Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DRX_1/DRX18
Léon DIERX
POÈMES ET POÉSIES
1864
Hemrick, le Veuf
I
Un amas orageux charge les horizons 6+6 a
Des gorges de Carnac aux sauvages gazons ; 6+6 a
Aux vieux troncs crevassés de profondes gerçures ; 6+6 b
Aux grands dolmens rangés dans la brume, tout droits ; 6+6 c
5 Aux flaques rougissant sur les bords par endroits, 6+6 c
Où, comme un assassin couvert d'éclaboussures, 6+6 b
Avant de disparaître au revers du plateau, 6+6 d
Le soleil vient laver sa face et son manteau. 6+6 d
Un grondement lointain comme un signal s'approche. 6+6 a
10 Et de l'est assombri, par bonds, de roche en roche, 6+6 a
Sur le sol où se traîne un reflet en lambeaux, 6+6 b
La voix plus menaçante après un court silence, 6+6 c
Le souffle bref, la nuit se déploie et s'élance, 6+6 c
Pleine d'éclairs subits qu'on croirait des flambeaux 6+6 b
15 Allumés à la hâte, éteints à l'improviste, 6+6 d
Promenés par des bras tendus vers une piste. 6+6 d
Par les âpres sentiers qui tournent dans le val, 6+6 a
Laissant à chaque pas trébucher son cheval, 6+6 a
Hemrick, le veuf, encor ferme et haut sur la selle, 6+6 b
20 Pâle, et les yeux là-bas fixés sur l'occident, 6+6 c
Regagne sans valet sa demeure ; et pendant 6+6 c
Que tout près d'éclater l'orage s'amoncelle 6+6 b
Sur sa tête, il écoute en lui, profondément, 6+6 c
Retentir les échos d'un vaste ébranlement. 6+6 c
25 Car dans son âme, ainsi qu'un mineur dans la mine 6+6 a
Entre d'étroits couloirs rampe, creuse et chemine, 6+6 a
Et depuis très longtemps, la lampe sourde au poing 6+6 b
Ou le pic dur levé, se dévoue à sa tâche, 6+6 c
S'acharne sur le roc, frappe, écarte et détache 6+6 c
30 Quelque bloc descellé qu'on ne remplace point, 6+6 b
Dans son âme dardant des lumières livides, 6+6 d
Un soupçon a creusé de lamentables vides. 6+6 d
Ah ! Que de jours maudits et que de nuits bien plus 6+6 a
Maudites l'ont étreint dans un flux et reflux 6+6 a
35 De doutes, de stupeurs, de luttes, d'agonies, 6+6 b
Depuis le premier coup mystérieux porté 6+6 c
Dans sa douleur pieuse et dans sa loyauté ! 6+6 c
Depuis que, pour blêmir au glas des insomnies, 6+6 b
Il suivait l'invisible et fatal promeneur 6+6 d
40 Sapant tout ce qui fut sa gloire et son bonheur ! 6+6 d
Sa confiance était comme un sol granitique 6+6 a
Où ses pensers, hautains ainsi qu'un bois antique, 6+6 a
Pleins d'une sève auguste, et les rameaux unis, 6+6 b
En défiant l'acier des haches assassines, 6+6 c
45 Puissamment agrafés, enfonçaient leurs racines ; 6+6 c
Visités par la mort, et désormais sans nids ; 6+6 b
Saignant de tous côtés comme des troncs d'érables ; 6+6 d
Tristes, mais beaux toujours, brisés, mais vénérables. 6+6 d
L'odieux travailleur aux efforts grandissants 6+6 a
50 Avait si bien repris son œuvre en tous les sens ; 6+6 a
Il avait tant rongé, tant fouillé sans relâche 6+6 b
Les précieux filons du trésor souterrain ; 6+6 c
Tant perforé la voûte avec son bec d'airain ; 6+6 c
Tant crié vers le jour d'une voix rauque et lâche, 6+6 b
55 Que le jour s'était fait dans un énorme puits, 6+6 d
Et que tout un passé s'abîmait sans appuis. 6+6 d
Avec un grand fracas de ramures penchées 6+6 a
Qui s'effondrent, froissant leurs feuilles desséchées, 6+6 a
Tout croulait à la fois dans l'espace béant, 6+6 b
60 Et l'honneur, et l'amour, et l'amitié, — chimères ! 6+6 c
Tout, tout, jusqu'à l'espoir des vindictes amères, 6+6 c
Tout avait disparu dans l'antre du néant ; 6+6 b
Et la foudre pouvait choisir Hemrick pour cible : 6+6 d
Il n'était déjà plus qu'un sépulcre insensible. 6+6 d
II
65 Partout où se croisant pour les muets combats 6+6 a
Les regards dans les cœurs se plongent ici-bas ; 6+6 a
Dans tous les temps, sous tout climat, sur tout rivage, 6+6 b
C'est la loi qu'à son tour, éperdu, terrassé 6+6 c
Par le voluptueux désir qui l'a blessé, 6+6 c
70 L'orgueil d'un front viril, enivré d'esclavage, 6+6 b
S'est laissé choir aux pieds d'une fille aux beaux yeux 6+6 d
Qui l'écrase en jouant, sphinx alerte et joyeux. 6+6 d
Ais si jamais amour fut l'aurore d'un songe 6+6 a
Immortel, un serment sembla moins un mensonge ; 6+6 a
75 Si jamais un regard, un sourire, une voix, 6+6 b
Furent clarté, reflet divin, son angélique ; 6+6 c
Si jamais, comme au fond d'un temple une relique, 6+6 c
Une vierge adorée eut un riche pavois, 6+6 b
Ce furent ton amour, ton serment, ton visage, 6+6 d
80 Ce fut toi, Myriann, idole au faux présage ! 6+6 d
Et de tous ceux enfin domptés par le tourment 6+6 a
Qui fait d'un homme libre un misérable amant, 6+6 a
Tel qu'un vaincu qui tombe à genoux sans cuirasse, 6+6 b
Lui-même devant tous prompt à se désarmer, 6+6 c
85 De ceux-là dont le mal est de croire et d'aimer, 6+6 c
Qui donc, portant plus haut la fierté de sa race, 6+6 b
L'humilia plus bas que Hemrick, devant toi, 6+6 d
Myriann ! Plus docile et courbé sous ta loi ? 6+6 d
Lui, le breton épris des hasards, dont l'épée 6+6 a
90 Sans cesse étincelait à quelque œuvre occupée ; 6+6 a
Lui, l'altier successeur d'aïeux vindicatifs, 6+6 b
Qui méprisait l'amour et haïssait les chaînes, 6+6 c
On le vit, oubliant sa superbe et ses haines, 6+6 c
N'avoir d'autres soucis que tes désirs furtifs, 6+6 b
95 Que l'ombre de ton front chassée, ou d'autre ivresse 6+6 d
Que de faire à ta vie un rempart de tendresse ! 6+6 d
Dix ans, tu lui souris, sans que ta douce main, 6+6 a
Comme pour lui cacher l'anneau d'or de l'hymen, 6+6 a
Ait une fois tremblé de crainte dans la sienne ! 6+6 b
100 Sans qu'à ta lèvre rose ou qu'à ta joue en fleur 6+6 c
Résidât le silence ou courût la pâleur 6+6 c
D'un remords né la veille ou d'une faute ancienne ; 6+6 b
Et les lacs bleus des bois entre les joncs luisants 6+6 d
Sont moins clairs que tes yeux ne furent clairs, dix ans ! 6+6 d
105 Et quelle âme, elle-même à ce point avilie, 6+6 a
A ce point se traînant dans l'écume et la lie 6+6 a
Des mystères impurs de ce monde pervers, 6+6 b
Aurait pu, même une heure, un seul instant jalouse, 6+6 c
Pour y lire les mots qu'enfouit une épouse, 6+6 c
110 Regarder par delà ton front lisse, à travers 6+6 b
Le limpide cristal de ton amour, ô femme ! 6+6 d
Sans reculer bien vite et se sentir infâme ? 6+6 d
Loin des villes, d'ailleurs, hérissant ses trois tours, 6+6 a
Le manoir de Hemrick, ancien nid de vautours, 6+6 a
115 Avait le vieux renom de se fermer aux fêtes ; 6+6 b
Et tous deux, le front ceint de rayons, coutumiers 6+6 c
De solitude et d'ombre, et de paix, vous aimiez, 6+6 c
Couple heureux, à sentir vos âmes satisfaites, 6+6 b
Au murmure tranquille et sacré des forêts, 6+6 d
120 Se confondre au réveil des calices plus frais. 6+6 d
Mais non, Hemrick ! Ton âme ardente était de celles 6+6 a
Où le même foyer fait deux parts d'étincelles, 6+6 a
Qui brûlantes d'amour, sont chaudes d'amitié ; 6+6 b
Ton âme était le champ dont le sillon immense 6+6 c
125 Pour les doubles moissons se trace et s'ensemence ; 6+6 c
Et chaque jour ainsi tu donnais la moitié 6+6 b
De toi-même à l'ami loyal, au frère d'armes, 6+6 d
Mort aussi, pour rouvrir la source de tes larmes ! 6+6 d
O morts ! Couchés là-bas sous le plomb bien scellé, 6+6 a
130 Dans votre lit bien clos, sans serrure t sans clé, 6+6 a
Dormez l'un après l'autre à la garde des anges, 6+6 b
Complices embaumés d'un fraternel regret ! 6+6 c
Car avec vous descend dans la fosse un secret 6+6 c
Dont les vers vont nourrir leurs discrètes phalanges ; 6+6 b
135 Et celui qui là-haut n'en avait rien compris 6+6 d
N'en connaîtra jamais l'inexigible prix. 6+6 d
Lui, survit, foudroyé par deux fois, solitaire, 6+6 a
Inerte, inconsolable ; et toujours vers la terre, 6+6 a
Du matin morne au soir lugubre, l'œil baissé, 6+6 b
140 Il reprend le chemin du cher pèlerinage ; 6+6 c
Et sa double douleur augmente avec son âge ; 6+6 c
Et vos traits qu'il évoque émergent du passé 6+6 b
Plus glorieux, plus beaux, plus purs, ineffaçables, 6+6 d
O morts ! Qu'il a lui-même étendus sous les sables ! 6+6 d
145 Morts bénis, allongeant vos membres décharnés ! 6+6 a
Si pour la trahison vous êtes jadis nés, 6+6 a
Vous avez savamment vécu la tête haute ; 6+6 b
Et n'ayant point monté les cavales sans mors 6+6 c
Des passions sans crainte et sans pudeur, ô morts ! 6+6 c
150 Ayant vaincu la vie, oubliez votre faute, 6+6 b
Confiants tous les deux, abrités, n'est-ce pas ? 6+6 d
Dans l'ombre impénétrable et lourde du trépas ! 6+6 d
Hemrick ! C'est trop longtemps te complaire au supplice 6+6 a
Des pleurs sur les tombeaux, du blasphème qui plisse 6+6 a
155 Ton front qu'un orgueilleux bonheur avait sculpté ! 6+6 b
Viens ! Penche-toi ; souris vers la blonde auréole 6+6 c
De ce frêle orphelin qui t'implore, symbole 6+6 c
De l'amour renaissant de sa fragilité, 6+6 b
Consolateur suprême, adorable héritage, 6+6 d
160 Où ton désir s'obstine à revoir une image ! 6+6 d
Mais il marche, l'enfant qui jouait au berceau 6+6 a
Quand la mère en tes bras se roidit, sous le sceau 6+6 a
De la mort étendant sa main séparatrice ; 6+6 b
Et tu cherches toujours, d'un regard jamais las, 6+6 c
165 Dans son jeune regard l'ancien azur, hélas ! 6+6 c
Chaque jour, ravivant ta large cicatrice, 6+6 b
Tu cherches sur sa lèvre un écho d'autrefois, 6+6 d
Tu tressailles d'entendre, hélas ! Une autre voix ! 6+6 d
Hélas ! Ceux qui sont nés sous de sombres auspices 6+6 a
170 Ne se rendront jamais les étoiles propices ! 6+6 a
Et pour toi l'avenir a de plus durs arrêts ; 6+6 b
Et tu la fermeras, ta bouche palpitante 6+6 c
Dans la longue prière et l'inféconde attente ! 6+6 c
Car il était écrit que tu ne vieillirais, 6+6 b
175 Père aux espoirs frustrés, aux caresses déçues, 6+6 d
Que pour le choc plus fort des célestes massues ! 6+6 d
Il grandit ; et voilà que déjà dans ses jeux 6+6 a
S'allume en son œil fixe un éclair courageux ; 6+6 a
Que sa fierté s'essaie à des accents plus mâles ; 6+6 b
180 Et, tout à coup, plus prompt que la flèche qui part, 6+6 c
Le reflet d'un visage, un jour, de part en part, 6+6 c
A traversé ta moelle et figé tes chairs pâles, 6+6 b
Frémissantes, après, d'avoir bien entendu 6+6 d
Le son d'une autre voix dont le souffle est perdu ! 6+6 d
185 Tu pâlis, tu frémis par instinct ; tout ton être, 6+6 a
Au bord d'un précipice insondable, peut-être 6+6 a
A tremblé d'accueillir l'affreux pressentiment ; 6+6 b
Mais pour chasser bien loin cette pensée obscure, 6+6 c
Basse comme un affront fait à la sépulture 6+6 c
190 D'un ami pour jamais sans voix, fébrilement, 6+6 b
Sans qu'il lui fût permis de germer ni d'éclore, 6+6 d
Tu l'arrachas, confuse à tes tempes encore ! 6+6 d
Va ! Tu la rejetais de tes tempes en vain ! 6+6 a
Car il est entre tous un infernal levain 6+6 a
195 De martyres sans nom, sans pitié ni remède, 6+6 b
Un philtre qui bouillonne et dévore les cœurs, 6+6 c
Surpassant le venin des terribles liqueurs 6+6 c
Que la hutte sauvage en avare possède ; 6+6 b
Et, pour empoisonner un homme, un seul instant 6+6 d
200 Lui suffit, et c'est trop d'un symptôme flottant. 6+6 d
Tu t'indignes en vain ; en vain tu te récries 6+6 a
Et demandes pardon à leurs cendres chéries ! 6+6 a
Car un appel de jour en jour plus triomphant 6+6 b
T'attire et te retourne anxieux, et te cloue, 6+6 c
205 Muet, tordu d'angoisse et la glace à la joue, 6+6 c
éloigné de ton fils, du fatidique enfant 6+6 b
De la morte, et te force à saisir au passage 6+6 d
On ne sait quel vivace et plus sûr témoignage ! 6+6 d
Est-ce bien là ton fils, l'innocent qui grandit 6+6 a
210 Dans tes salles ? Celui que toi, père maudit, 6+6 a
Tu contemples, hagard de voir que dans son geste 6+6 b
Se trace d'heure en heure un vivant souvenir, 6+6 c
Que sur sa lèvre un pli connu va revenir, 6+6 c
Que le feu d'un regard inoubliable reste 6+6 b
215 Sous son front, et qu'enfin, dans l'étrange héritier, 6+6 d
Un mort semble vouloir revivre tout entier ! 6+6 d
Loyal, certe, et fidèle, et brave, et magnanime, 6+6 a
Soit parmi les clameurs du combat qu'il ranime, 6+6 a
Soit pacifique, au seuil de l'hôte hospitalier, 6+6 b
220 Serein, et la main ferme entre ta main qu'il serre, 6+6 c
Jeune et beau, fort et doux, et pour chacun sincère, 6+6 c
Il l'était autrefois, avant de sommeiller 6+6 b
Sous les cyprès aussi, là-bas, rigide et grave, 6+6 d
Loué par l'épitaphe où a douleur se grave ! 6+6 d
225 S'ils souffrent en damnés, les jaloux, quel que fût 6+6 a
L'indice qui les tient embusqués à l'affût ; 6+6 a
Tous ceux qui de cléments deviennent sanguinaires, 6+6 b
Pareils aux sectateurs des molochs altérés, 6+6 c
Aux tigres bondissants hors des épais fourrés, 6+6 c
230 Que souffrent-ils donc, ceux qui, pleins de sourds tonnerres, 6+6 b
Affamés de carnage et masquant leur flambeau, 6+6 d
heurtent leurs poings crispés aux pierres d'un tombeau ! 6+6 d
Ah ! Crispés sont tes poings ! Et sous ton crâne chauve 6+6 a
Effrayants sont tes yeux dans leur cavité fauve, 6+6 a
235 Chaque fois qu'éperdu de ton lâche dessein, 6+6 b
Compulsant ta mémoire aux fidèles archives, 6+6 c
Suscitant un par un dans tes marches pensives 6+6 c
Les fantômes du mort, du compagnon serein, 6+6 b
Tu les vois s 4 ajuster sur le fils qui t'embrasse ! 6+6 d
240 Et t'apparaître tous incarnés dans ta race ! 6+6 d
Sous ton toit qu'ont quitté tes anciens serviteurs, 6+6 a
Où tu dardes, blanchi, tes yeux inquisiteurs, 6+6 a
Elle éclate à la fin, l'atroce ressemblance 6+6 b
Dont mille fois, la nuit, comme un vil espion, 6+6 c
245 Tu surpris, lampe en main, la lente éclosion, 6+6 c
Labourant sous tes doigts ta poitrine en silence, 6+6 b
Pour ne pas réveiller l'inconscient témoin 6+6 d
D'un crime enseveli sous les ombres au loin ! 6+6 d
Elle éclate à la fin, et t'obsède et te brave, 6+6 a
250 En ce jeune homme fier, et magnanime, et brave, 6+6 a
Et loyal, et sincère, à qui tu n'accordas 6+6 b
Depuis longtemps déjà qu'un amour fait de haine ; 6+6 c
Et s'il parle, ton sang bout et gonfle ta veine ; 6+6 c
Et s'il veut t'embrasser, tu crois revoir Judas ; 6+6 b
255 Et dès qu'il te sourit, tu dresses vers les tombes 6+6 d
Un bras impatient de doubles hécatombes ! 6+6 d
Vastes ou non, polis ou froids, bleus, gris ou noirs, 6+6 a
Si les yeux contemplés sont vraiment des miroirs, 6+6 a
C'est que seul il s'y voit, celui qui les regarde ; 6+6 b
260 Et dans ceux de l'épouse et dans ceux de l'ami 6+6 c
Si jamais tu n'as vu le reptile ennemi, 6+6 c
C'est qu'autour de ton âme il faisait bonne garde, 6+6 b
L'ange qu'à sa défense avait placé l'orgueil, 6+6 d
Et que nul sifflement n'en franchissait le seuil. 6+6 d
265 Dans la coupe où jadis débordait l'ambroisie, 6+6 a
Tu le sais, à présent, combien l'hypocrisie, 6+6 a
Sans défaillir peut-être et dès les premiers jours, 6+6 b
Savait mêler pour toi l'invisible ciguë ; 6+6 c
Et combien peut la honte être aisément vaincue, 6+6 c
270 Et le plus long mensonge être sans remords lourds, 6+6 b
Et l'étreinte dernière être encor calculée, 6+6 d
Pour ceux-là dont l'extase était l'heure volée ! 6+6 d
Et cependant, — telle est notre nature, tel 6+6 a
Son besoin d'une idole et son besoin d'autel, — 6+6 a
275 Malgré la ressemblance où ta stupeur s'abreuve, 6+6 b
Tu te reprends quand même à douter par moment, 6+6 c
A t'écrier parfois dans ta ferveur : « Il ment ! 6+6 c
Le jeune homme pervers, l'accusateur sans preuve, 6+6 b
Le fils dénaturé qui souille à lui tout seul 6+6 d
280 Sa mère au front sans tache à travers un linceul ! » 6+6 d
Mais quand alors, ainsi qu'un justicier farouche, 6+6 a
La narine renflée, et l'écume à la bouche, 6+6 a
Prêt à bondir devant ce jeune homme étonné, 6+6 b
Et ton choix déjà fait sur quelque panoplie, 6+6 c
285 Tu ramènes ton bras avant l'œuvre accomplie, 6+6 c
Qui pourrait lire au fond de l'élan refréné, 6+6 b
Si c'est l'accusateur de la morte, ou lui-même, 6+6 d
L'autre mort, que tu veux frapper dans son emblème ! 6+6 d
La preuve irrécusable, elle est là, devant toi ! 6+6 a
290 Celle qui déserta ton honneur et sa foi, 6+6 a
Aurait-elle avoué sa faute et sa traîtrise 6+6 b
Au prêtre murmurant son bréviaire banal ; 6+6 c
Ce prêtre, sans respect pour le saint tribunal, 6+6 c
T'aurait-il tout redit par peur ou par surprise, 6+6 b
295 Ah ! De quel poids nouveau pèseraient ses aveux, 6+6 d
Et quel frisson plus grand courrait dans tes cheveux ? 6+6 d
Des témoins ? Il en est qu'on menace ou soudoie ! 6+6 a
Un imposteur, afin que bien mieux on le croie, 6+6 a
Peut dans un coffret d'or habilement caché 6+6 b
300 Flétrir sur le vélin la plus chaste mémoire, 6+6 c
Et trouver le moment, le mur creux ou l'armoire ; 6+6 c
Au spectre qu'en sa couche un remords a touché 6+6 b
Et qui parle aux vivants d'une œuvre expiatoire, 6+6 c
On peut crier : je rêve une impossible histoire ! 6+6 c
305 Mais lui, le propre fruit du ténébreux forfait, 6+6 a
Bien plus haut mille fois que jamais n'eussent fait 6+6 a
Témoin, coffre qu'on brise, éphémère statue, 6+6 b
Ce revenant réel, fait de chair et de sang, 6+6 c
Nuit et jour il raconte un amour si puissant, 6+6 c
310 Que l'amant dans sa forme en lui se perpétue 6+6 b
Et témoigne, et t'accable, et t'insulte, et se rit 6+6 d
Du vertige où tournoie et sombre ton esprit. 6+6 d
Oui, c'était bien le fils du compagnon coupable, 6+6 a
C'était le compagnon lui-même — horreur palpable ! — 6+6 a
315 Qui s'était devant toi redressé, trait pour trait, 6+6 b
Comme un ressuscité qu'a rajeuni la bière, 6+6 c
Ce matin-là, debout, calme dans la lumière, 6+6 c
Cynique dans son crime au châtiment soustrait ! 6+6 b
Et pour ne pas céder aux démences soudaines, 6+6 d
320 Tu t'es enfui livide, au hasard, par les plaines. 6+6 d
Tout le jour, à travers landes, vallons et bois, 6+6 a
Plein de larmes, ainsi qu'un vieux cerf aux abois, 6+6 a
Poursuivi par la meute ardente et découplée 6+6 b
Des jours heureux chantant dans ton long désespoir, 6+6 c
325 La soif inextinguible au gosier, jusqu'au soir, 6+6 c
A travers la campagne ironique et peuplée 6+6 b
De visions d'amants qui rapprochent leurs fronts, 6+6 d
Tu passas, tu rougis tes fiévreux éperons ! 6+6 d
— Vengeance ! Cri féroce et stupide espérance, 6+6 a
330 Qui dans l'affolement d'une horrible souffrance 6+6 a
Sors partout et toujours d'un cœur d'homme jaloux ! 6+6 b
A quel rêve jamais as-tu rendu la vie ? 6+6 c
Et qui donc, ta rancune une fois assouvie, 6+6 c
Dans un sein ruisselant toujours par mille trous 6+6 b
335 N'enfonce point encor ses dix ongles avides, 6+6 d
Conseillère sanglante aux promesses perfides ? 6+6 d
Tout le jour, dans ses yeux au brouillard épaissi, 6+6 a
Dans sa cervelle en proie aux griffes sans merci, 6+6 a
Tu t'élanças du fond des soupirs et des râles ; 6+6 b
340 Tu rugis dans sa voix qui frappa sans repos 6+6 c
Au loin sur la nature en paix et sans échos, 6+6 c
Vengeance ! Toi qu'on montre aux murs des cathédrales, 6+6 b
Inutile transport des hommes furieux ! 6+6 d
Divine volupté, qui mens, comme les dieux ! 6+6 d
345 Ils dorment tous les deux, là-bas, au cimetière ! 6+6 a
Pour la noble victime et pour sa soif entière 6+6 a
Ils n'ont plus de frayeur, ni de sang, ni de chairs ! 6+6 b
Et l'outragé ne peut que reboire sa honte ! 6+6 c
Et quand un flot de pourpre à sa face remonte, 6+6 c
350 Il doit laisser tomber son poignard sans éclairs, 6+6 b
Et laisser faire à Dieu, qui pèse, compte et juge, 6+6 d
Et contre qui les morts n'auront pas de refuge ! 6+6 d
S'ils étaient là, tout près, les voleurs de son nom, 6+6 a
Les bourreaux souriants, que ferait-il ? Sinon 6+6 a
355 Les écraser ensemble et d'un seul coup, sur l'heure, 6+6 b
Ainsi que deux serpents sur le bord du chemin. 6+6 c
Que pourrait-il de plus demander à sa main, 6+6 c
Que de fermer leurs yeux où la lâcheté pleure 6+6 b
Avec la grande nuit qui déjà les a faits, 6+6 d
360 Peut-être pour toujours, unis et satisfaits ? 6+6 d
Mais qu'importe qu'un couple épié prie et meure, 6+6 a
Si l'angoisse pour l'autre est pareille, et demeure 6+6 a
A jamais, si l'amour trahi hurle à jamais ! 6+6 b
Voilà pourquoi, murée en sa rage impuissante, 6+6 c
365 L'âme du veuf, au soir, errait, morne passante, 6+6 c
Irréparablement déserte désormais, 6+6 b
Sans rien voir, sans entendre autour d'elle autre chose 6+6 d
Que son effondrement dans la nuit vaste et close. 6+6 d
III
Et l'orage est prochain sur tous les horizons 6+6 a
370 Des gorges de Carnac aux sauvages gazons ; 6+6 a
Aux vieux troncs caverneux se montrant leurs blessures ; 6+6 b
Aux grands dolmens rangés dans la brume, tout droits ; 6+6 c
Aux flaques de sang vif qui fume par endroits, 6+6 c
Où, comme un assassin couvert d'éclaboussures, 6+6 b
375 Le soleil, au sortir du tragique plateau, 6+6 d
Jette derrière lui son criminel manteau. 6+6 d
Semblables à des bras tendus, pleins de colère, 6+6 a
Rétrécissant leur vol rapide et circulaire, 6+6 a
Des nuages armés de feux, très bas et noirs, 6+6 b
380 Accourent ; de partout la foudre furibonde 6+6 c
éclate et rebondit de seconde en seconde ; 6+6 c
Et la nuit violente ouvrant ses réservoirs, 6+6 b
Verse avec tous les bruits convulsifs des tempêtes 6+6 d
La terreur aux bergers et la folie aux bêtes. 6+6 d
385 Et comme un endormi flagellé tout à coup, 6+6 a
Hemrick sur l'étrier se releva debout, 6+6 a
Blafard, la droite haute, et le buste en arrière ; 6+6 b
Et tandis qu'emporté par son vieil étalon, 6+6 c
Il passait, l'œil sanglant, à travers un vallon 6+6 c
390 Qu'étoilaient, sous le ciel fendu, des croix de pierre, 6+6 b
Un sanglot surhumain, un cri désespéré, 6+6 d
Vers les morts s'exhala de son cœur déchiré : 6+6 d
« Non ! Malgré les six pieds de terre sur vos restes, 6+6 a
Malgré vos ossements en poudre, ô morts funestes ! 6+6 a
395 Cria-t-il ; dût ma voix implacable, plus haut 6+6 b
Que le tonnerre, ici rouler sans fin ! Dussé-je 6+6 c
User à votre porte un poignet sacrilège, 6+6 c
Vous ne dormirez point ce soir, traîtres ! Il faut 6+6 b
Que vous vous réveilliez ! Il faut que vos oreilles 6+6 d
400 S'emplissent pour toujours de l'horreur de mes veilles ! 6+6 d
« Ah ! Vous ne dormez pas ! Et le long des cyprès, 6+6 a
Vos corps inassouvis approchés de plus près, 6+6 a
Comme ils m'apparaissaient dans mes lentes tortures 6+6 b
Errent au souvenir des printemps amoureux ; 6+6 c
405 Et cette nuit terrible est sans effroi pour eux ; 6+6 c
Et vous trompez aussi l'ange des sépultures ! 6+6 b
Enlacés dans la pluie et la foudre et les vents, 6+6 d
Insensibles tous deux aux douleurs des vivants ! 6+6 d
« Vous flottez devant moi, plus loin, lâches fantômes ! 6+6 a
410 Amants parés de fleurs aux sinistres arômes ! 6+6 a
Et pendant qu'à leur seuil d'herbe épaisse ou d'airain, 6+6 b
Sur les dalles qu'un pas insolite a heurtées, 6+6 c
Mille formes de morts se lèvent irritées ; 6+6 c
Pendant qu'il vous poursuit, cet étalon sans frein, 6+6 b
415 Et que mon bras pour vous anéantir se dresse, 6+6 d
Vous ne daignez rien voir que votre propre ivresse ! 6+6 d
« Eh ! Bien ! Puisque la vie enferme ma fureur, 6+6 a
Cette pointe impuissante entrera dans mon cœur ! 6+6 a
Et que tout mon enfer s'éteigne, ou bien consume 6+6 b
420 Mon âme libre aussi de ses liens charnels ; 6+6 c
Et que je sache enfin si les affreux appels 6+6 c
Des jaloux se tairont dans le sommeil posthume ; 6+6 b
Si vous m'échapperez toujours ! Et si jamais 6+6 c
Tu ne m'aimeras plus, Myriann, que j'aimais ! » 6+6 c
425 — Et comme un bloc, Hemrick roula hors de la selle, 6+6 a
Une plaie à grands flots ruisselant sous l'aisselle, 6+6 a
Au bas d'un mausolée où son blason paraît ; 6+6 b
Et la porte de bronze a dans la nuit fatale 6+6 c
Retenti sous son poing d'une voix sépulcrale ; 6+6 c
430 Et le vieil étalon brusquement en arrêt, 6+6 b
Frappa d'un dur sabot sur le marbre sonore, 6+6 d
Blanc d'écume, le cou tendu, jusqu'à l'aurore ! 6+6 d
mètre profil métrique : 6+6
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