du Veau-d'Or | il a voué sa vie ; 6+6 a
Et plus souvent le fer | brillerait dans sa main, 6+6 b
60 S'il ne trouvait la loi | qui l'arrête en chemin. 6+6 b
Depuis dix-huit cents ans, | à ce démon d'argile 6+6 a
Dieu daigne présenter | le pain de l'Évangile : 6+6 a
Mais loin d'en être ému, | loin d'en être meilleur, 6+6 b
L'homme est plus que jamais | froid, sceptique et railleur, 6+6 b
65 Nous ressembler à Dieu ! | quel ridicule songe ! 6+6 a
Dieu, c'est la vérité ; | — l'homme, c'est le mensonge. 6+6 a
Oh ! oui, la décadence | et la destruction 6+6 b
Te menacent enfin, | ô vieille nation ; 6+6 b
A la décrépitude | arrive ton génie ; 6+6 a
70 Car l'avenir n'est plus | au peuple qui renie 6+6 a
Son culte, son passé, | ses lois et ses aïeux. 6+6 b
Pays dégénéré, | je te fais mes adieux. 6+6 b
Salut, suprême vœu, | rêve de solitude ! 6+6 a
Fuir les hommes sera | désormais mon étude. 6+6 a
75 Autant j'avais pour eux | d'ardente charité, 6+6 b
Autant j'ai de mépris | pour leur iniquité. 6+6 b
Je ne les verrai plus. | Je la hais, cette race 6+6 a
Où toute affection | n'est plus qu'une grimace ; 6+6 a
Car sur ses traits flétris | on chercherait en vain 6+6 b
80 Le sceau que leur donna | le Créateur divin. 6+6 b
C'en est fait : ma douleur | a comblé la mesure. 6+6 a
Adieu, séjour du vice ; | adieu donc, ville impure ; 6+6 a
Adieu, toi que Satan | tient sous son pied vainqueur. 6+6 b
Tu n'auras point laissé | de regrets dans mon cœur ! » 6+6 b
85 C'est ainsi que Firmin | exhala sa colère. 6+6 a
Je conviens qu'il était | par trop atrabilaire… 6+6 a
Mais au fond de son cœur | il puisait le mépris ; 6+6 b
A travers ses douleurs | il contemplait Paris… 6+6 b
De la société | s'il se faisait le juge, 6+6 a
90 C'est qu'il ne pouvait plus | y trouver un refuge. 6+6 a
Le poëte, qui vit | loin de notre milieu, 6+6 b
Doit à son insu même | exagérer un peu. 6+6 b
Vous qui passez, avec | un sourire à la bouche, 6+6 a
Auprès de ce rêveur | au visage farouche ; 6+6 a
95 Vous qui ne le voyez | qu'au hasard, un moment, 6+6 b
Sans vous associer | à son muet tourment ; 6+6 b
Ou lui jetez avec | un regard d'ironie 6+6 a
Cette fausse pitié, | seul paîment du génie ; 6+6 a
Allez, suivez la route | où vous marchez heureux, 6+6 b
100 Et ne soupçonnez pas | les destins ténébreux. 6+6 b
Ne vous dites jamais | qu'il est, sur cette terre, 6+6 a
Des êtres dont la vie | est morne et solitaire ; 6+6 a
Que l'aspect du plaisir | de vos cœurs enivrés 6+6 b
Fait plus cruellement | sentir les jours pleurés. 6+6 b
105 Passez, le front couvert | de brillantes couronnes ; 6+6 a
Comptez de beaux printemps | et n'ayez pas d'automnes ; 6+6 a
Que la joie et l'amour | accompagnent vos pas ; 6+6 b
De vous il n'attend rien… | Car vous ne savez pas ! 6+6 b
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