Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DRX_1/DRX3
Léon DIERX
POÈMES ET POÉSIES
1864
Crépuscule
À mon ami Émile Bellier.
C'était le soir, à l'heure où, s'étirant les bras, 6+6 a
Le laboureur se dit : « Ma journée est finie ! » 6+6 b
Une ombre sur les champs roulait son harmonie. 6+6 b
Les chansons se mêlaient aux jurements ingrats. 6+6 a
5 L'hirondelle penchée effleurait l'herbe grise ; 6+6 a
La cigale dormait dans les blés mûrissants, 6+6 b
Et, le long des chemins aux nocturnes passants, 6+6 b
Les peupliers rangés chuchotaient dans la brise. 6+6 a
Assis dans un sentier, je regardais le ciel 6+6 a
10 S'étoiler, ou vers lui les vapeurs de la plaine 6+6 b
Avec les bruits confus dont la terre était pleine 6+6 b
Monter comme un encens sur un immense autel. 6+6 a
Je pensais : « La nuit vient ; tout va bientôt se taire ; 6+6 a
C'est l'instant de l'amour, et Vénus a brillé. » 6+6 b
15 Et je laissais s'ouvrir mon être émerveillé, 6+6 b
Tandis qu'au loin cornait un pâtre solitaire. 6+6 a
Tout à coup, près de moi défila lentement 6+6 a
Un long troupeau de bœufs descendus des collines. 6+6 b
Leurs fanons tout souillés battaient sur leurs poitrines ; 6+6 b
20 Leurs têtes s'abaissaient dans un balancement. 6+6 a
Ils allaient, à pas lourds, comme ceux d'un homme ivre, 6+6 a
Ils foulaient la broussaille aux murmures légers, 6+6 b
Et faisaient en leur marche à l'appel des bergers 6+6 b
Tinter sous leurs cous bruns leurs clochettes de cuivre. 6+6 a
25 Comme on écoute en rêve un chant de timbres d'or, 6+6 a
J'écoutais, seul, perdu sur le plateau qui fume. 6+6 b
Depuis longtemps déjà, submergés par la brume, 6+6 b
Ils avaient disparu, que j'écoutais encor. 6+6 a
A votre aspect, ô bœufs si puissants et si mornes ! 6+6 a
30 Qui, sans vouloir, sonniez votre servage en chœur, 6+6 b
Une amère tristesse avait serré mon cœur, 6+6 b
Bœufs résignés, songeurs oublieux de vos cornes ! 6+6 a
Vos grelots me parlaient ; et, comme un criminel, 6+6 a
Il me sembla, prêtant l'oreille aux rumeurs saintes 6+6 b
35 Du soir, entendre en moi se fondre aussi les plaintes 6+6 b
Que tous les opprimés poussaient vers l'éternel. 6+6 a
D'autres troupeaux venaient les rejoindre aux vallées ; 6+6 a
Et l'horizon s'emplit de ces clairs tintements 6+6 b
Qui se multipliaient comme les ralliements 6+6 b
40 Des douleurs d'ici-bas à la fois révées. 6+6 a
Et j'entendais, autour d'un noir vallon, les voix 6+6 a
Innombrables de ceux que l'injustice accable 6+6 b
éclater, réveillant le juge irrévocable 6+6 b
Si longtemps sourd, aveugle et muet sur la croix. 6+6 a
45 Le mot qui t'échappa dans ton râle suprême, 6+6 a
Jésus, le monde entier toujours le jette au ciel ! 6+6 b
Ah ! Rêveur, tu doutas sous l'éponge de fiel ! 6+6 b
Sans cela, ton sanglot n'eût été qu'un blasphème ! 6+6 a
Les morts savent si Dieu tient ce qu'il promettait ! 6+6 a
50 Mais partout où je vois l'homme en proie à la femme ; 6+6 b
Un poète atte dans un manège infâme ; 6+6 b
Sous l'aiguillon vulgaire un malheur qui se tait ; 6+6 a
La force sous le joug de l'inepte faiblesse ; 6+6 a
L'éclair superbe éteint dont l'ombre épaisse a ri ; 6+6 b
55 Un vaincu dont jamais on ne surprend un cri ; 6+6 b
L'idéal aux abois que la faim mène en laisse ; 6+6 a
Partout où je les vois en leur orgueil déçus, 6+6 a
Tous les forçats du beau que la laideur écrase, 6+6 b
Je crois entendre encor, pris d'une sombre extase, 6+6 b
60 Vos clochettes, ô bœufs dans la brume aperçus ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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