Métrique en Ligne
DRX_2/DRX28
Léon DIERX
LES LÈVRES CLOSES
1867
IMPERIA
A mon ami A Maingard.
Sur le divan, pareille à la noire panthère 12
Qui se caresse aux feux du soleil tropical, 12
Dans un fauve rayon enveloppant le bal, 12
Elle emplit de parfums le boudoir solitaire. 12
5 Elle rêve affaissée au milieu des coussins ; 12
Et sa narine s'enfle, et se gonflent ses seins 12
Au rythme langoureux de la valse lointaine. 12
Les rires étouffés, les longs chuchotements 12
Qui voltigent là-bas à l'entour des amants, 12
10 Rehaussent le dédain de sa lèvre hautaine. 12
Paisible, dans la nuit où se plonge son cœur, 12
Sphinx cruel, elle attend son Œdipe vainqueur. 12
Elle hait les aveux et les fades paroles, 12
Les serments, les soupirs connus, les soins d'amour. 12
15 Reine muette, elle a pour ces flatteurs d'un jour 12
Le mépris sans pitié des superbes idoles. 12
Dardant ses larges cils sous un front olympien, 12
Elle cherche un regard qui devine le sien. 12
Car elle saura lire au fond de ce silence 12
20 Chargé des mêmes mots qui dorment dans ses yeux, 12
Et confondra sa flamme aux feux mystérieux 12
Qui sauront pénétrer sa sinistre indolence. 12
Sans répondre, elle écoute aux aguets, sous son fard, 12
Les vulgaires don juan au manège bavard. 12
25 Dans les plis fastueux du velours elle ondule ; 12
Et son soulier lascif agaçant le désir 12
Mêle avec le refus ou l'offre du plaisir 12
La pourpre de la honte au sourire crédule. 12
Aux profondes senteurs qui baignent tout son corps, 12
30 Elle enivre les sots asservis sans efforts ; 12
Et de ses noirs cheveux, de sa gorge animée, 12
De ses jupons parfois savamment découverts, 12
Sortent les espoirs fous les mécomptes pervers 12
De l'alcôve entrevue aussitôt refermée. 12
35 Telle, exerçant sa force, au cœur des imprudents 12
Elle aiguise à ces jeux ses ongles et ses dents. 12
Mais quand elle verra d'une encoignure sombre 12
Se prolonger l'éclair de l'ardeur qui lui plaît, 12
Et, dès le premier choc, tressaillir le reflet 12
40 D'une âme tout entière émergeant vers son ombre, 12
Ses paupières longtemps se lèveront vers lui ; 12
Et lorsqu'en l'autre jet l'épouvante aura lui, 12
Sans rien dire, gardant le secret de sa joie, 12
Se repaissant déjà de sa férocité, 12
45 Souple, la fascinant de sa tranquillité, 12
Calme, à pas lents, alors elle ira vers sa proie. 12
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