Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
DLR_6/DLR575
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
III
LE SPHINX
LE SPHINX
Je suis venue ici dans le pays des dieux 6+6 a
Pour écouter parler la pierre de ta bouche, 6+6 b
Pour regarder penser la pierre de tes yeux. 6+6 a
Pour te voir, homme et bête, ô père et mère, ô souche, 6+6 b
5 Je suis venue ici dans le pays des dieux. 6+6 a
Je connaissais ton nom : dieu des deux horizons ; 6+6 a
Je savais d'autres mots encor dont on les nomme, 6+6 b
Mais je ne savais pas ton sens et tes raisons. 6+6 a
Borne au bord de l'oubli, grand chat à face d'homme, 6+6 b
10 Je connaissais ton nom : dieu des deux horizons. 6+6 a
Je t'ai vu. J'ai fi ton visage de roi. 6+6 a
Je t'ai vu. Tu portais le soleil sur ta tête. 6+6 b
Ainsi qu'une deuxième énigmatique bête, 6+6 b
J'ai vu se projeter ton ombre devant toi. 6+6 a
15 Je t'ai vu. J'ai fi ton visage de roi. 6+6 a
Autour de toi régnait une fatale peur. 6+6 a
La tête dans le ciel et les reins dans le sable, 6+6 b
Du sol roux tu sortais, roux aussi, sans couleur 6+6 a
Qu'un peu de pourpre encor sur ta joue implacable : 6+6 b
20 Autour de toi régnait une fatale peur. 6+6 a
Déjà tu redeviens un rocher du désert. 6+6 a
Cent siècles atténuent ton éternel sourire, 6+6 b
Ton nez fier est cassé, ton dur regard se perd, 6+6 a
L'âge est enfin venu, l'âge qu'on ne peut dire… 6+6 b
25 Déjà tu redeviens un rocher du désert. 6+6 a
Certes, tu n'es plus rien qu'un vieillard ! A présent, 6+6 a
La mort pose son masque horrible sur ta face. 6+6 b
Le sable t'envahit, impalpable et pesant. 6+6 a
Quoique tes yeux, toujours, fixent la même place, 6+6 b
30 Certes, tu n'es plus rien qu'un vieillard, à présent ! 6+6 a
Toutes tes sœurs sont là, bien plus jeunes que toi, 6+6 a
Qui meurent. Vois l'état de chaque pyramide ! 6+6 b
Tes prunelles en vain magnétisent le vide : 6+6 b
Il te faut à ton tour obéir à la loi. 6+6 a
35 Toutes tes sœurs sont là, bien plus jeunes que toi. 6+6 a
Bête divine, ô toi qui perdras ta vertu, 6+6 a
Qui trépasses auprès de ton ombre trop grande, 6+6 b
Je viens t'interroger. Réponds à ma demande : 6+6 b
Que dis-tu ? Que sais-tu ? Que représentes-tu, 6+6 a
40 Bête divine, ô toi qui perdras ta vertu ? 6+6 a
Et la pierre m'a dit : « Oui, mon regard s'en va, 6+6 a
Ma bouche meurt ! Malgré la mort qui me défie, 6+6 b
Fille d'Œdipe, apprends ce que je signifie ! 6+6 b
Voici : Je suis Isis, Christ, Allah, Jéhovah ! » 6+6 a
45 Et la pierre m'a dit :« Oui, mon regard s'en va ! » 6+6 a
Elle m'a dit : « Voici : tant que, pour adorer, 6+6 a
Des êtres uniront trois pierres sur la terre. 6+6 b
Tant qu'un temple, peuplé de vide et de lumière, 6+6 b
Sculptera le ciel gris ou bleu, j'existerai ! » 6+6 a
50 Elle m'a dit : « Voici : tant que, pour adorer, 6+6 a
« Tant que pour adorer, on trouvera des noms 6+6 a
Au silence, vivra la créature mixte, 6+6 b
Le sphinx. A moi, parfums, rituels et canons ! 6+6 a
Le temps n'existe pas. Seule, l'idée existe. 6+6 b
55 Tant que, pour adorer, on trouvera des noms. 6+6 a
« Fille d'Œdipe, entends toute la vérité, 6+6 a
Puisque tu l'as cherchée au pays nilotique. 6+6 b
L'idée a mille noms et demeure identique ; 6+6 b
Elle n'est qu'un besoin humain d'éternité. 6+6 a
60 Fille d'Œdipe, entends toute la vérité. 6+6 a
« Toi, tu croyais sacrés les temps qui ne sont plus, 6+6 a
Tu rêvais longuement d'époques fabuleuses. 6+6 b
Les cadavres sortis des tombes sablonneuses, 6+6 b
Momifiés dans l'or, te semblaient des élus. 6+6 a
65 Toi, tu croyais sacrés les temps qui ne sont plus. 6+6 a
« Rien n'a changé pourtant, crois-en mon souvenir ! 6+6 a
Comme jadis, devant les dieux, l'homme et la femme 6+6 b
Se tiennent en tremblant ayant peur de leur âme. 6+6 b
Boire, manger, dormir, reproduire et mourir, 6+6 a
70 Rien n'a changé pourtant, crois-en mon souvenir ! 6+6 a
« L'humanité, c'est moi qui couche au même lieu. 6+6 a
Depuis les premiers jours, ma forme s'y découpe. 6+6 b
Vois ma croupe de bête et ma tête de dieu ! 6+6 a
Le levant a ma tête et le couchant ma croupe. 6+6 b
75 L'humanité, c'est moi qui couche en même lieu ! 6+6 a
« L'aurore, mon regard la contemple toujours. 6+6 a
Elle est tout : progrès, art, idée, œuvre complexe. 6+6 b
Mais mon corps animal se tourne avec son sexe. 6+6 b
Vers l'orbe où le soleil expire tous les jours. 6+6 a
80 L'aurore, mon regard la contemple toujours. 6+6 a
« Ceci veut dire : Humains inventifs et pieux, 6+6 a
L'aurore de l'esprit baignera votre tête ; 6+6 b
Mais, de par cette croupe et ce sexe de bête, 6+6 b
Vous ne serez jamais complètement des dieux. 6+6 a
85 Ceci veut dire : Humains inventifs et pieux. 6+6 a
« Subissez donc la loi du Recommencement ! 6+6 a
A jamais vous irez d'aurore en crépuscule. 6+6 b
Chaque époque s'élance en avant, puis recule, 6+6 b
Car rien ne peut changer, sous l'exact firmament. 6+6 a
90 Subissez donc la loi du Recommencement. 6+6 a
« En vain, dans le passé, vous chercherez à voir 6+6 a
Une autre humanité, sous une autre lumière. 6+6 b
L'homme ne change point. Quelle que soit son ère, 6+6 b
Le passé, devant lui, s'offre comme un miroir. 6+6 a
95 En vain, dans le passé, vous chercherez à voir. 6+6 a
« L'homme ne change point. Moi, pierre, je le dis. 6+6 a
Toujours il a, malgré que l'univers existe. 6+6 b
Besoin d'autres enfers et d'autres paradis 6+6 a
Corps de bête repue et tête de dieu triste, 6+6 b
100 L'homme ne change point ; moi, pierre, je le dis. 6+6 a
« D'autres sphinx rentront du néant où je vais. 6+6 a
Fille de l'Homme, enfant de l'éternel Œdipe 6+6 b
Qui regardes de près mon nez cassé, ma lippe, 6+6 b
Es yeux agonisants, l'énigme, tu la sais ! 6+6 a
105 D'autres sphinx rentront du néant où je vais. 6+6 a
« Car, le sphinx, ce n'est pas autre chose que toi, 6+6 a
Tant qu'il subsistera des vivants sur la terre, 6+6 b
Quel que soit leur progrès, quelle que soit leur foi. 6+6 a
Va ! je t'ai dit le sens de ton propre mystère, 6+6 b
110 Car, le sphinx, ce n'est pas autre chose que toi ! » 6+6 a
Or, j'ai fait trois saluts, avant de la quitter, 6+6 a
A la bête d'Égypte assise dans le sable. 6+6 b
Elle m'a confié tout bas l'Inconnaissable, 6+6 b
Le mot du Temporel et de l'Éternité… 6+6 a
115 Et j'ai fait trois saluts avant de la quitter. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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