Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DLR_1/DLR53
Lucie DELARUE-MARDRUS
OCCIDENT
1901
PAROLES I
LE POÈME DE LA VIE ET DE LA MORT
L'ÊTRE
Je me suis éveillé | dans l'aurore naissante 6+6 a
Qui luit au ciel son joyau clair ; 8 b
Je me suis éveillé | dans la tiédeur de l'air 6+6 b
Qui sans cesse refait | la terre adolescente ; 6+6 a
5 Je me suis éveillé | dans l'aurore naissante, 6+6 c
dans les flocons d'avril | qui fleurissent la sente 6+6 c
Et dans la beauté de ma chair. 8 b
Et je tends mes deux bras | lyriques vers les choses, 6+6 a
Car mon âme, de l'aube au soir, 8 b
10 Pour ses torrents de vie | appelle un déversoir ; 6+6 b
Car l'exaltation | gonfle mes lèvres closes 6+6 a
Et je tends mes deux bras | lyriques vers les choses, 6+6 c
Avides de brûler | dans des apothéoses 6+6 c
Ainsi qu'un vivant encensoir. 8 b
15 J'ai soif de la beauté, | j'ai soif de la lumière 6+6 a
Et de la force et de l'ampleur 8 b
Assez pour contenir | l'univers dans mon cœur ; 6+6 b
Voulant plus que la joie | humaine coutumière 6+6 a
J'ai soif de la beauté, | j'ai soif de la lumière, 6+6 c
20 Et je vais les saisir | dans l'étreinte première, 6+6 c
De ma belle jeunesse en fleur. 8 b
Mon âme s'ouvre à tous, | profonde et fraternelle, 6+6 a
Ma chair s'offre à la volupté. 8 b
Ah ! que viennent l'amour, | la beauté, la bonté ! 6+6 b
25 Car ! pour participer | à la joie éternelle, 6+6 a
Mon âme s'ouvre à tous | profonde et fraternelle, 6+6 c
Var je sens palpiter | comme un aigle son aile 6+6 c
L'espoir dont mon être est hanté ! 8 b
LE PREMIER SPECTRE
Je suis là.
LE SECOND SPECTRE
Je suis là. |
L'ÊTRE
Quelles sont ces deux ombres ? 6+6 a
30 Elles s'assoient ainsi | que deux visiteurs sombres 6+6 a
Et muets, toutes deux | à ma porte. L'une a, 6+6 a
A même la figure, | un masque d'incarnat 6+6 a
Et qui rit ; et sa robe | est d'étoffe fleurie ; 6+6 a
Une couronne prise | à travers champs marie 6+6 a
35 Le vif de des couleurs | au noir de ses cheveux. 6+6 a
Et l'autre a répandu | sus ses membres nerveux 6+6 a
Une étoffe de lin | imiteuse de lange, 6+6 a
Pendant que rien ne luit | sur son visage étrange 6+6 a
Qui n'a ni yeux, ni nez, | ni bouche, que ses dents ; 6+6 a
40 Elle semble cacher | dans ses drapés prudents 6+6 a
Quelque arme à tranchant clair | dont je ne me rends compte. 6+6 a
LE PREMIER SPECTRE
Nous sommes là tous deux | pour te conter un conte, 6+6 a
Mais, avant que nos voix | te parlent tour à tour, 6+6 a
Lève la belle robe | où se fond mon contour, 6+6 a
45 Fleure les belles fleurs | dont ma tête se noue, 6+6 a
Écarte le beau masque | appliqué sur ma joue 6+6 a
Et, sous ma robe, vois | mes blessures saigner, 6+6 a
Tous mes calices frais | prêts à t'empoisonner 6+6 a
Et son mon masque gai | sangloter ma figure. 6+6 a
Je suis la Vie.
LE SECOND SPECTRE
50 Et moi, | soulève ma vêture 6+6 a
Pauvre qui ferait croire | un corps sous ses plis faux ; 6+6 a
Tu n'y vois qu'un squelette | étriqué ; mais la faulx 6+6 a
Que j'y cachais t'éclate | aux yeux, arme qui reste 6+6 a
Terriblement rivée | au hasard de mon geste. 6+6 a
Je suis la Mort.
L'ÊTRE
55 O couple | affreux ! Spectres jumeaux ! 6+6 a
Quelle histoire d'horreur | va sortir de vos mots ! 6+6 a
LE PREMIER SPECTRE
Vois ! Des cortèges vont | sans but ; ah les cortèges, 6+6 a
Les mornes, les pareils toujours ! 8 b
Par villes et par champs, | par les nuits, par les jours, 6+6 b
60 Par les printemps et par les neiges ! 8 a
Vois ! Ce sont des bras fous | tragiquement tordus 6+6 a
Et des bouches d'où le cri monte, 8 b
Cri de révolte et cri | de deuil, misère et honte, 6+6 b
Désirs et doutes éperdus. 8 a
65 Vois ! la faim râle au fond | des taudis, et le vice 6+6 a
Emplit bouges et lupanars, 8 b
Et la maladie âpre | aux milles cauchemars 6+6 b
Grouille et déborde de l'hospice ; 8 a
Vois ! les adieux, l'orgueil | à bas, l'amour trahi 6+6 a
70 Hurlent, poussés vers les suicides, 8 b
vers le plaisir tueur | de mémoires lucides, 6+6 b
Vers l'alcool recéleur d'oubli ; 8 a
Les refuges cherchés | gardent leurs portes closes, 6+6 a
L'amour est un leurre et l'art ment, 8 b
75 La musique et les vers | sont un nouveau tourment 6+6 b
Où resanglotent les névroses, 8 a
Et l'Idéal, idole | au geste solennel, 6+6 a
Debout et le chef dans les nues, 8 b
Répond aux piétés | des foules accourues 6+6 b
80 Par un « à quoi bon ? » éternel ! 8 a
L'ÊTRE
Au secours ! Au secours ! |
LE SPECTRE
Écoute la sentence 6+6 a
Épouvantable jusqu'au bout : 8 b
Tu resteras toujours | vivant, toujours debout 6+6 b
Malgré l'enfer de l'existence, 8 a
85 Marqué tout à la fois | dans ta chair et ton cœur 6+6 a
Par la grande misère humaine, 8 b
Rides du lourd péché, | de l'espérance vaine 6+6 b
Et de l'inutile labeur, 8 a
Et, flagellé, rempli | d'horreur et d'anémie, 6+6 a
90 Dans le silence et l'abandon, 8 b
Sombre, tu couveras | une haine sans nom 6+6 b
Pour ton ambiance ennemie ! 8 a
Et maintenant, adieu ! | vers l'avenir maudit 6+6 a
Dont l'effroi déjà te trépane, 8 b
95 Déambule, pantin ! | navigue, barque en panne ! 6+6 b
Pour moi, je me rassieds. J'ai dit ! 8 a
L'ÊTRE
O bonne mort ! ô mort | douce et pleine de grâce, 6+6 a
C'est vers toi, dans l'horreur | folle qui me terrasse 6+6 a
Que, les yeux ruisselants | de trop d'affliction, 6+6 a
100 Je tends mes bras chercheurs | de consolation, 6+6 a
Éternelle présence | à qui mon pas se rive, 6+6 a
Seul but où diriger | mon atroce dérive, 6+6 a
O toi l'unique, ô toi | l'immanquable, la sœur, 6+6 a
prends-moi comme un enfant | qui pleure sur ton cœur 6+6 a
105 Et conte-moi tout bas | la croyance future ; 6+6 a
Car, puisque rien n'a pu | dans toute la nature 6+6 a
Assouvir le désir | dont j'étais dévoré, 6+6 a
Puisque je reste en deuil | de mon espoir doré 6+6 a
Puisque pour cette soif | dont mon âme déssèche 6+6 a
110 Je n'ai pu nulle part | trouver de source fraîche, 6+6 a
A moi l'espoir qui fait | renaître les cœurs morts ! 6+6 a
A moi la bonne paix | hanteuse d'âmes veuves ! 6+6 b
A moi le baume en qui | les esprits et les corps 6+6 a
Se guérissent du mal | profond de trop d'épreuves ! 6+6 b
115 A moi la joie après | la mort, remplacement 6+6 a
Du bonheur que cherchait | mon âme printanière, 6+6 b
Seule source où pourra | boire éternellement 6+6 a
Mon éternelle soif | de Vie et de Lumière ! 6+6 b
Ah ! puisqu'il FAUT connaître | ici-bas la douleur, 6+6 a
120 Puisque la loi fatale | est pour nous tous la même, 6+6 b
Donne-moi la douleur | où l'on met tous son cœur, 6+6 a
Donne-moi la douleur | au fond de qui l'on aime : 6+6 b
Fais que mon désespoir | se fonde en piété, 6+6 a
Fais qu'âme et chair je sois | une double victime 6+6 b
125 D'un holocauste fait | à la Divinité 6+6 a
Grand d'être volontaire, | énergique, anonyme ; 6+6 b
Que je serve d'enclume | à ce divin marteau, 6+6 a
Que mon infimité | se grandisse et rehausse 6+6 b
D'obéir tout entière | à l'Infini, plutôt 6+6 a
130 Qu'à cette vanité | terrestre, inepte et fausse, 6+6 b
Et parmi le chagrin, | la souffrance et l'ennui, 6+6 a
Dans ce cortège humain | qui languit et qui pleure, 6+6 b
S'il faut vivre, je vis ! | Mais que ce soit pour lui, 6+6 a
Dieu ! Dieu, mon seul espoir, | mon but et ma demeure ! 6+6 b
LE SECOND SPECTRE
135 Clame ton impuissance | ou prie humble et tout bas, 6+6 a
Le muet Infini | ne te répondra pas. 6+6 a
Le suprême dédain | de cette offre sublime 6+6 a
De sacrifice auguste, | austère, entier, INTIME, 6+6 a
Tombe, avec ce silence | implacable, sur toi. 6+6 a
140 Il n'y a ni l'espoir, | ni le but, ni le toit 6+6 a
Derrière le secret | de la voûte infinie. 6+6 a
Pour moi, je t'apprendrai | la peur de l'agonie, 6+6 a
Le remords de la fin, | la terreur de l'après, 6+6 a
Toutes ces affres qui, | soit de loin, soit de près 6+6 a
145 Te guettent, puisqu'il faut | que tout être succombe ; 6+6 a
Je t'apprendrai l'horreur | de l'oubli sur ta tombe, 6+6 a
Seconde mort à qui | nul n'échappe ici-bas. 6+6 a
Mais, où ton âme ira, | tu ne le sauras pas. 6+6 a
Que le monde sur toi | laisse tomber sa porte, 6+6 a
150 Je ne te dirai pas | les lieux où je t'emporte. 6+6 a
Maintenant, tends au ciel | ton bras désespéré ; 6+6 a
Cherches-y le prétexte | et la raison ; muré, 6+6 a
Lève sur cet espace | ouvert ton œil avide, 6+6 a
Et tu n'y verras rien | qu'un formidable vide, 6+6 a
155 Cependant qu'à tes pieds | monte le mauvais bruit 6+6 a
Du monde qu'à présent | toute ton âme est fuit, 6+6 a
Hideux de sa douleur | et de sa gaîté pire 6+6 a
Comme un sanglot noyé | dans un éclat de rire ! 6+6 a
L'ÊTRE
L'horreur de ton discours | est plus profonde encor… 6+6 a
160 Au secours ! Au secours ! |… Ah la vie et la mort !… 6+6 a
Ah ! spectres !… Où vous fuir ? | Où cacher ma détresse, 6+6 a
O vide en qui ma tête | impuissante se dresse ?… 6+6 a
Rien !… Rien… nuit, solitude | et silence… O mon cœur, 6+6 a
Quelle épouvante !… Où fuir ? |… J'ai peur ! J'ai peur ! J'ai peur ! 6+6 a
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