Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DRX_1/DRX10
Léon DIERX
POÈMES ET POÉSIES
1864
Soleil couchant
À Monsieur Édouard Hervé.
Aux bords retentissants | des plages écumeuses 6+6 a
Pleines de longs soupirs | mêlés de lourds sanglots, 6+6 b
Sous le déroulement | monotone des flots ; 6+6 b
Près des gouffres remplis | des falaises brumeuses ; 6+6 a
5 A l'heure où le soleil, | ainsi qu'un roi cruel 6+6 a
Qui veut parer de draps | sanglants ses funérailles, 6+6 b
Se déchire et secoue | au dehors ses entrailles ; 6+6 b
A l'heure où lentement | l'ombre envahit le ciel ; 6+6 a
Un homme se tenait | silencieux. La côte 6+6 a
10 était déserte. Lui, | debout, d'un œil amer 6+6 b
Il regardait tomber | l'astre rouge à la mer ; 6+6 b
Et sa pensée aussi | déferlait, sombre et haute. 6+6 a
Ah ! Ce n'était pas l'homme | au sortir de l'Éden, 6+6 a
Fils encore innocent | d'une race nouvelle ; 6+6 b
15 En qui la vie afflue, | à qui Dieu se révèle, 6+6 b
Et qui pour tous les maux | n'a qu'un mâle dédain ; 6+6 a
L'homme essayant sa force | au seuil des premiers âges, 6+6 a
Libre dans l'univers | libre et grand comme lui ; 6+6 b
Défiant l'avenir, | et dont l'œil ébloui 6+6 b
20 Reflète l'horizon | des vierges paysages ; 6+6 a
Plein d'un orgueil sans peur | et d'un espoir sans fin ; 6+6 a
Et dans sa beauté fière | à qui tout se confie, 6+6 b
Sur la création | odorante et ravie 6+6 b
Passant majestueux | sous un signe divin ; 6+6 a
25 C'était l'homme vieilli | des races séculaires, 6+6 a
Fils de la lassitude | et des labeurs déçus, 6+6 b
Et qui, désabusé | des dons qu'il a reçus, 6+6 b
A des printemps plus froids | que les hivers polaires ; 6+6 a
Qui, remuant la cendre | immense du passé, 6+6 a
30 Initié tout jeune | au mensonge des rêves, 6+6 b
A vu la vanité | de ses luttes sans trêves, 6+6 b
Et sans but désormais | s'en va le front baissé ; 6+6 a
Qui, ployant sous le poids | d'insupportables chaînes, 6+6 a
Se connaît tout entier | dans la joie ou les pleurs, 6+6 b
35 Rassasié du rire | autant que des douleurs ; 6+6 b
Sans élans pour le bien, | et pour le mal sans haines ; 6+6 a
C'était l'homme rongé | par l'angoisse ; vaincu 6+6 a
Sous l'énervant dégoût | de sa propre impuissance ; 6+6 b
Et fatal héritier | d'une aride science, 6+6 b
40 Contempteur de la vie | avant d'avoir vécu. 6+6 a
En vain il proclamait | son génie et sa gloire ! 6+6 a
L'ennui met sur ses bras | le plomb du châtiment ; 6+6 b
Et son âme qu'il raille, | hélas ! Plus tristement 6+6 b
Se rendort à ces bruits | de pompe dérisoire. 6+6 a
45 Stupide et vil, trempé | d'inutiles sueurs, 6+6 a
En vain il rit des dieu | qu'ont adorés ses pères, 6+6 b
Et s'élance aux profits | du fond de ses repaires, 6+6 b
Les doigts crispés, les yeux | pleins d'obliques lueurs. 6+6 a
Car le veau d'or, ce dieu | comme un autre implacable, 6+6 a
50 A l'enfer de Midas | le regarde marcher ; 6+6 b
honneur, amour, vertu, | tout ce qu'il veut toucher, 6+6 b
Se change sous ses mains | en cet or qui l'accable. 6+6 a
Oui, ce dieu, son premier | délire, et son dernier, 6+6 a
Le plus riche en autels, | le plus riche en apôtres, 6+6 b
55 Le plus vieux, qui vit naître | et mourir tous les autres, 6+6 b
Avant le chant du coq | il va le renier. 6+6 a
Il va le renier | comme eux tous. Dans les nues 6+6 a
Il l'enverra siéger, | livide, avec les dieux 6+6 b
Morts maintenant, jadis | beaux, fiers et radieux, 6+6 b
60 Qui sur les monts sacrés | vivaient en troupes nues ; 6+6 a
Près des spectres blafards | abandonnés du jour, 6+6 a
Qui planent en lambeaux | sur les glaces du pôle, 6+6 b
Et qu'un souffle inconnu, | les poussant par l'épaule, 6+6 b
Promène dans l'horreur | des exils sans retour. 6+6 a
65 Pas un ne reviendra ! | Le vent de l'ironie 6+6 a
A balayé partout | l'ambition du beau. 6+6 b
Sur le dernier autel | plus désert qu'un tombeau 6+6 b
L'herbe croît. Il n'est plus | de divine agonie ! 6+6 a
Plus d'esprits enivrés ! | Plus d'hymnes, plus d'encens ! 6+6 a
70 Plus de convives ceints | de verveine et de roses ! 6+6 b
Plus d'apôtre en extase, | et plus d'apothéoses ! 6+6 b
Plus de soupirs poussés | hors du monde des sens ! 6+6 a
Sur la montagne en feu | nul ne se transfigure, 6+6 a
Et pour quelque dépouille | aux fétides odeurs, 6+6 b
75 L'homme consumera | ses dernières ardeurs 6+6 b
Sous un ciel qui n'a plus | la sublime envergure. 6+6 a
Dans un air sans échos | sa voix s'éteint. Voilà 6+6 a
Qu'il méprise à la fin | sa chair comme son âme, 6+6 b
Et que, toujours brûlé | d'une invisible flamme, 6+6 b
80 Il retourne aux abris | chantants qu'il dépeupla. 6+6 a
Mais les transports qui font | la jeunesse si belle 6+6 a
Reviennent-ils jamais | gonfler les cœurs flétris ! 6+6 b
Les pleurs, les repentirs, | les plaintes et les cris 6+6 b
Ont-ils jamais ému | l'impassible Cybèle ! 6+6 a
85 Nature indifférente, | au secret douloureux, 6+6 a
Prés aux vertes senteurs, | forêts aux noirs mystères, 6+6 b
Monts couronnés de pins | ou de neiges austères, 6+6 b
Vous êtes sans pitié, | comme tous les heureux ! 6+6 a
L'homme a levé sur vous | sa hache sacrilège ; 6+6 a
90 Sur vous il s'est rué | follement, et sa voix 6+6 b
A maudit le silence | injurieux des bois 6+6 b
Où meurt le vain appel | du désir qui l'assiège : 6+6 a
A jamais il a fui | tout ce monde enchanté 6+6 a
Qu'aux rayons de la lune, | au fond des solitudes, 6+6 b
95 On voyait s'essayer | aux molles attitudes 6+6 b
Sous l'œil ardent d'un faune | ivre de volupté. 6+6 a
Quand Pan mourut, un cri | monta de rive en rive ; 6+6 a
Dans la foi du poète | il retentit encor. 6+6 b
Comme un chasseur perdu | qui sonne en vain du cor, 6+6 b
100 L'homme court sans qu'un son | en réponse n'arrive. 6+6 a
Las de lui-même aussi, | voilà que haletant, 6+6 a
Comme Sisyphe sous | le rocher qui l'écrase, 6−6 b
Il s'arrête, et qu'à l'heure | où l'occident s'embrase, 6+6 b
Il sent les maux soufferts | revivre en un instant. 6+6 a
105 C'est une heure sinistre | et pleine de vertiges. 6+6 a
Depuis les premiers jours, | sa magique splendeur 6+6 b
Nous étreint, et nous fait | sonder la profondeur 6+6 b
D'un passé qui tressaille | en fulgurants vestiges. 6+6 a
Comme l'astre qui fond | en longs fleuves pourprés 6+6 a
110 Dont les reflets au loin | baignent les nobles cimes, 6+6 b
Le cœur de l'homme saigne | en plongeant aux abîmes 6+6 b
Où ses regrets encor | hurlent désespérés. 6+6 a
Mais aujourd'hui, devant | la chute glorieuse 6+6 a
Du globe dont l'éclat | brillait sur son berceau, 6+6 b
115 Ce n'est plus vers l'éden | dont il gardait le sceau 6+6 b
Qu'il se reporte au bout | d'une ardeur furieuse. 6+6 a
Ce n'est plus son enfance | au cantique lointain 6+6 a
Dont le ressouvenir | en ses fêtes s'exhale ; 6+6 b
Ni la branche arborée | en palme triomphale 6+6 b
120 Qu'il pleure, en gémissant | sur sa part du destin. 6+6 a
Ce n'est plus un saint nom | qu'il invoque ou qu'il prie, 6+6 a
hélas ! Et ce n'est plus, | même quand vient le soir, 6+6 b
La mort, son épouvante | et son dernier espoir, 6+6 b
Qu'il appelle, sentant | toute source tarie. 6+6 a
125 Sous la dent sans pitié | du démon qui le mord 6+6 a
Rien ne ranime plus | sa force ou son courage ; 6+6 b
Et voilà qu'il se tait | sans un reste de rage, 6+6 b
Car il ne peut plus croire | à ta promesse, ô mort ! 6+6 a
Tu ne peux rien sur l'âme ; | et l'impossible envie 6+6 a
130 Toujours l'assoiffera | de bonheur, n'importe où ; 6+6 b
Tu ne peux l'engloutir | aussi dans quelque trou ; 6+6 b
Ce n'est pas le repos | qui par toi nous convie ! 6+6 a
— Et le soleil, jetant | sa suprême clarté, 6+6 a
Laissa l'homme, le front | plus bas, les yeux plus mornes ; 6+6 b
135 Et l'esprit descendu | dans une nuit sans bornes 6+6 b
Sous l'effrayant fardeau | de son éternité. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université