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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DLR_9/DLR820
Lucie Delarue-Mardrus
LES SEPT DOULEURS D'OCTOBRE
1930
V
CI-GÎT
CI-GÎT
Sous le ciel de la Somme où l'infernale haine 6+6 a
Se couvre déjà de moisi, 8 b
Une humble croix de bois est debout sur la plaine, 6+6 a
Guère plus haute qu'un fusil. 8 b
5 C'est toi, petit soldat inconnu ? Ma tendresse 6+6 a
Qui, par hasard, passe par là, 8 b
Apporte un long regard, un rêve, une caresse 6+6 a
A ton solitaire au-delà. 8 b
Coiffant le vide clair, ton casque bleu se rouille 6+6 a
10 Sur se deux bouts de bois croisés. 8 b
Le soleil chauffe ou bien la pluie affreuse mouille 6+6 a
Les champs de bataille apaisés. 8 b
Et, dans l'immensi muette et sépulcrale 6+6 a
Où jadis on sema le blé, 8 b
15 Devant ce tertre où dort une jeune âme mâle, 6+6 a
J'entends le silence parler. 8 b
« Ils ont dit que c'était un sort digne d'envie 6+6 a
D'être un héros sous une croix, 8 b
Mais moi, je pleure ici d'avoir troqué ma vie 6+6 a
20 Contre deux pauvres bouts de bois. 8 b
« Cette croix-là, debout encore comme un homme 6+6 a
Et portant casque comme lui, 8 b
Cette croix-là c'est moi, sous le ciel de la Somme, 6+6 a
Lieu de peur, d'angoisse et d'ennui. 8 b
25 « Cette croix-là, tu vois, a presque des épaules 6+6 a
Et se coiffe du lourd fer bleu, 8 b
Disant que, jusqu'au bout, ils ont tenu leurs rôles, 6+6 a
Ceux-là qu'on envoyait au feu. 8 b
« Mais moi, j'avais deux yeux vivants dans un visage, 6+6 a
30 Mes épaules de chair et d'os, 8 b
Les jambes et les bras alertes de mon âge, 6+6 a
Mon cœur, mon sexe, doux fardeaux. 8 b
« J'étais comme vous tous, vivants ! J'étais des vôtres, 6+6 a
Et j'entendais parler ma voix. 8 b
35 On m'a tué, couché sous terre ; et cette croix 6+6 b
Dit : « Aimez-vous les uns les autres ! » 8 a
O passante ! Être humain qui n'a pas dans le sang 6+6 a
Le démon mâle de la guerre, 8 b
Femme, femme, ô douceur ! Femme, cœur frémissant, 6+6 a
40 Écoute ce que dit la terre ! 8 b
« Écoute, jusqu'au bout du lointain violet, 6+6 a
La plaine crier par les bouches 8 b
De tous ces trous qu'on fait les mitrailles farouches 6+6 b
Dont survit le fracas muet. 8 a
45 « La guerre !… Avoir commis ce gigantesque crime ! 6+6 a
N'avions-nous pas assez de maux ? 8 b
Il ne faut plus tuer les hommes pour des mots, 6+6 b
Il ne faut plus gorger l'abîme. 8 a
« Hélas ! Je n'étais pas, moi soldat, un héros, 6+6 a
50 Mais un humain qui chante et pleure, 8 b
Un humain simplement, garçon au cœur bien gros 6+6 a
D'être mis là pour qu'il y meure. 8 b
« De quel pays ? Qu'importe ! Un fort et jeune gars 6+6 a
Qui respirait l'air qu'on respire. 8 b
55 Héros ! C'est un beau mot que l'on aime bien dire, 6+6 b
Mais moi je ne revivrai pas. 8 a
« Voici ma croix ; autour, la plaine desséchée : 6+6 a
Et j'avais un beau sang qui bout. 8 b
La guerre m'a je vivant, dans sa tranchée, 6+6 a
60 Et j'y suis resté, voilà tout ! 8 b
« Mais maintenant, il faut que l'avenir répare 6+6 a
Ce qu'on fit au mort endormi. 8 b
Vengez-nous ! Vengez-nous de la guerre barbare, 6+6 a
Vengez-nous du seul ennemi ! 8 b
65 « A moi, femmes ! A moi, mères, filles épouses ! 6+6 a
Criez que vous ne voulez plus ! 8 b
Nous sommes morts… O vous, n'êtes-vous pas jalouses 6+6 a
De ces croix le long des talus ? 8 b
« Avez-vous arraché de vos pauvres entrailles 6+6 a
70 Un fils, un homme, ce trésor, 8 b
Pour qu'il devienne un jour ce débris des batailles, 6+6 a
Un soldat inconnu qui dort ? 8 b
« A moi, science, amour, art, musique, pensées ! 6+6 a
Ne souffrez plus, sous le ciel clair, 8 b
75 Qu'on retrouve jamais des croix de bois, dressées 6+6 a
Sur nos os et sur notre chair ! » 8 b
* * *
… J'écoutais cette voix, remplir le paysage 6+6 a
Qui montre, sous le ciel câlin, 8 b
Le sol fécond de France, éventré par la rage 6+6 a
80 Du sombre démon masculin. 8 b
Et, quittant pour toujours l'effroyable étendue, 6+6 a
Enfer éteint, charnier maudit, 8 b
J'ai répondu : « Soldat, pauvre tombe perdue, 6+6 a
J'ai compris ce que tu mas dit. » 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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