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| = césure
DLR_2/DLR170
Lucie DELARUE-MARDRUS
FERVEUR
1902
PRONES II
LE POÈME DE L'ÉTERNELLE ÉGLISE
A Raymond Berger.
En écoutant la Ville, ayant fermé les yeux, 6+6 a
J'ai vu, dans la ténèbre intime des paupières, 6+6 b
Mes rougeurs d'incendie et les chutes de pierres 6+6 b
Du Demain préparé par d'inouïs aïeux. 6+6 a
5 Le sol crevé tremblait sous les hordes carrées 6+6 a
Des esclaves d'hier, blêmes de passion, 6+6 b
Levant cent mille bras vers la destruction, 6+6 b
Et gonflant d'hymnes leurs poitrines libérées. 6−6 a
Et le rire, tragique et fou comme un sanglot, 6+6 a
10 Y secouait les seins ivres des filles folles 6+6 b
Qui, béantes, hurlaient aussi les carmagnoles, 6+6 b
Dont se rythmait au vent le sinistre galop. 6+6 a
Mais un grand rêve, issu de cette immense crise, 6+6 a
Dans le ciel clair de l'ordre et de la liberté 6+6 b
15 Faisait déjà monter de terre une cité 6+6 b
Virginale, sans Tribunal et sans Église. 8+4 a
Et si l'on se heurtait des pieds à quelque bloc, 6+6 a
‒ Survivant oublié de l'ancienne pensée, ‒ 6+6 b
La cohue achevait ce vestige, pressée 6+6 b
20 Et dure, et poursuivant son sillon comme un soc. 6+6 a
… Soudain, rompant l'assaut de la ruine grise, 6+6 a
Le rauque bataillon recule et reste coi, 6+6 b
Écumant de silence et ne sachant pourquoi 6+6 b
Un simple mendiant surgi l'immobilise. 6+6 a
25 Un soleil ignoré brûle dans ses cheveux, 6+6 a
Éclairant dans le soir la pierre à l'agonie, 6+6 b
Et, géniale, bleue et fixe, l'ironie 6+6 b
Tombe des calmes cils du pauvre lumineux. 6+6 a
Il va parler. Il meut sa grâce solennelle ; 6+6 a
30 Et la foule, devant ce fragile rival, 6+6 b
Obéit toute, avec des regards d'animal, 6+6 b
A l'ordre de l'index qui s'est levé sur elle. 6+6 a
LE PAUVRE
La paix sur vous !… Comment pouvez-vous croire à bas 6+6 a
L'Église ?… Vous dansez sur la tour renversée, 6+6 b
35 Ignorant que le marbre meurt, non la Pensée ; 4+4+4 b
Mais l'Église est, parmi le sang et les dégâts, 6+6 a
Tout debout ! Et jamais elle ne fut plus fière ! 6+6 a
Pourquoi vomissez-vous, de haine, une chanson ? 6+6 b
Ne voyez-vous grandir sa force pierre à pierre ?… 6+6 a
40 O vous tous ! l'heure vient de couper la moisson, 6+6 b
L'heure vient de compter les pierres angulaires ! 6+6 a
LA FOULE
Nous ne comprenons point ce que fixent là-bas, 6+6 a
Plus loin que tous nos yeux tes étranges prunelles. 6+6 b
Mais apprends-nous où sont, attendant les truelles, 6+6 b
45 Ces pierres que tu dis et que l'on ne voit pas. 6+6 a
LE PAUVRE
Dans vos poitrines !…
Cœur sanglant, ô cœur de l'homme ! 6+6 a
Gouffre que n'emplit pas l'océan qu'on te doit, 6+6 b
Cœur intact sous le poids de tout ce qui t'assomme, 6+6 a
O cœur, écoute-moi quand je te touche au doigt, 6+6 b
50 Quand je te dis : « Tu es pierre et sur cette pierre 6+6 a
J'ai bâti mon Église à jamais ! »
LA FOULE
Qui es-tu, 6+6 b
Toi qui redis les mots d'exécrable vertu 6+6 b
Du denier dieu que piétina notre colère ? 4+4+4 a
Avant de t'en aller en lambeaux retrouver 6+6 a
55 Les prêtres abolis de Christ ou d'Iaveh, 6+6 a
Expire donc d'abord de honte pour tes dires, 6+6 a
Submergé par le fleuve énorme de nos rires ! 6+6 a
LE PAUVRE
Arrière !… Je connais déjà votre gaîté : 6+6 a
Elle vêtit mon corps et couronna ma tête, 6+6 b
60 Et je suis pâle encor du trépas insulté. 6+6 a
Mais aujourd'hui mon règne arrive, c'est ma fête 6+6 b
Plus qu'à Jérusalem tout en palmes ! Le jour 6+6 a
Se lève ! C'est l'aurore en flammes de l'Amour !… 6+6 a
LA FOULE
O folie ! O dégoût des anciennes nausées ! 6+6 a
65 Qu'il meure sous les coups, la haine et les risées : 6+6 a
C'est le Christ ! C'est le Christ lui-même… C'est Jésus !… 6+6 a
LE PAUVRE
Vous l'avez dit !
LA FOULE
A mort !
LE PAUVRE
Faudra-t-il que je meure 6+6 b
Alors que sont venus ceux de la dernière heure, 6+6 b
Virginaux, dépouillés des rites et des us ? 6+6 a
70 Quand voici mûre enfin ma récolte tardive ?… 6+6 a
O mes enfants, je vous le dis, mon règne arrive ! 6−6 a
Car voyez-moi : debout dans mon simple haillon, 6+6 a
Ouvrant au ciel du soir ma bouche sans bâillon, 6+6 a
En une liberté d'épaules, hors la cangue 6+6 a
75 Des manteaux d'or, je mêle au vent cette harangue ! 6+6 a
Ah ! c'est la fin, ce soir, des efforts impuissants ! 6+6 a
Je sens que le plein air me lave des encens, 6+6 a
Des cires, des foisons de lis, des girandoles, 6+6 a
Et de tout aliment de l'orgueil des idoles ! 6+6 a
80 Qu'étaient donc le manteau de pourpre et le roseau 6+6 a
Près de la honte d'être, avec le lourd boisseau 6+6 a
De la tiare sur ma tête de lumière, 6−6 a
Assis près des veaux d'or et des dragons de pierre ? 6+6 a
Qu'était la mort, qu'était toute ma passion 6+6 a
85 Au prix de ton horreur, Déification ?… 6+6 a
Mais voici !… Délivrant mon ascension claire, 6+6 a
Votre geste a brisé le marbre tumulaire, 6+6 a
Et, parmi les débris dispersés, je surgis 6+6 a
Pour vous redire, libéré des paradis 4+4+4 a
90 Et des enfers : « Il faut s'aimer les uns les autres !… » 6+6 a
‒ Et c'est là l'Éternelle Église, ô mes apôtres ! 6+6 a
LA FOULE
Qui donc est-il ? son front inexplicable luit ; 6+6 a
Son manteau, comme une envergure, le soulève, 4+4+4 b
Et nos vierges instincts nous emportent vers lui. 6+6 a
95 Sa parole ressemble à notre plus beau rêve : 6+6 b
Franchissant deux mille ans sur elle révolus, 6+6 a
Elle dépasse d'un seul coup toutes les bornes, 6+6 b
Et les âges futurs ne diront rien de plus. 6+6 a
… O Passant de clarté qui viens en loques mornes 6+6 b
100 Secouer sur nos cœurs les mots que nous voulons, 6+6 a
Toi, prêtre qui n'as point mitré tes cheveux blonds, 6+6 a
Dont la main ne tend pas la sébile de Rome, 6+6 a
Qui donc es-tu ? Le Fils de Dieu ?…
LE PAUVRE
Le Fils de l'homme ! 6+6 a
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