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F = "e" féminin
| = césure
DLR_7/DLR686
Lucie DELARUE-MARDRUS
A MAMAN
1920
IV
SOUVENIRS
VERDURES
I
Où fut mon âme avant que d'être faite chair ? 6+6 a
Je ne sais pas mon nom. Suis-je garçon ou fille ? 6+6 b
Deux ans… Trois ans… Je vois ! Un rond de soleil brille 6+6 b
Dans mon premier jardin qu'emplit toute la mer 6+6 a
5 Il semble qu'en ce corps de deux ou trois années 6+6 a
Un grand passé subsiste, informe paradis. 6+6 b
Parmi le va et vient de mes cinq sœurs aînées, 6+6 a
La vie humaine monte à mes yeux agrandis 6+6 b
La pelouse, dans l'ombre, est haute, décoiffée. 6+6 a
10 Tout ce que j'aperçois est de l'immensité. 6+6 b
Un peu du merveilleux d'avant fleurit l'été. 6+6 b
Dans chaque rose dort une petitee 6+6 a
Il fait beau. Pourquoi donc cette angoisse ? Pourquoi ? 6+6 a
Cette fleur dans ma main, qu'est-ce qui me l'a mise ? 6+6 b
15 Je suis à cette place où mes sœurs m'ont assise. 6+6 b
Si grande sur l'allée, est-ce l'ombre du toit ? 6+6 a
Je vais pleurer, ici, petite, si petite. 6+6 a
Ne va-t-on pas venir à mon secours, vraiment 6+6 b
Un pas… Deux bras tendus… Oh ! prends-moi, prends-moi vite, 6+6 a
20 Je te vois, je te sens… C'est toi, maman !… Maman !… 6+6 b
Être sur tes genoux, oui, oui… De tout mon être 6+6 a
C'est cela, seulement cela que j'ai voulu. 6+6 b
Car tes genoux, maman, c'est encor l'absolu 6+6 b
Où l'on était si bien, hélas ! avant de naître 6+6 a
II
25 Comme il fait chaud ! Je suis une petite fille. 6+6 a
Un tilleul vaste embaume au-dessus du gazon. 6+6 b
Les arbres sont chargés de ciel et d'horizon, 6+6 b
Leur grande ombre a des trous où le soleil scintille 6+6 a
O beau temps ! La verdure est renversée en moi. 6+6 a
30 Je suis comme un miroir tremblant où tout remue, 6+6 b
Que le parc est profond ! Combien je suis émue ! 6+6 b
Mais je n'ai que dix ans… J'ignore mon émoi 6+6 a
Petit être angoissé que le soleil rassure, 6+6 a
Je vis ce jour, si long qu'il n'aura pas de nuit. 6+6 b
35 Mes sœurs ! Les jardiniers fauchent l'herbe, aujourd'hui ! 6+6 b
Sentez-vous dans le vent la petite odeur sûre ? 6+6 a
Maman, à la maison, coud en pensant à nous. 6+6 a
Nous savons qu'elle est là derrière les persiennes. 6+6 b
Dans l'ombre, son ouvrage est blanc sur ses genoux 6+6 a
40 Son silence est chargé de guêpes musiciennes 6+6 b
Nous sentons, à travers les bonds que nous faisons 6+6 a
Dans cette herbe coupée à goût de pimprenelle, 6+6 b
Qu'elle est là, notre mère, et qu'elle est éternelle 6+6 b
Comme l'air, le soleil, le ciel et les saisons. 6+6 a
45 Sur nos sommeils, réveils, études, folles danses, 6+6 a
A jamais sont ouverts, sous deux simples bandeaux, 6+6 b
A jamais sont ouverts ses yeux de trois nuances, 6+6 a
A jamais est penché son frêle petit dos 6+6 b
Son âme est là, mêlée à la verte féerie, 6+6 a
50 Au milieu de nos jeux qui crient à pleins poumons 6+6 b
Et c'est si naturel, sa présence chérie, 6+6 a
Que nous ne savons pas même que nous l'aimons. 6+6 b
III
Me voici presque adolescente. 8 a
Je joue encor, rieuse et les cheveux au vent, 6+6 b
55 Avec, sombre déjà, cette âme effervescente 6+6 a
Qui va rêvant, rêvant, rêvant 8 b
L'automne a des jaunes funèbres. 8 a
La mer aux.cent couleurs y chante à pleine voix. 6+6 b
Toute la poésie attend dans mes vertèbres. 6+6 a
60 La chasse court à travers bois 8 b
Enfant hanté qu'un rêve agite, 8 a
J'aime, à travers mes jeux, l'automne au désespoir. 6+6 b
Parmi mes grandes sœurs, au fond du vieux manoir, 6+6 b
Notre mère est toute petite 8 a
65 Les yeux sauvagement au loin, 8 a
J'écoute les accents de la naissante lyre. 6+6 b
Notre mère… Mon cœur ne s'y attarde point, 6+6 a
Pas plus qu'à l'air que je respire 8 b
Ses soins, son amour, sont les mets 8 a
70 Dont la table, toujours, fut amplement servie 6+6 b
Nécessaire et fatale, elle est, comme la vie, 6+6 b
Présente, et ne mourra jamais. 8 a
IV
C'est la jeune fille tragique 8 a
Qui hante sans cesse les flots. 8 b
75 Son cœur a d'immenses sanglots. 8 b
C'est la jeune fille tragique 8 a
Que mène un rêve nostalgique 8 a
Elle va, parlant à la mer, 8 a
Cette fraternelle sirène. 8 b
80 Son âme n'est jamais sereine. 8 b
Elle va, parlant à la mer. 8 a
Elle est ivre de sel amer 8 a
Elle les prévoit, les défaites, 8 a
— Oui, l'horreur de tout ce qu'on voit 8 b
85 Mais elle a vingt ans. Elle croit 8 b
Que les humains sont des poètes. 8 a
Elle les prévoit, les défaites 8 a
Étrange, elle passe au lointain. 8 a
Son cou porte un collier de baies. 8 b
90 Elle est belle, le long des haies. 8 b
Étrange, elle passe au lointain, 8 a
Sœur du printemps et du matin 8 a
Et toi, toujours dans la demeure, 8 a
Mère, tu vieillis pas à pas. 8 b
95 L'enfant ne s'en aperçoit pas. 8 b
Et toi, toujours dans la demeure, 8 a
Tu vis, encor bien loin de l'Heure 8 a
— Le sait-elle, que tu vieillis, 8 a
Que doucement ta force s'use ? 8 b
100 Ta dernière enfant, cette muse 8 b
Le sait-elle, que tu vieillis, 8 a
Tout à ses rêves inouïs ?… 8 a
Modeste, bonne, douce, intime, 8 a
Elle sait seulement de toi 8 b
105 Que c'est toi le foyer, le toit, 8 b
L'être bon, doux, modeste, intime 8 a
— Et que, cela, c'est légitime. 8 a
V
O jeunesse qui vas, de toi-même occupée ! 6+6 a
Au jour venu, j'ai su ! J'ai su 8 b
110 Mon bonheur dans le parc moussu, 8 b
Quand la vie enfin m'a frappée 8 a
Un certain soir, alors que j'ai pour vivre aussi, 6+6 a
Quitté ma maison, ma grisaille, 8 b
Quand j'ai connu cette heure-ci 8 a
115 Qui vous arrache les entrailles, 8 b
Comme, ce certain soir, j'ai bien senti, maman, 6+6 a
Que ma chair venait de la tienne, 8 b
Et quelle tendresse ancienne 8 b
Me ligottait à toi, vraiment ! 8 a
120 Après, après, ce fut un immense silence 6+6 a
Mon cœur vivait ailleurs, ôté. 8 b
Maintenant c'est l'éternité, 8 b
Ce silence bien plus immense 8 a
Moi qui ne disais rien, toi qui devinais tout, 6+6 a
125 C'était un miracle, il faut croire. 8 b
— Dire que, pour toi, mon histoire 8 b
N'aura pas été jusqu'au bout ! 8 a
VI
C'est un parc frais et ténébreux 8 a
Sur des lointains couleur de perle. 8 b
130 La verdure a des dessous bleus 8 a
Où chante la gaieté d'un merle 8 b
Ce cimetière printanier, 8 a
Pieusement j'y suis venue. 8 b
Des lilas sont dans l'avenue 8 b
135 Comme des fleurs hors d'un panier, 8 a
Les tombeaux blancs, dans l'ombre verte, 8 a
En ce lieu du parfait sommeil, 8 b
Tremblent de taches de soleil. 8 b
Le mois de mai triomphe, certe ! 8 a
140 Parmi les sépulcres je viens 8 a
Saluer celui de ma mère. 8 b
Et, le front bas, je me souviens 8 a
Avec une tendresse amère. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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