Métrique en Ligne
DSA_1/DSA11
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
X
AURI SACRA FAMES
« — Nous partons dans huit jours… huit jours, quoi qu'il arrive. 6+6 a
Ainsi, mon cher Firmin, qui nous aime nous suive ! 6+6 a
On m'écrit de là-bas que Vallombreuse est beau 6+6 b
Comme le Paradis. Il était un tombeau 6+6 b
5 Pour moi quand, vieux garçon, à la fin de l'automne 6+6 a
J'y traînais les ennuis d'un séjour monotone. 6+6 a
Maintenant, grâce à Dieu, j'y conduis triomphant 6+6 b
Mon adorable femme ou plutôt mon enfant : 6+6 b
Car pour moi, qui voudrais lui faire un sort prospère, 6+6 a
10 Je me juge bien moins son époux que son père. 6+6 a
A mon doigt de vieillard c'est un anneau brillant 6+6 b
Que je montre partout, heureux, fier et riant. 6+6 b
Je voudrais raconter au monde entier la joie 6+6 a
Qui jusqu'à le remplir dans mon cœur se déploie. 6+6 a
15 Tu ne saurais manquer à notre rendez-vous. 6+6 b
Tu viendras, n'est-ce pas ? Sur toi nous comptons tous. » 6+6 b
Firmin, les yeux baissés et le visage sombre, 6+6 a
Écoutait ce récit en pensant que d'une ombre 6+6 a
Le bonheur de l'époux était déjà voilé. 6+6 b
20 Le comte s'étonna de le voir si troublé. 6+6 b
« — Quelle raison, dit-il, cause l'incertitude 6+6 a
Que tu laisses paraître, et cette inquiétude 6+6 a
Qui depuis quelque temps se manifeste en toi ? 6+6 b
Jusqu'ici tous les ans tu partais avec moi 6+6 b
25 Pour Vallombreuse… Eh bien ! faut-il donc que je pense 6+6 a
Qu'il est de la rancune au fond de ton absence ? » 6+6 a
La pourpre colora le front de Paul.
« — Comment ! 6+6 b
On pourrait m'accuser de ce vil sentiment ! 6+6 b
S'écria-t-il ; j'aurais une âme si commune, 6+6 a
30 Et je pourrais nourrir une basse rancune ! 6+6 a
Contre qui ?
— Mais… c'est clair… Personne n'a blâmé 6+6 b
Plus fortement que toi le nœud que j'ai formé. 6+6 b
— Je ne connaissais pas la comtesse Amélie. 6+6 a
Je savais qu'à l'amour souvent le deuil s'allie ; 6+6 a
35 Ne voyant que l'ami dans le futur époux, 6+6 b
Je devais, cher Monsieur, m'intéresser à vous, 6+6 b
Défendre le repos qui vous est nécessaire. 6+6 a
Mais si dans ce combat mon zèle fut sincère, 6+6 a
Il ne le fut pas moins, tout étant terminé. 6+6 b
40 La comtesse parut, et je fus fasciné ; 6+6 b
Car des perfections elle offre le modèle 6+6 a
Mon amitié pour vous a rejailli sur elle. 6+6 a
— Ne te défends donc plus. Tu viendras, j'en suis sûr. 6+6 b
— Je ne vais pas où va votre baron Arthur. 6+6 b
45 — Ah ! voilà le grand mot… voilà notre sauvage ! 6+6 a
Son esprit ombrageux repousse le partage. 6+6 a
Ne peut-on recevoir plusieurs amis chez soi ? 6+6 b
— A des dehors brillants ajouter trop de foi, 6+6 b
C'est faire à l'avenir large part de mécompte. 6+6 a
50 Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort, cher comte. 6+6 a
— Ce jeune homme est gentil, toujours de belle humeur, 6+6 b
Gracieux, cavalier élégant, bon chanteur. 6+6 b
Il m'aidera fort bien dans mes devoirs de maître. » 6+6 a
Paul ne répliqua rien. Il en eût dit peut-être 6+6 a
Plus qu'il ne l'eût voulu.
55 « — Mon cher Paul, tu viendras. » 6+6 b
Celui-ci se disait : « — Non, non, je n'irai pas. » 6+6 b
Mais craignant d'affliger ce cœur plein de tendresse 6+6 a
Par un refus direct et sentant la rudesse, 6+6 a
Il pensa qu'il pourrait, vers le dernier moment, 6+6 b
60 Échapper par écrit à cet engagement. 6+6 b
Tony parut.
« — Monsieur, dit-il, votre notaire 6+6 a
Désire vous parler.
— Faut-il tant de mystère ! 6+6 a
Qu'il entre.
— Je m'en vais, dit Firmin.
— Halte-là ! 6+6 b
Tu n'as point accepté… Je tiens à t'avoir là. » 6+6 b
65 Monsieur Drouville entra. Son air était fort triste. 6+6 a
Paul se mit à l'écart en feuilletant l' Artiste, 6+6 a
Ce recueil élégant où tant de beaux esprits 6+6 b
Sèment depuis vingt ans des perles de grand prix. 6+6 b
L'accueil du général, accueil franc et sincère, 6+6 a
70 Rendit au visiteur la force nécessaire 6+6 a
Pour dire le motif qui l'avait amené. 6+6 b
« — Que je suis malheureux ! On me croit ruiné, 6+6 b
Dit-il ; la calomnie, arme perfide et lâche, 6+6 a
A voulu sur mon nom imprimer une tache. 6+6 a
75 On a semé des bruits indignes contre moi 6+6 b
Et des gens sont venus qui doutaient de ma foi ! 6+6 b
On m'a redemandé des fonds considérables. 6+6 a
Et comment résister contre des chocs semblables ? 6+6 a
Jusqu'ici j'ai fait face aux besoins du moment. 6+6 b
80 Mes clients sortiront de leur aveuglement : 6+6 b
Honteux d'avoir subi cette étrange influence, 6+6 a
Ils me rapporteront toute leur confiance, 6+6 a
J'en suis certain… Mon nom pourra sortir vainqueur 6+6 b
De la lutte cruelle où s'est froissé mon cœur. 6+6 b
85 Mais il faut résister, conjurer la tempête 6+6 a
Venez à mon secours… Tenez, je perds la tête. 6+6 a
— Voyons, voyons, mon cher, lui dit avec bonté 6+6 b
Le général ; chacun sait votre probité. 6+6 b
Ne vous effrayez pas d'une rumeur maligne, 6+6 a
90 Et de vous-même enfin sachez demeurer digne. 6+6 a
Pour moi, je crois en vous. Il vous faut de l'argent ? 6+6 b
— Oh ! je bénis, Monsieur, votre cœur obligeant. 6+6 b
— Combien vous manque-t-il ?
— Vingt mille francs.
— Ma bourse 6+6 a
Est à vous.
— Noble ami !
— Puisez à cette source. 6+6 a
95 J'ai la moitié chez moi : quant à l'autre moitié, 6+6 b
Elle est chez la comtesse.
— O touchante amitié ! » 6+6 b
Le général sonna pour demander sa femme. 6+6 a
Firmin ne bougeait pas ; il pressentait un drame. 6+6 a
Amélie arriva. Le comte en quelques mots 6+6 b
Lui fit connaître tout.
100 « — Vous avez, à propos, 6+6 b
Dix mille francs à moi ; j'en ai besoin, ma chère, 6+6 a
Pour notre digne ami ; nous ne saurions en faire 6+6 a
Un meilleur placement, un plus utile emploi 6+6 b
Qu'en cette occasion ; ainsi rendez-les moi. » 6+6 b
105 La comtesse trembla. Firmin, les yeux sur elle, 6+6 a
Interrogeait le sens de sa pâleur mortelle. 6+6 a
Cependant, étonné, le général allait 6+6 b
Répéter sa demande…
Une voix de valet 6+6 b
Retentit, annonçant le baron.
« — A merveille, 6+6 a
110 Pensa Firmin ; suivant l'instinct qui le conseille, 6+6 a
Il entre justement pour être humilié ; 6+6 b
Car je crois »
Cependant le comte avait prié 6+6 b
Arthur de le laisser terminer son affaire. 6+6 a
« — Je me retire.
— Non, ce n'est pas nécessaire. » 6+6 a
115 Dans l'esprit d'Amélie une fable, un roman 6+6 b
Pour sortir de danger naquit en un moment. 6+6 b
« — Mon ami, pardonnez un trouble qui m'accuse. 6+6 a
Le désir de vous plaire est ma meilleure excuse. 6+6 a
J'ai chez mon joaillier fait emplette hier soir 6+6 b
120 Des plus beaux diamants qu'il soit permis de voir, 6+6 b
Et j'ai déjà payé la moitié de la somme. 6+6 a
— Si ce n'est que cela !… Stoepel est un brave homme ; 6+6 a
Sur un bon de ma main il rendra cet argent 6+6 b
Qu'il nous faut employer pour un besoin urgent. » 6+6 b
Il sonna.
« — Qu'on attelle ! »
125 Amélie était blême. 6+6 a
« — Non, non, je ne veux pas… j'irai… j'irai moi-même, » 6+6 a
Dit-elle.
La terreur entrecoupait sa voix. 6+6 b
Arthur dans ses cheveux faisait glisser ses doigts, 6+6 b
Impassible, et semblant étranger à la scène. 6+6 a
130 Paul Firmin cependant se contenait à peine. 6+6 a
Il eût voulu broyer l'insolent sigisbé, 6+6 b
Et lui crier : « — Par toi cet or fut dérobé ! 6+6 b
« C'est pour payer ton luxe et ton cheval, infâme, 6+6 a
« Que le bien du mari t'est livré par la femme ! » 6+6 a
135 Il ne vit qu'Amélie à sauver, et se dit : 6+6 b
« C'est un gouffre qu'il faut combler par mon crédit. » 6+6 b
« — Permettez-moi, dit-il, d'accompagner Madame. 6+6 a
Un intérêt pressant ce matin me réclame 6+6 a
Au boulevard… C'est là que vous devez aller, 6+6 b
N'est-ce pas ?
— Oui, Monsieur. »
140 On venait d'atteler. 6+6 b
La comtesse jeta son schall sur ses épaules. 6+6 a
Le général lui dit quelques bonnes paroles, 6+6 a
La priant d'excuser l'ordre qu'il lui donnait. 6+6 b
Elle partit avec Firmin qui l'entraînait. 6+6 b
145 Elle était demi-morte… Alors que l'équipage 6+6 a
Fut sorti de l'hôtel, Firmin tint ce langage : 6+6 a
« — Ne vous étonnez pas de me voir avec vous. 6+6 b
J'ai sondé d'un coup d'œil l'abîme où votre époux, 6+6 b
Son repos, votre honneur, votre avenir peut-être, 6+6 a
150 Tout allait s'engloutir, tout allait disparaître. 6+6 a
Si devant une faute énorme j'ai frémi, 6+6 b
Je me suis souvenu que je suis votre ami, 6+6 b
Votre sincère ami… C'est trop peu, votre frère ! 6+6 a
Ah ! que le repentir vous touche, vous éclaire. 6+6 a
155 — Je ne vous comprends pas, dit-elle avec hauteur. 6+6 b
Pourquoi prendre envers moi le ton d'un protecteur ? 6+6 b
— Vous ne comprenez pas !… Laissons ce subterfuge. 6+6 a
Lorsqu'en mon dévoûment vous trouvez un refuge ; 6+6 a
Quand je dois vous servir, s'il le faut, malgré vous ; 6+6 b
160 Quand je dois conjurer la tempête en courroux, 6+6 b
Laissez-moi vous sauver !
— Que voulez-vous donc faire ? 6+6 a
— C'est très-simple, mon Dieu ! je vais chez mon notaire ; 6+6 a
Je n'ai qu'un mot à dire et j'aurai votre argent. 6+6 b
— Suis-je assez accablée !
— Est-il donc outrageant 6+6 b
165 De sauver votre honneur, votre mari que j'aime : 6+6 a
Devoir que je remplis, fût-ce malgré vous-même. 6+6 a
Songez à quels soupçons vous vous exposeriez 6+6 b
Si dans l'hôtel, les mains vides, vous rentriez. 6+6 b
Je n'ajoute plus rien… Du moins que nul ne sache 6+6 a
170 Ce que vous savez bien, ce qu'il faut que je cache. 6+6 a
Vous détournez les yeux… S'il en est temps encor, 6+6 b
Reprenez votre honneur, vos vertus, ce trésor 6+6 b
Qu'on ne répare point avec l'or de la terre. 6+6 a
Le repentir chrétien peut laver l'adultère… » 6+6 a
175 A ce mot, Amélie eut un cri de douleur. 6+6 b
La rougeur de la honte effaça sa pâleur. 6+6 b
Le silence suivit la cruelle blessure. 6+6 a
Quand Firmin descendit, — au fond de la voiture 6+6 a
Elle se rejeta, son mouchoir sur ses yeux. 6+6 b
180 Au bout de peu d'instants il revint sérieux. 6+6 b
« — Retournez à l'hôtel, dit-il ; voici la somme. 6+6 a
— Je n'en veux pas !
— Et moi, répondit le jeune homme, 6+6 a
Au nom du général, je vous dis : « Prenez-la ! » 6+6 b
Le meilleur des époux, n'est-ce rien que cela ? 6+6 b
185 Pensez à l'avenir. Cette crise terrible 6+6 a
Révèle des dangers plus grands, s'il est possible. 6+6 a
Je ne veux pas aller à Vallombreuse. Ainsi 6+6 b
D'entendre un sermonneur n'ayez pas le souci. 6+6 b
Mais le meilleur sermon sera pour vous, je pense, 6+6 a
190 Au fond de votre cœur, dans votre conscience. » 6+6 a
Il partit. A l'hôtel, le poëte agité 6+6 b
Ne reparut qu'à l'heure où l'on prenait le thé. 6+6 b
On causait, et montrant ses dents blanches et belles, 6+6 a
Monsieur Arthur chantait des romances nouvelles. 6+6 a
195 Firmin sentit en lui monter l'impression 6+6 b
Du dégoût, du mépris, de l'indignation. 6+6 b
A peine s'il pouvait trouver une parole 6+6 a
Dans un flux de propos de nature frivole. 6+6 a
Auprès d'oiseaux bavards on eût dit l'aigle altier 6+6 b
200 Qui frémit dans sa cage et songe à son glacier. 6+6 b
« — Oh ! malheur à nous tous, se dit-il, pauvre femme, 6+6 a
S'il faut que la leçon ait glissé sur ton âme ! 6+6 a
Eh bien ! le lâche amant saura, dès aujourd'hui, 6+6 b
Ce qu'en homme de cœur je dois penser de lui. » 6+6 b
205 Ils sortirent, l'un gai, rayonnant, l'autre sombre. 6+6 a
Firmin à Rozemon s'attachait comme une ombre. 6+6 a
« — Bonsoir, mon cher Monsieur, dit Arthur lestement. 6+6 b
— Non pas, Monsieur. Je veux vous parler un moment. 6+6 b
— A moi ? très-volontiers. Cependant je m'étonne 6+6 a
210 — Pas d'exorde, Monsieur ; il ne passe personne, 6+6 a
Nous pouvons librement causer.
— Mais entre nous 6+6 b
Il n'est rien de commun. Seriez-vous donc jaloux 6+6 b
De l'amitié que daigne avoir pour moi le comte ? 6+6 a
— Ne nommez pas celui que vous couvrez de honte. 6+6 a
215 — Si vous voulez parler ainsi, monsieur Firmin, 6+6 b
Vous pouviez me laisser poursuivre mon chemin. 6+6 b
— Non, car je l'aime moi ce vieillard respectable 6+6 a
Qui, grâce à vous, du monde un jour sera la fable. 6+6 a
Non content de l'avoir indignement trahi, 6+6 b
Vous l'avez dépouillé…
220 — Vous en avez menti ! 6+6 b
— Vous lui prenez son or par les mains de sa femme, 6+6 a
Vous souillez tout en elle : après le corps, c'est l'âme. 6+6 a
Vous avez spéculé sur une passion ; 6+6 b
Votre amour n'est que fange et que corruption ! 6+6 b
225 — Monsieur, savez-vous bien qu'une pareille offense 6+6 a
Oubliez-vous mon rang, mon titre, ma naissance ? 6+6 a
— Vous avez oublié vous-même votre nom. 6+6 b
— C'est trop fort. Votre sang peut seul…
— Non, Monsieur, non ! 6+6 b
Un duel avec vous ! Mettre sur même ligne 6+6 a
230 Parjure et probité !… Vous en êtes indigne. 6+6 a
Si vous levez le bras, c'est la canne à la main 6+6 b
Que je vous répondrai. »
Cela dit, Paul Firmin 6+6 b
Laissa là le baron, étourdi, plein de rage, 6+6 a
Mais sachant qu'il en eût mérité davantage 6+6 a
235 Si le monde n'offrait, par immoralité, 6+6 b
A l'élégant fripon entière impunité. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 118((aa))
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