Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DRX_1/DRX14
Léon DIERX
POÈMES ET POÉSIES
1864
Stella Vespera
I
L'image de Florenceen moi s'était dressée 6+6 a
Ce soir-là. De nouveau,j'y suivais en pensée 6+6 a
Les pas silencieuxde Stella Vespera. 6+6 b
Sœur des merveilles d'artqu'un beau siècle inspira, 6+6 b
5 Elle m'avait charmécomme un pur marbre antique, 6+6 a
Et me hantait depuis,fantôme énigmatique. 6+6 a
On disait sa familleoubliée. Un secret 6+6 b
Cachait sa vie à tous.On ne la rencontrait 6+6 b
Que dans quelque muséeillustre. Sur sa trace, 6+6 a
10 Comme un témoin souffertdont l'amour embarrasse, 6+6 a
Une vieille toujourstrnait à quelques pas, 6+6 b
Les yeux fixés sur elle,et ne lui parlant pas, 6+6 b
Duègne ou mère, à la foisgardienne et protectrice, 6+6 a
Et tout en murmurant,soumise à son caprice. 6+6 a
15 Tous les jours, environune heure avant le soir, 6+6 b
On la voyait venirdu plus désert couloir 6+6 b
Faire choix d'un portraitde madone ou de dame 6+6 a
En lequel un vieux mtreavait mis sa grande âme. 6+6 a
Elle restait alors,les bras croisés, couvrant 6+6 b
20 Le tableau d'un regardde défi, pénétrant 6+6 b
Et large, d' partaitvers la tête sans vie 6+6 a
Je ne sais quel éclairde dédain et d'envie. 6+6 a
Certe, avec ces chefs-d'œuvreau renom magistral 6+6 b
Elle aurait, sans pâlir,pu lutter d'idéal ; 6+6 b
25 Et moi-même, j'avais,au fond des galeries, 6+6 a
Dans quelque coin, derrièreun pan des draperies, 6+6 a
Maintes fois contemplécet entretien muet, 6+6 b
Antagonisme étrange nul ne remuait 6+6 b
Du type impérissableet du type éphémère. 6+6 a
30 Chacun s'écartait d'elleainsi que de sa mère. 6+6 a
On lui donnait vingt ansà peine. Une clarté 6+6 b
Comme un rayonnemententourait sa beauté 6+6 b
Qui, splendide, éclataiten floraison entière, 6+6 a
Mais se sculptait aussi,comme en un bloc de pierre, 6+6 a
35 Dans une incomparableet mortelle froideur. 6+6 b
Ceux que vers elle avaitattirés trop d'ardeur 6+6 b
S'étaient sentis vaincuset terrassés sur place 6+6 a
Par une pesanteurde mépris et de glace 6+6 a
Qui tombait de ses yeuxsans pareils. Son vrai nom, 6+6 b
40 Nul n'avait jamais pul'apprendre, disait-on. 6+6 b
Comme elle apparaissaitvers une heure tardive 6+6 a
Dans les palais, sans bruit,solennelle et pensive, 6+6 a
On lui trouva bientôtce nom mystérieux 6+6 b
De Stella Vespera.Personne, jeune ou vieux, 6+6 b
45 Par prière ou présent,n'avait obtenu d'elle 6+6 a
Qu'elle posât jamaisdevant lui pour modèle. 6+6 a
Elle n'aimait que l'artd'autrefois, et semblait 6+6 b
Fuir le peintre au travaildevant un chevalet. 6+6 b
Les curieux, lassésd'un effort inutile, 6+6 a
50 La laissaient dispartreau bas d'un péristyle 6+6 a
Dans l'ombre et dans la foule.On s'était contenté 6+6 b
D'une légende autourde sa sévérité. 6+6 b
On disait qu'autrefois,Stella, sans aucun voile, 6+6 a
Avait brillé, bijoud'un palais, sur la toile, 6+6 a
55 Conception d'un princeinconnu du pinceau, 6+6 b
Sans rivale, parmiles plus dignes du sceau 6+6 b
Des mtres plus heureuxdont la gloire se nomme. 6+6 a
Pour ce corps insensible,on disait qu'un jeune homme, 6+6 a
Un peintre florentin,plus tard s'était épris 6+6 b
60 D'un amour insensémais fervent, et pour prix 6+6 b
Sut animer aussicette autre Galatée. 6+6 a
Un soir qu'il l'appelaitdans la salle écartée, 6+6 a
Il la sentit tomberdans ses bras doucement. 6+6 b
Quand il mourut, Stella,fidèle à son amant, 6+6 b
65 Fut prise du dégtde sa métamorphose ; 6+6 a
Et pour se rendormirdans sa première pose 6+6 a
Comme autrefois, au cield'un art patricien, 6+6 b
Voulut chercher son cadreet son palais ancien ; 6+6 b
Mais soit qu'elle t perdula mémoire à cette heure, 6+6 a
70 Soit que le feu peut-êtret détruit la demeure, 6+6 a
Elle ne put jamaisles trouver. C'est ainsi 6+6 b
Que Stella, sous l'éland'un unique souci, 6+6 b
Errait désespérée,et jalouse de celles 6+6 a
Qui dans l'orgueil sereindes formes immortelles 6+6 a
75 De musée en muséeinsultaient son destin. 6+6 b
D'autres disaient encoreet tenaient pour certain 6+6 b
Que l'art avait en elleun malfaisant génie, 6+6 a
Dont le regard, tombésur une œuvre finie, 6+6 a
Changeait la toile exquiseen rebut d'atelier. 6+6 b
80 Tel était à Parisle conte familier 6+6 b
Qui depuis mon retourm'obsédait, plus encore 6+6 a
Ce soir-là ; car octobre,agitateur sonore, 6+6 a
Semait dans l'air les voixdes souvenirs perdus. 6+6 b
Et ceux-là revenaienten moi plus assidus, 6+6 b
85 Tandis qu'avec Centi,sur la berge isolée, 6+6 a
Je suivais pas à pasquelque lointaine allée. 6+6 a
Je l'avoue, en tout tempsje me suis abreuvé 6+6 b
Des choses d'outre-vie,et n'ai que trop rêvé. 6+6 b
Mais Centi, le grand peintre,avait poussé mon âme 6+6 a
90 Vers les mondes obscursdont il trouait la trame ; 6+6 a
Et dans ses mots, parfois,filtrait subtilement 6+6 b
Le dangereux levaind'un bizarre aliment 6+6 b
Qui, bien loin du réel,comme un corps qu'on délie, 6+6 a
Me roulait aux confinstroublants de la folie. 6+6 a
95 Ce soir, en regardantsous la frcheur des eaux, 6+6 b
les arbres en feurenversaient leurs arceaux, 6+6 b
Le brouillard s'épaissirdans ce autres portiques, 6+6 a
Je sentais que l'espritdes songes fantastiques 6+6 a
Dormait autour de nous.Par instinct, j'arrêtai 6+6 b
100 Le récit sur les bordsde mes lèvres monté, 6+6 b
Pour ne pas réveillerce tentateur tranquille. 6+6 a
Nous nous taisions, laissantderrière nous la ville. 6+6 a
Le peintre s'arrêtait ;il murmura vers moi : 6+6 b
« Qu'est-ce que le génie,après tout ? C'est ma foi 6+6 b
105 Qu'il est évocateur,aussi bien que prophète ; 6+6 a
Que ce qu'il croit créerest l'image parfaite 6+6 a
D'un être que retientl'avenir ou la mort, 6+6 b
Ou qui, peut-être aussi,se cache à son effort, 6+6 b
Bien loin ou près de lui,mais dans son heure même, 6+6 a
110 Réalité vivanteégale à l'art suprême, 6+6 a
Mais qu'un cercle défend,redoutable au désir, 6+6 b
Fatal à qui la cherche,et la voudrait saisir ! 6+6 b
Et selon vous, lui dis-je,il faudrait ainsi croire 6+6 a
La réalité filleou sœur de l'illusoire ? » 6+6 a
115 Il se tut quelque temps,et, plus calme, reprit : 6+6 b
« L'art est un miroir clairpour un puissant esprit ! 6+6 b
L'ancêtre, dont le nomm'est un âpre héritage, 6+6 a
Eut, dit-on, la folieet la gloire en partage. 6+6 a
Mais c'est un fait, célèbreà Florence, jadis, 6+6 b
120 Que cinquante ans aprèssa mort, sous Léon Dix, 6+6 b
Dans cette ville même,on ne sait d' venue, 6+6 a
Vivait aux yeux de tousune femme inconnue, 6+6 a
Laquelle était l'exactet merveilleux portrait 6+6 b
De son chef-d'œuvre à lui,qu'un grand prince montrait, 6+6 b
125 Et que tous renommaientà l'égal d'un prodige. 6+6 a
Et qui donc le possèdeaujourd'hui ? Répondis-je. 6+6 a
— Quelque vingt ans aprèsson palais s'écroula 6+6 b
Dans la flamme avec lui.Mais laissons tout cela ; 6+6 b
Venez bientôt me voiret parler de Florence. 6+6 a
130 Je sens pour cette villeune étrange attirance ; 6+6 a
Et pour m'en délivreril faudra bien qu'un jour 6+6 b
Dans la noble citéje m'éveille à mon tour. » 6+6 b
II
En entrant, j'admiraisà loisir, d'habitude, 6+6 a
Le riche encombrementdu cabinet d'étude ; 6+6 a
135 Comme de vieux amis,je les connaissais bien, 6+6 b
Tous ces dressoirs à joursde style italien ; 6+6 b
Ces ivoires jaunis,ces coupes, ces épées 6+6 a
Aux médailles d'acierpar Cellini frappées ; 6+6 a
Ces bronzes florentins ;dans leurs cadres toscans 6+6 b
140 Ces bustes de seigneursaux grands airs provocants, 6+6 b
Qui tous à leurs pourpointsportaient la même date. 6+6 a
Cette fois, je passaidevant eux à la hâte, 6+6 a
Mais non sans me sentirbrusquement traversé 6+6 b
Par la sensationd'un glorieux passé ; 6+6 b
145 Et les mots de Centisur Florence, la veille, 6+6 a
Me semblèrent encortinter à mon oreille. 6+6 a
L'atelier m'attirait ;et du premier coup d'œil 6+6 b
Je demeurai clouéde stupeur sur le seuil, 6+6 b
Comme un hallucinédevant l'esprit qui passe. 6+6 a
150 Sur cinq grands chevaletsqui tous me faisaient face, 6+6 a
Dans leurs cadres égaux,j'avais vu cinq portraits 6+6 b
éternisant cinq foisd'un coup les mêmes traits. 6+6 b
Du plafond, tout autour,tombait en masses lourdes 6+6 a
La tenture au sujetpaïen, aux couleurs sourdes ; 6+6 a
155 Et magnétiquementje reportai les yeux 6+6 b
Vers les tableaux, travaild'un art prestigieux, 6+6 b
Sur lesquels un jour vifaffluant dans la salle 6+6 a
Versait à pleins carreauxsa nappe triomphale. 6+6 a
Chacun semblait le butd'un vouloir différent. 6+6 b
160 L'on t dit du premierquelque tout neuf Rembrandt. 6+6 b
C'étaient les mêmes fondsd'épaisses atmosphères 6+6 a
Et d'obscurité chaudeaux attrayants mystères ; 6+6 a
Mais jamais le pinceaudu mtre hollandais 6+6 b
N'avait si loin pousséles ténèbres ; jamais 6+6 b
165 Si merveilleusementil n'en creusa les ondes 6+6 a
Sous une transparenceaux caresses profondes. 6+6 a
Quant au visage même,à peine il paraissait 6+6 b
Sur les bords de la nuitqui l'ensevelissait. 6+6 b
Mais en me rapprochant,contemplateur avide, 6+6 a
170 Quelque baigné qu'il fûtpar une ombre fluide 6+6 a
Avare des blancheursqu'elle dérobe au jour ; 6+6 b
Quelque indécis que fûtl'harmonieux contour 6+6 b
Du col à la poitrine le sein vient de ntre ; 6+6 a
Il me fallait aussisur-le-champ reconntre 6+6 a
175 Une noblesse éparseau sommet de ce front, 6+6 b
Dans les vagues lueursqui plus bas se fondront ; 6+6 b
Une suavitédans cette chevelure 6+6 a
Onduleuse ; une grâceenfantine et si pure 6+6 a
Sur ces lèvres ; partout,pour chaque ligne enfin, 6+6 b
180 Une virginitéde calme séraphin, 6+6 b
Une fleur de jeunesse,une aristocratie 6+6 a
De rêve, s'unissantdans sa gloire adoucie 6+6 a
A la solennitéd'une apparition 6+6 b
Dont Rembrandt n'a jamaischerché l'impression. 6+6 b
185 Concevez à présentcette confuse image 6+6 a
S'avançant de degrésen degrés, d'âge en âge, 6+6 a
De toile en toile, versla lumière et vers vous ; 6−6 b
Du fond de ces vapeursau rayonnement roux, 6+6 b
Voyez-la s'imprégnerchaque fois d'une vie 6+6 a
190 Plus intense, toujoursà l'ombre plus ravie, 6+6 a
Virginale toujours,mais femme cependant 6+6 b
De plus en plus, plus fièreaussi vous regardant, 6+6 b
Et des limbes premiersde son adolescence 6+6 a
Arrivant, sous l'essorde sa jeune puissance, 6+6 a
195 Jusqu'à l'éclosionenfin d'une beauté 6+6 b
Sûre d'avoir conquisson immortalité. 6+6 b
Tels j'admirais, plongédans de longues extases, 6+6 a
Ces portraits successifs,insaisissables phases 6+6 a
De la forme endormieencor dans sa candeur 6+6 b
200 A la forme éveilléeen sa riche splendeur, 6+6 b
Qui se connt et quis'impose, de la vierge 6+6 a
Qu'un songe inconscientet sans amour submerge 6+6 a
A celle qui se sentaimée, et dont les yeux 6+6 b
Ne réfléchissent riend'un cœur silencieux. 6+6 b
205 Et maintenant, tout prèsde moi, la pâle tête 6+6 a
Qui dans le dernier cadre,illusion complète, 6+6 a
Respirait, échappéeaux baisers de la nuit ; 6+6 b
Dardait vers moi l'éclaird'un regard qui poursuit ; 6+6 b
S'enveloppait de vieet d'éclat, palpitante 6+6 a
210 Des vivaces espoirsd'une héroïque attente, 6+6 a
Et magnifiquement,comme un matin d'été, 6+6 b
épanouie au seinde sa propre clarté ; 6+6 b
Ainsi qu'en un miroirun reflet qui s'obstine, 6+6 a
C'était bien cette foisla tête florentine 6+6 a
215 De Stella Vespera,telle que bien souvent 6+6 b
Naguère je l'avaiscontemplée en rêvant. 6+6 b
Jamais l'art ne fixad'une main plus fidèle 6+6 a
Dans son panthéon chasteun glorieux modèle ; 6+6 a
Jamais aussi, devantle génie et l'amour, 6+6 b
220 Plus belle vériténe se fit voir au jour. 6+6 b
Ainsi, mon souvenir,dans sa forme absolue, 6+6 a
Triomphant, tout à coupse dressait à ma vue, 6+6 a
M'enchnait de nouveau,si loin ! Et se parait 6+6 b
D'un charme plus profondfait d'un nouveau secret, 6+6 b
225 Sacrant tout l'atelierdu silence des temples ! 6+6 a
Et moi, je m'abîmaisdans ses prunelles amples. 6+6 a
Bien des heures, j'avaisjusqu'ici médité, 6+6 b
En pensant à ses yeux,sur leur étrangeté ; 6+6 b
Ce jour-là, tout à coup,sur l'image imprévue 6+6 a
230 J'en surpris la raisonrestée inapeue. 6+6 a
« Oui, me dis-je, en effet,l'un de ses yeux est noir 6+6 b
Et luisant comme l'encre,et l'autre, comme un soir 6+6 b
Sans lune, est d'un bleu sombreétoilé de lumières ; 6+6 a
Et leurs disques rivauxemplissent les paupières ! » 6+6 a
235 Enfin, un dernier cadre,isolé dans un coin 6+6 b
De l'atelier, foaitma vue un peu plus loin. 6+6 b
Ce n'était qu'une ébauche,une esquisse légère, 6+6 a
Mais toujours de Stella,l'obsédante étrangère. 6+6 a
Quel nimbe reluiraitsur ce front renaissant ? 6+6 b
240 Centi voulait-il donc,d'un désir tout récent, 6+6 b
Artiste inassouvi,surpasser la nature, 6+6 a
Et jusqu'au surhumaintenter une aventure ? 6+6 a
Ou bien, comme il avait,magicien de l'art, 6+6 b
Suivi cette beautéd'un scrupuleux regard 6+6 b
245 Dans son progrès, depuisl'aube crépusculaire 6+6 a
Jusqu'à l'heure qu'un cield'apothéose éclaire, 6+6 a
Allait-il la poursuivre,artiste sans pitié, 6+6 b
Dans son déclin aussichaque jour épié ? 6+6 b
Et le temps s'écoulait.Mes yeux enthousiastes 6+6 a
250 Toujours interrogeaientce visage en ses fastes ; 6+6 a
Et, comme sur les bordsd'un puits vertigineux, 6+6 b
Je me sentais sans finpris dans les mille nœuds 6+6 b
D'une énigme enlacéeà l'énigme contraire ; 6+6 a
Et nul raisonnementne pouvait m'y soustraire ; 6+6 a
255 Et, dans la vaste salle je demeurais seul, 6+6 b
Il me semblait parfoisque l'esprit de l'aïeul 6+6 b
Derrière moi veillaitau fond des angles sombres ; 6+6 a
Car vers les murs déjàs'amoncelaient les ombres. 6+6 a
Le soir vint. Éperdud'extase, stupéfait, 6+6 b
260 Je regardais toujours.Le génie, en effet, 6+6 b
Ne laisse pas en vainsur ses œuvres l'empreinte 6+6 a
D'une forte pensée.Une énergique étreinte 6+6 a
Sort toujours de la toileabandonnée, et tient 6+6 b
Dans son réseau subtille profane qui vient 6+6 b
265 Troubler impudemmentl'atelier solitaire. 6+6 a
La nuit s'épaississaitau fond du sanctuaire, 6+6 a
Noyant tout, chevalets,cadres et cheveux blonds. 6+6 b
Alors, et malgré moi,furtif, à reculons, 6+6 b
Je partis lentement,chassé par ces fronts pâles 6+6 a
270 Qui, lumineux, pareilsà de larges opales, 6+6 a
Paraissaient, sous le fluxdes ténèbres montant, 6+6 b
M'enfoncer un regardde foule inquiétant. 6+6 b
Le malheur s'abattitsur moi cette nuit même, 6+6 a
Et pour longtemps crispasur mon cœur sa main blême. 6+6 a
275 Au fond d'une retraite,au loin, et dans l'oubli 6+6 b
De Stella, je vécusun temps enseveli. 6+6 b
III
Je revins. Quelques joursplus tard, dans un musée, 6+6 a
Je promenais sans butma tristesse apaisée, 6+6 a
Quand je vis dispartre,au bas d'un escalier, 6+6 b
280 Une vieille en costumeau style singulier, 6+6 b
Qui me remémorala vierge d'Italie 6+6 a
Qu'à ses portraits lointainsune énigme relie. 6+6 a
Je voulus pénétrerce secret jusqu'au bout, 6+6 b
Et courus chez Centi.Je le trouvai debout 6+6 b
285 Devant sa dernière œuvre ;et ses yeux, dans l'ivresse 6+6 a
Du triomphe, élevaientleur brûlante caresse 6+6 a
Sur la toile achevée,et seule cette fois. 6+6 b
Lui-même s'agitai,parlant à haute voix, 6+6 b
Artiste émerveillédevant son propre ouvrage. 6+6 a
290 Dès l'abord, une joieéclaira son visage ; 6+6 a
Il s'élança, me pritle bras, et, m'entrnant 6+6 b
En face du tableau,s'écria : « Maintenant, 6+6 b
Regardez ! … répondez !N'est-ce pas, qu'elle est belle ? 6+6 a
N'est-ce pas, qu'elle arriveà l'amour qui l'appelle ? » 6+6 a
295 Et moi, je regardaisdéjà, me demandant 6+6 b
Comment il avait pu,d'un effort ascendant, 6+6 b
Faire plus resplendirla tête sans rivale, 6+6 a
Et, par plus de magie,en un plus pur ovale 6+6 a
Vivifier ces traitssous un ciel ébloui. 6+6 b
300 Comme autrefois, toujours,c'était bien aujourd'hui 6+6 b
Le beau front lumineuxet chargé de pensées ; 6+6 a
Mais son éclat, vainqueurdes ombres dispersées, 6+6 a
Brillait plus éloquentencore ; il se gonflait, 6+6 b
Flamboyant, agrandisous le double reflet 6+6 b
305 D'un éternel bonheuret d'une paix conquise. 6+6 a
C'était, sous la lueurchangeante qui l'irise, 6+6 a
La même chevelureaux anneaux blonds et bruns, 6+6 b
Libres et dérouléssans fin, dont quelques-uns, 6+6 b
Voluptueux floconsqu'un sein grec illumine, 6+6 a
310 Flottaient confusémentaux bords de la poitrine. 6+6 a
Mais, plus souple auréoleet plus suave encor, 6+6 b
S'épandait sur le couleur opulent trésor. 6+6 b
Les yeux étaient toujoursaussi pleins, aussi chastes, 6+6 a
Aussi profonds, l'un bleucomme les nuits néfastes 6+6 a
315 Sans lune, l'autre, noircomme l'encre, et tous deux 6+6 b
Limpides ; mais le largeéclair qui sortait d'eux 6+6 b
N'était plus la clartéde l'orgueil ni du rêve ; 6+6 a
C'était l'ardent rayonde l'amour qui se lève ; 6+6 a
Et la lèvre, plus rougeencor, plus finement 6+6 b
320 Découpée aujourd'hui,comme pour le serment 6+6 b
Et pour l'aveu, s'ouvraitau baiser qui l'attire. 6+6 a
On entait à traversce superbe sourire 6+6 a
La victoire éclaterdans la soumission, 6+6 b
Comme aussi dans ces yeux,avec la passion, 6+6 b
325 Passer l'enivrementd'une beauté céleste. 6+6 a
Et comme refoulantderrière elle, d'un geste, 6+6 a
Et pour jamais, bien loin,les brumes d'autrefois, 6+6 b
Par un miracle d'artqui renverse les lois, 6+6 b
Dans la pleine lumière chaque trait s'anime 6+6 a
330 Elle avançait vers nousson visage sublime. 6+6 a
Et c'était l'idéal,pensais-je, que là-bas, 6+6 b
Malgré tout, l'autre encorne réalisait pas. 6+6 b
« Enfin ! S'écria-t-il,cette fois, c'est bien elle ! 6+6 a
N'est-ce pas, qu'elle vit ?N'est-ce pas, qu'elle est belle ? 6+6 a
335 Une âme plane aussisur ma création, 6+6 b
Et ton cœur bat en moi,divin Pygmalion ! 6+6 b
Qui donc a pu raillerton amour ineffable ? 6+6 a
Ta Galatée, ô grec !N'était point une fable ! 6+6 a
Ce n'est pas ta statueau marbre radieux 6+6 b
340 Qui s'anima pour toisous le souffle des dieux. 6+6 b
Non. Mais ils t'ont permis,ton œuvre terminée, 6+6 a
De rencontrer alorsla femme devinée ! 6+6 a
— Celle-là, quant à moi,j'en reste convaincu, 6+6 b
Lui dis-je, n'est qu'un songe,et n'a jamais vécu. 6+6 b
345 Mais les autres, Centi !Vous avez, je le jure, 6+6 a
Sous le soleil de tousvu passer leur figure ! 6+6 a
donc l'aurais-je pu ?dit-il. Mais que me font 6+6 b
Ces ébauches, d'ailleurs !Dans leur néant profond 6+6 b
Qu'elles rentrent ! Voicila seule qui soit faite 6+6 a
350 Pour moi, l'évocateur,ou pour moi, le prophète ! 6+6 a
Et maudits soient-ils tous,les pinceaux ! Je suis né 6+6 b
Trop tard, ou bien trop tôt.L'amour est condamné ! 6+6 b
Car l'amour est au fonddu royaume des rêves, 6+6 a
Dans les bosquets perdusqu'on remplacés les grèves, 6+6 a
355 Dans les mondes encorsans voix et sans écho, 6+6 b
Dans le silencieuxamas des vieux chaos, 6+6 b
Dans la poussière d'ordes mirages splendides, 6+6 a
Ou dans les paradisnoyés des Atlantides ! 6+6 a
Oui, je vous dis qu'un jourelle vivra, sinon 6+6 b
360 Qu'elle est morte à jamaissans avoir su mon nom ! » 6+6 b
Et pendant qu'il parlait,je voyais sur sa lèvre 6+6 a
Trembler le désespoirfurieux et la fièvre. 6+6 a
« Regardez, reprit-il,elle a chassé la nuit 6+6 b
Qui jadis l'entourait,jalouse, et qui s'enfuit ! 6+6 b
365 Elle appart, semblableà l'étoile dernière, 6+6 a
Sur mon cœur épanchanttout un ciel de lumière ! 6+6 a
Et je l'aime ! Et jamaisl'éclair d'un œil vivant, 6+6 b
Je le sais, ici-basn'a frappé plus avant, 6+6 b
Ni fait plus tressaillirles profondeurs d'une âme ! 6+6 a
370 Dans l'amour infinid'un amant, jamais femme, 6+6 a
Comme une reine au fondd'un palais, n'a marché, 6+6 b
De salle en salle, aux chantsd'un orchestre caché, 6+6 b
Vers un trône plus beau,d'un pas plus sûr ! Je l'aime, 6+6 a
Celle-ci dont ma maina retracé l'emblème, 6+6 a
375 La morte, ou l'invisibleencor, l'être innomé 6+6 b
Qui, si j'avais vécuplus tôt, m'aurait aimé, 6+6 b
Qui m'aimerait plus tard,si je pouvais revivre ! 6+6 a
La femme qui peut-êtreà l'heure même enivre 6+6 a
Quelque part d'autres yeux,ô rage ! Que mes yeux, 6+6 b
380 Et qui doit, loin de moi,mourir sous d'autres cieux ! 6+6 b
Ah ! Si vraiment tu vis,si je pouvais le croire, 6+6 a
Périssent d'un seul coupmon génie et ma gloire ! 6+6 a
Et vienne aussi la mort !Je l'accepte, content, 6+6 b
Pourvu que je te voieune heure, un seul instant, 6+6 b
385 Et te parle, et t'entende,et t'admire, et t'adore, 6+6 a
O toi qui m'aimeras !ô femme dont j'ignore 6+6 a
La patrie et le nom !Toi qui prends mon destin, 6+6 b
Et souris comme au ciell'étoile du matin ! » 6+6 b
Je frémissais ainsiqu'un blessé que l'on touche, 6+6 a
390 Et mon secret déjàs'échappait de ma bouche ; 6+6 a
Derrière nous un bruitde pas, en ce moment, 6+6 b
Nous fit nous retournertous les deux brusquement 6+6 b
Vers le vaste rideauqui recouvrait l'entrée. 6+6 a
Dans un angle une main,vive lueur montrée, 6+6 a
395 Avec un geste promptl'écarta tout entier, 6+6 b
Repliant les anneauxsur la tringle d'acier. 6+6 b
Et debout sur le seuil,grande et noble statue, 6+6 a
Une femme était là,royalement vêtue, 6+6 a
Comme en un autre cadre,immobile, ses traits 6+6 b
400 Recouverts d'un long voileaux attirants secrets, 6+6 b
Pareille aux visionsdes nuits surnaturelles, 6+6 a
Qui, dilatant d'effroiles yeux fixés sur elles, 6+6 a
Fascinent les vivantspar leur solennité. 6+6 b
Une femme était là,sûre de sa beauté, 6+6 b
405 Au maintien qu'aussitôtj'avais cru reconntre, 6+6 a
Et vers qui, jaillissantde la haute fenêtre, 6+6 a
Comme pour un salut,ruisselèrent d'un bond 6+6 b
Les feux enorgueillisdu soleil moribond. 6+6 b
A peine elle apeutla peinture immortelle, 6+6 a
410 Que l'ombre étincelasous la riche dentelle ; 6+6 a
Alors, d'une voix lente,au timbre musical 6+6 b
Comme le clair échod'un sonore métal, 6+6 b
Elle laissa tomberces mots dans le silence : 6+6 a
« Au beau siècle de l'art,autrefois, dans Florence, 6+6 a
415 Grand parmi les plus grandsfut l'un de vos aïeux, 6+6 b
Dont le chef-d'œuvre étaitle portrait merveilleux 6+6 b
De mon aïeule à moi,qu'on nomma par la ville 6+6 a
L'étoile du matin.Dans un siècle infertile 6+6 a
Votre nom seul rayonne.En vous je reconnais 6+6 b
420 Le plus digne héritierdes anciens ; je venais 6+6 b
Demander au Centirevivant de rentre 6+6 a
Sous le divin pinceauqu'il tient de son ancêtre, 6+6 a
Moi, dont le nom, là-bas,est l'étoile du soir ! » 6+6 b
Et moi, je frissonnaisplus fort, car je pus voir, 6+6 b
425 Son voile ôté, Stellavers l'œuvre prophétique 6+6 a
Marcher, reflet palpableet modèle identique ; 6+6 a
Je sentais mes cheveuxse hérisser d'effroi, 6+6 b
Car Centi tout à coups'était rué sur moi, 6+6 b
Car ses ongles m'entraientdans la chair leurs tenailles, 6+6 a
430 Et j'entendais courir,en rayant les murailles, 6+6 a
Le rire aigu qui glaceet qui pénètre en nous, 6+6 b
Le rire intarissable se tordent les fous ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université