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| = césure
DRX_1/DRX1
Léon DIERX
POÈMES ET POÉSIES
1864
La Vision d’Ève
À Leconte De Lisle.
I
C'était trois ans après le péché dans l'Éden. 6+6 a
Adam sous les grands bois chassait, fier et superbe, 6+6 b
Luttant contre le tigre et poursuivant le daim. 6+6 a
Tranquille, il aspirait l'âcre senteur de l'herbe. 6+6 b
5 Ève, sereine aussi, corps vêtu de clartés, 6+6 a
Assise aux bords ombreux d'une vierge fontaine, 6+6 b
Regardait deux enfants s'ébattre à ses côtés, 6+6 a
Attentive aux échos de la chasse lointaine. 6+6 b
Adam sous la forêt parlait d'Ève aux oiseaux, 6+6 a
10 Et leur disait : « Chantez ! Elle est belle, et je l'aime ! » 6+6 b
Ève disait : « Répands, source, tes fraîches eaux ! 6+6 a
Mon âme vibre en lui, mais en eux, ma chair même ! » 6+6 b
II
Ève pensait : « Seigneur ! Vous nous avez chassés 6+6 a
Du paradis ; l'archange a fait luire son glaive. 6+6 b
15 Mordus par la douleur, et par la faim pressés, 6+6 a
Il nous faut haleter dès que le jour se lève 6+6 b
« Nous n'avons plus, errants dans ces mornes ravins, 6+6 a
Maître ! Comme autrefois, la candeur ni l'extase ; 6+6 b
Et nous n'entendons plus dans les buissons divins 6+6 a
20 L'hymne des anges blancs que votre gloire embrase. 6+6 b
« Mais qu'importent l'embûche et la nuit sous nos pas, 6+6 a
Si toujours dans la nuit un flambeau nous éclaire ? 6+6 b
Ah ! Si l'amour nous reste et nous guide ici-bas, 6+6 a
Soyez béni ! Dieu fort ! Dieu bon ! Dieu tutélaire ! 6+6 b
25 « Adam a la vigueur et moi j'ai la beauté. 6+6 a
Un contraste à jamais nous lie et nous console ; 6+6 b
Ivres, lui de ma grâce et moi de sa fierté, 6+6 a
Pour nous chaque fardeau se change en auréole. 6+6 b
« Et maintenant, voici grandir auprès de nous 6+6 a
30 Deux êtres, notre espoir, notre orgueil, notre joie ; 6+6 b
Quand je les tiens tous deux groupés sur mes genoux, 6+6 a
Je sens dans ma poitrine un soleil qui rougeoie ! 6+6 b
« Vivant encore e nous qui revivons en eux, 6+6 a
Encor pleins de mystère, ils sont la loi nouvelle. 6+6 b
35 Nés de nous, sous leurs doigts ils resserrent nos nœuds ; 6+6 a
Un autre amour en nous, aussi grand, se révèle. 6+6 b
« Leurs yeux, astres plus clairs que ceux du firmament, 6+6 a
Ont un étrange attrait ; et notre âme attirée, 6+6 b
Qui s'étonne et s'abîme en leur regard charmant, 6+6 a
40 y cherche le secret d'une enfance ignorée. 6+6 b
« L'amour qui les créa sommeille en eux. Le ciel 6+6 a
Peut gronder ; comme nous, dans le vent, sous l'orage, 6+6 b
Ils se tendront la main, et l'éclair d'Azraël 6+6 a
Ne pourra faire alors chanceler leur courage. 6+6 b
45 « Gloire et louange à toi, seigneur ! à toi merci ! 6+6 a
Le châtiment est doux, si malgré l'anathème 6+6 b
Le baiser de l'éden se perpétue ici. 6+6 a
Frappe ! Regarde croître une race qui t'aime ! » 6+6 b
III
Ainsi, le front baigné des parfums du matin, 6+6 a
50 Son beau sein rayonnant de chaleurs maternelles, 6+6 b
Ève, les yeux fixés sur Abel et Caïn, 6+6 a
Sentait l'infini bleu noyé dans ses prunelles. 6+6 b
IV
Or les enfants jouaient. Soudain, le premier-né, 6+6 a
Debout, l'œil plein de fauve ardeur, la lèvre amère, 6+6 b
55 Frappa l'autre éperdu sous un poing forcené 6+6 a
Et qui cria, tendant les deux mains vers la mère. 6+6 b
Ève accourut tremblante et pâle de stupeur, 6+6 a
Et fermant autour d'eux ses bras, les prit sur elle ; 6+6 b
Et comme en un berceau les couchant sur son cœur, 6+6 a
60 Les couvrit de baisers pour calmer leur querelle. 6+6 b
Bientôt tout s'apaisa, fureur, plainte, baisers ; 6+6 a
Ils dormaient tous les deux enlacés, et la femme, 6+6 b
Immobile, ses doigts sous un genou croisés, 6+6 a
Sentit les jours futurs monter noirs dans son âme ! 6+6 b
V
65 Soleil du jardin chaste ! Ève aux longs cheveux d'or ! 6+6 a
Toi qui fus le péché, toi qui feras la gloire ! 6+6 b
Toi, l'éternel soupir que nous poussons encor ! 6+6 a
Ineffable calice où la douleur vient boire ! 6+6 b
O femme ! Qui sachant porter un ciel en toi, 6+6 a
70 A celui qui perdait l'autre ciel, en échange 6+6 b
Offris tout, ta splendeur, ta tendresse et ta foi, 6+6 a
Plus belle sous le geste enflammé de l'archange ! 6+6 b
O mère aux flancs féconds ! Par quelle brusque horreur, 6+6 a
Endormeuse sans voix, étais-tu possédée ? 6+6 b
75 Quel si livide éclair t'en fut le précurseur ? 6+6 a
A quoi songeais-tu donc, la paupière inondée ? 6+6 b
Ah ! Dans le poing crispé de Caïn endormi 6+6 a
Lisais-tu la réponse à ton rêve sublime ? 6+6 b
Devinais-tu déjà le farouche ennemi 6+6 a
80 Sur Abel faible et nu s'essayant à son crime ? 6+6 b
Du fond de l'avenir, Azraël, menaçant, 6+6 a
Te montrait-il ce fils, ayant fait l'œuvre humaine, 6+6 b
Qui s'enfuyait sinistre et marqué par le sang, 6+6 a
Un soir, loin d'un cadavre étendu dans la plaine ? 6+6 b
85 Le voyais-tu mourir longuement dans Énoch, 6+6 a
Rempart poussé d'un jet sous le puissant blasphème 6+6 b
Des maudits qui gravaient leur défi sur le roc, 6+6 a
Et dont la race immense est maudite elle-même ? 6+6 b
Ah ! Voyais-tu l'envie armant les désaccords, 6+6 a
90 Et se glissant partout comme un chacal qui rôde ? 6+6 b
Le fer s'ouvrant sans cesse un chemin dans les corps, 6+6 a
Le sol toujours fumant sous une pourpre chaude ? 6+6 b
Et les peuples Caïns sur les peuples Abels 6+6 a
Se ruant sans pitié, les déchirant sans trêves ; 6+6 b
95 Les sanglots éclatant de toutes les Babels, 6+6 a
Les râles étouffés par la clameur des grèves ? 6+6 b
Sous l'insoluble brume où l'homme en vils troupeaux 6+6 a
S'amoncelle, effrayé de son propre héritage, 6+6 b
Entendais-tu monter dans les airs, sans repos, 6+6 a
100 Le hurlement jaloux des foules, d'âge en âge ? 6+6 b
Compris-tu que le mal était né ? Qu'il serait 6+6 a
Immortel ? Que l'instinct terrestre, c'est la haine 6+6 b
Qui, dévouant tes fils à Satan toujours prêt, 6+6 a
Lui fera sans relâche agrandir la géhenne ? 6+6 b
105 Compris-tu que la vie était le don cruel ? 6+6 a
Que l'amour périrait avec l'aïeule blonde ? 6+6 b
Et qu'un fleuve infini de larmes et de fiel 6+6 a
Né du premier sourire abreuverait le monde ? 6+6 b
VI
Dieu l'a su ! — Jusqu'au soir ainsi tu demeuras 6+6 a
110 Contemplant ces fronts purs où le soleil se joue ; 6+6 b
Et tandis qu'ils dormaient oublieux, en tes bras, 6+6 a
Deux longs ruisseaux brûlants descendaient sur ta joue. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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