Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DLR_3/DLR289
Lucie DELARUE-MARDRUS
HORIZONS
1905
LA MORT
COLLOQUE
La mort m'a dit : « Poète, i l est temps ! Si tu veux, 6+6 a
» Doucement je mettrai mes doigts sur tes paupières, 6+6 b
» Et tu t'endormiras dans la pleine lumière, 6+6 b
» Avant d'avoir perdu le souvenir des dieux. 6+6 a
5 » Ainsi, devançant l'heure où les êtres se couchent, 6+6 a
» J'offre à ta jeune vie un émouvant destin ; 6+6 b
» Car je vais, d'un ciseau funèbre et clandestin, 6+6 b
» En pleine passion sculpter ta belle bouche. 6+6 a
» Je suis douce. Mon lit est mol, ample, profond ; 6+6 a
10 » Dans mon parterre en fleurs un beau soleil se joue. 6+6 b
» La place est déjà creuse où tes cendres seront, 6+6 a
» Je sens déjà fleurir mes roses dans tes joues. » 6+6 b
— Mais moi j'ai dit : « Je veux rester encore un peu 6+6 a
» A l'étroit de mon corps païen, près de mon âtre. 6+6 b
15 » Car j'aime le luth courbe et l'amphore d'albâtre 6+6 b
» De ma forme, et mon front natté de petit dieu. 6+6 a
» Car j'aime mon esprit ivre de solitude, 6+6 a
» Tout le mal qui m'est fait, tout le mal que je fais, 6+6 b
» La joie et la douleur, le plaisir et l'étude, 6+6 a
20 » Et le Pour, et le Contre, et la Cause et l'Effet. 6+6 b
» J'aime… J'aime !… Je veux munir aux paysages, 6+6 a
» Je veux la nuit, je veux le vent, je veux la mer, 6+6 b
» Et baiser tour à tour sur leurs quatre visages 6+6 a
» Les exactes saisons au regard sombre ou clair. 6+6 b
25 » J'aime… J'aime !… Je veux la musique des lignes, 6+6 a
» L'océan des regards, tout le parfum, l'émoi 6+6 b
» Des soirs, et la douceur flexible autour de moi 6+6 b
» Des purs bras féminins pareils aux cous des cygnes. 6+6 a
» J'aime… J'aime !… Je veux à l'heure où meurt le jour, 6+6 a
30 » Sentir mon front brûler mes paumes insenes, 6+6 b
» Et, séraphiquement, nourrir dans ma pene 6+6 b
» Pleine d'astres, l'effroi d'éternelles amours. » 6+6 a
— Elle m'a dit : « Il faut mourir avant la honte 6+6 a
» De vieillir dans ta chair et ta pensée. Il faut 6+6 b
35 » Tomber, chantant encor, comme Orphée et Sapho, 6+6 b
» Quand ton désir de tout t'accable et te surmonte. 6+6 a
» Je te délivrerai du doute de ton cœur. 6+6 a
» Tu seras dans la terre ainsi qu'une semence, 6+6 b
» Tu sauras tout ce qui finit et recommence, 6+6 b
40 » Tu conntras l'Après dont les vivants ont peur. » 6+6 a
— J'ai dit : « La fin hâtive est un destin qu'on vante, 6+6 a
» Mais je renonce à son prestige funéral. 6−6 b
» Car l'horreur de vieillir est encore vivante, 6+6 a
» Et je crains mon néant encor plus que mon mal. 6+6 b
45 » J'ai peur de ne plus rien connaître dans ta fosse ! 6+6 a
» A quiconque est passé, qu'importe l'Avenir ? 6+6 b
» La vie a beau durer, ma sensation fausse 6+6 a
» Dit vrai : Le monde meurt de mon dernier soupir. 6+6 b
» Si loin qu'on se souvienne et si longtemps qu'on pleure, 6+6 a
50 » Quels longs regrets vaudront jamais mon cœur battant ? 6+6 b
» La mort ! La mort ! Recule encor ma dernière heure, 6+6 a
» Laisse-moi vivre pour t'aimer. Je t'aime tant ! 6−6 b
» Partout se dresse en moi ta suprême pene. 6+6 a
» C'est toi qu'en toute chose étreint ma passion. 6+6 b
55 » L'amour même me montre, aux faces renversées 6+6 a
» Des femmes, ta tragique et pure expression. 6+6 b
» Sans toi rien ne me plaît, sans toi rien ne m'étonne : 6+6 a
» Rythmes, parfums, couleurs, paroles ou contours 6+6 b
» Te doivent le trésor de ne durer qu'un jour, 6+6 b
60 » C'est ton enchantement qui ravage l'automne. 6+6 a
» Ah ! je te cherche dans l'automne ! Les chemins 6−6 a
» Abandonnés me voient étreindre l'or d'octobre, 6+6 b
» Et c'est toi seule, amante austère, ardente et sobre, 6+6 b
» Qui craques toute avec les feuilles dans mes mains. 6+6 a
65 » Tu ne trouveras pas d'âme plus amoureuse 6+6 a
», Que la mienne, d'amant plus grave et plus hardi. 6+6 b
» Qui, saurait comme moi t'aimer, Mystérieuse, 6+6 a
» Seule inconnue, ô toi qui n'as encor rien dit ?… » 6+6 b
Elle a repris : « Regarde encor mon spectre insigne, 6+6 c
70 » Car je m'éloigne avec un doigt contre les dents. 6+6 d
» T'impose-je silence ou bien te fais-je signe ? • 6+6 c
» Cherche le sens du geste, ironique ou prudent ! » 6+6 d
Elle a ri. Je n'ai su ce qu'elle voulait dire. 6+6 a
J'ai vu derrière moi s'effacer son contour. 6+6 b
75 Est-elle absente pour cent ans ou pour un jour ? 6−6 b
Suis-je dans son oubli ? Suis-je son point de mire ? 6+6 a
Gomme jadis, la route est offerte à mes pas, 6+6 a
Mon être audacieux pense, aime, rit et pleure 6+6 b
Est-ce un commencement ? Est-ce une dernière heure ? 6+6 b
80 Je ne sais pas… Je ne sais pas… Je ne sais pas. 6−6 a
mètre profil métrique : 6−6
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