Métrique en Ligne
DLR_6/DLR577
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
III
LE SPHINX
HÉLIOPOLIS
L'obélisque où le temps a joint d'informes traces 6+6 a
Aux signes éternels des siècles disparus, 6+6 b
Tout en berçant son ombre au gré des maïs drus 6+6 b
Garde dans son granit l'esprit des vieilles races. 6+6 a
5 Sur le sol où, jadis, fut Héliopolis, 6+6 a
J'ai vu vivre au soleil l'Égypte bleue et noire. 6+6 b
Fantômes du présent et spectres de l'histoire 6+6 b
Ont surgi pour mes yeux à travers ce maïs. 6+6 a
Des demeures s'ouvraient ici, sacerdotales, 6+6 a
10 Ici s'émerveilla le regard de Platon, 6+6 b
Ici se profila Bonaparte aux yeux pâles 6+6 a
Qu'en reste-t-il ? Ce lin, ce maïs, ce coton. 6+6 b
Cependant, comme au temps des gloires, le Nil règne, 6+6 a
Le même Nil fécond, père du pays vert, 6+6 b
15 L'intarissable Nil, veine ouverte qui saigne 6+6 a
Et nourrit de son flot rythmique le désert. 6+6 b
Voici la même cange au mât penché qui glisse, 6+6 a
Et le même sifflet d'épervier dans le ciel. 6+6 b
Et, primitif autant que les ruches à miel, 6+6 b
20 Ce village de terre au peuple sombre et lisse. 6+6 a
Certes, la rumeur gronde, au bout des horizons, 6+6 a
L'insolente rumeur des capitales neuves, 6+6 b
Et leur foule se meut selon d'autres raisons, 6+6 a
Et les dieux, en mourant, font les ruines veuves. 6+6 b
25 Mais qu'une Fellaha pieds nus, au voile noir, 6+6 a
Passe, droite, portant sur sa tête son urne, 6+6 b
Puis se penche sans bruit sur l'eau déjà nocturne 6+6 b
Et puise doucement tous les reflets du soir ; 6+6 a
Qu'un petit berger chante en conduisant ses buffles 6+6 a
30 A travers les palmiers, sur le sol sablonneux ; 6+6 b
Que ses bêtes vers lui lèvent leurs tristes mufles ; 6+6 a
Que des chameaux chargés s'avancent deux à deux, 6+6 b
Alors nous relisons les anciens chapitres, 6+6 a
Car ce peuple a gardé, sous le même soleil, 6+6 b
35 Ses mœurs, ses vêtements et son type, pareil 6+6 b
A celui des Ramsès que l'on voit sous des vitres. 6+6 a
Pour moi, ressuscitée après l'immense oubli, 6+6 a
Je porte une momie en moi. Je me promène 6+6 b
Hors le bois peint et l'or sacré du dernier lit, 6+6 a
40 Et reconnais partout mon ancien domaine. 6+6 b
Est-ce que je dormais dans mon pays brumeux 6+6 a
Comme dans un humide et mauvais sarcophage ? 6+6 b
O Nil ! O temples morts ! Éternel paysage, 6+6 b
Égypte ! C'est ici le pays de mes yeux ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes
logo du CRISCO logo de l'université