Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DLR_10/DLR939
Lucie DELARUE-MARDRUS
MORT ET PRINTEMPS
1932
AU DELÀ
Je me levai du fond des ténèbres sans formes, 6+6 a
En écartai l'inconsistante pesanteur, 4+4+4 b
Et j'allais, tâtonnante, à la vague lueur 6+6 b
Qui commençait au bout de leurs replis énormes. 6+6 a
5 Depuis quand, dans la nuit de mon caveau natal, 6+6 a
S'était ouverte ainsi la confuse lézarde ? 6+6 b
Mes mains, en s'y portant toutes deux, eurent mal 6+6 a
Au choc de la muraille où l'ombre s'acagnarde. 6+6 b
Sortir ! Mes doigts blessés se mouillent, dans le noir, 6+6 a
10 D'un invisible sans que je sais être rouge. 6−6 b
Peut-être est-il ici quelque pierre qui bouge ? 6+6 b
Je travaillais, je travaillais — O désespoir ! 4+4+4 a
Minutes, heures, jours, semaines, mois, années, 6+6 a
Comment savoir quel temps s'écoula dans l'horreur, 6+6 b
15 Jusqu'à ce qu'aient senti mes mains hallucinées 6+6 a
Et vu mes yeux déments s'agrandir la lueur ? 6+6 b
Je passai. ce n'était qu'un étroit couloir d'ombre 6+6 a
Mais dont je discernais maintenant les contours, 6+6 b
Et j'y marchai des jours et puis encor des jours 6+6 b
20 Et peut-être la nuit était-elle moins sombre, 6+6 a
Et peut-être la nuit laissait-elle passer 6+6 a
Doucement, doucement, ô bonheur ! quelque chose, 6+6 b
Quelque chose d'étrange et qui deviendrait rose : 6+6 b
Un peu de jour ? mon pas se faisait plus pressé. 6+6 a
25 Oui, le jour ! Je voyais se dessiner l'issue, 6+6 a
Tout au bout, tout au bout de ce couloir sans fin. 6+6 b
Et je criai devers la merveille aperçue, 6+6 a
Et je courais, et je courais. L'atteindre enfin ! 6−6 b
Je l'atteins ! Me voici tout à coup à la porte 6+6 a
30 Qui s'ouvre de la nuit sur un monde vermeil. 6+6 b
Je sors ! Les brouillards blancs où ma course me porte 6+6 a
Sont déjà, pour mes yeux, beaux comme le soleil. 6+6 b
J'avance encor, toujours, écartant des nuages 6+6 a
Avec mes mains, avec mon front, sauvagement. 6+6 b
35 Je vais y voir. Je vois ! Quelque part, un aimant 6+6 b
Me dirige. Je vois. Un ciel ! Des paysages ! 6+6 a
Tout se sculpte, tout sort des brumes de coton. 6+6 a
Une rivière ici. Là, c'est une colline. 6+6 b
Voici l'eau, voici l'air, et voici le feston 6+6 a
40 Des arbres, sous le ciel où l'ombre est opaline. 6+6 b
Je cours, encor, toujours. Mes pieds sont furieux. 6+6 a
L'aube ! Fera-t-il jour vraiment dans mes prunelles ? 6+6 b
A genoux je voudrais l'attendre. Je ne peux. 6+6 a
Pour aller vers le jour il me faudrait des ailes. 6+6 b
45 De la lumière ! Où donc ? Là-bas ! J'y vais ! J'y vais ! 6+6 a
Maintenant que j'ai vu je veux voir plus encore. 6+6 b
Et voici ! Le soleil va naître. C'est l'aurore. 6+6 b
Et plus vite je cours avec des bras levés. 6+6 a
Il naît. C'est lui, c'est lui dans son horreur sacrée ! 6+6 a
50 Le moment est venu de tomber à genoux. 6+6 b
Non ! L'aimant qui me guide est là. Je suis tirée 6+6 a
Plus loin, vers le soleil et ses horizons fous. 6+6 b
Ai-je jamais connu la nuit initiale 6+6 a
Où jadis la fissure ouverte dans le mur 6+6 b
55 A lentement me mon pas tremblant mais sûr ? 6+6 b
J'y vais ! Et le soleil lui-même semble pâle. 6+6 a
Il semble pâle. Il est derrière moi. Courons ! 6+6 a
Une sphère inconnue est ouverte. Je passe. 6+6 b
Où suis-je ? Le contour des choses, qui s'efface, 6+6 b
60 Ne s'efface à présent qu'à force de rayons. 6+6 a
De la lumière ! Oui ! Prunelles éblouies, 6+6 a
Allant toujours, sans force et le cœur éperdu, 6+6 b
Je regarde. Je suis comme un enfant perdu, 6+6 b
Je ne vois rien, plus rien que clartés infinies. 6+6 a
65 Partout, derrière moi, devant moi, tout autour, 6+6 a
Illimité, l'espace irradie et s'allume. 6+6 b
Près de ce bain de flamme et de douceur, le jour 6+6 a
Même équatorial, ne serait plus que brume. 6+6 b
Je marche sur du jour. Plus de sol sous mes pas. 6+6 a
70 Et j'écarte à ma droite, et j'écarte à ma gauche 6+6 b
Pour voir si, quelque part, quelque contour s'ébauche 6+6 b
Mais non ! Rien que lumière ici, en haut, en bas. 6+6 a
Elle me noie. Elle est comme une mer divine ! 6+6 a
Sans aveugler mes yeux et ne me brûlant point, 6+6 b
75 Elle me porte, errante et de plus en plus loin, 6+6 b
Perdant ma pesanteur ainsi qu'une racine. 6+6 a
Je cherche, cherche. Il faut en retrouver le fond. 6+6 a
Il faut reprendre pied dans la mer lumineuse. 6+6 b
Mais je suis dans un monde insaisissable et blond, 6+6 a
80 Un immense néant de clarté bienheureuse. 6+6 b
Un néant ? J'avançais toujours, prise d'effroi, 6+6 a
Et toujours se faisait plus fulgurant le vide, 6+6 b
Et toujours déferlait, plus clair autour de moi, 6+6 a
Me serrait de plus près l'océan d'or liquide. 6+6 b
85 Je pus, vainquant la lumineuse cécité, 4+4+4 a
Voir encore un instant mon corps : puis la lumière 6+6 b
Fît invisible enfin mon image première, 6+6 b
Et je n'eus plus de forme et plus d'identité. 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
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