Métrique en Ligne
DLR_4/DLR454
Lucie DELARUE-MARDRUS
LA FIGURE DE PROUE
1908
AU PORT
LE POÈME DE L’ESTUAIRE
Mon beau pays m’a dit quand je suis revenue : 6+6 a
— Je te reconnais bien, visage qui souris. 6+6 b
Tu t’avances, ce soir, longeant mon fleuve gris 6+6 b
Dont s’évase, devant la mer, l’ample avenue. 6+6 a
5 D’où viens-tu donc ? Tes horizons glauques et bleus 4+4+4 a
Te voient rentrer bien tard, avec d’autres années 6+6 b
Dans l’âme, des soleils différents dans les yeux, 6+6 a
Sur ta bouche le sel des Méditerranées. 6+6 b
N’as-tu pas réchauffé ton visage et tes mains 6+6 a
10 A la molle douceur des chaleurs étrangères, 6+6 b
Entre tes doigts porté d’exotiques fougères 6+6 b
Et marqué de tes pas les sables sans chemins ? 6+6 a
N’as-tu pas rejeté tes premières bruines 6+6 a
Avec la pomme de tes prés mouillés de mer, 6−6 b
15 Pour mordre de tes dents neustriennes la chair 6+6 b
Tragique, violente et rouge des sanguines ? 6+6 a
Regarde maintenant : cette mer devant toi. 6+6 a
Derrière toi ce fleuve, à tes côtés ces rives 6+6 b
T’environnent sans bruit comme un reproche froid. 6+6 a
20 Se demandant pourquoi, ce soir, tu leur arrives. 6+6 b
Qu ’as-tu fait du pays intérieur, celui 6+6 a
Qui dans ton âme était l'image de ces choses ? 6+6 b
Qu’as-tu donc respiré ; quelles charnelles roses. 6+6 b
Puisque, dans ton regard, ce feu sombre reluit ? 6+6 a
25 Ici, le monde est demeuré couleur d’opale. 4+4+4 a
Le sol devient la vase et la vase la mer, 6+6 b
Le fleuve se fait mer, la mer se fait ciel pâle. 6+6 a
Tout s’épouse, se fond, se reflète et se perd. 6+6 b
Et dans cet infini troublé, sirène grise 6+6 a
30 Aux pathétiques yeux changeants. Pâme du Nord 6+6 b
Demeure à tout jamais ensevelie et prise, 6+6 a
El, parmi ses lueurs écailleuses, se tord. 6+6 b
Qu’as-tu fait de ton seul aïeul Hamlet, le prince 6+6 a
Ironique, vêtu de deuil et de pâleur ? 6+6 b
35 Ton pays ne veut point qu’aucun autre l’évince. 6+6 a
Qu’as-tu fait de Thulé, qu’as-tu fait d’Elseneur ? 6+6 b
Vois ton passé venir à toi sur cette barque 6+6 a
Couleur de feuille sèche, et debout au beaupré. 6+6 b
Il traîne en replis noirs son manteau de monarque 6+6 a
40 Sur ton originel paysage navré. 6+6 b
Pour toi seule, frôlant mouettes et bouées, 6+6 a
Par vases, par ciel pâle et par eau grise, il vient 6+6 b
Sous l’envergure au vent des voiles secouées, 6+6 a
Rapportant dans ses mains le cœur qui fut le tien. 6+6 b
45 Tout l’estuaire d’autrefois, couleur de pieuvre. 4+4+4 a
Te salue avec lui. Réponds à ce salut ! 6+6 b
Que vas-tu dire, ô toi, jeune visage élu. 6+6 b
Ace silence, autour de ton front, mis en œuvre ? 6+6 a
Et sans paroles, j’ai, dans le soir trouble et froid. 6+6 a
50 Dit en pleurant d’obéissance et de tristesse : 4+4+4 b
— « J’atteste, ô mon pays, d’un sanglot qui me blesse, 6+6 b
Que je n’aime, n’aimais et n’aimerai que toi. » 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 6(abba) 7(abab)
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