Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DLP_1/DLP5
corpus Pamela Puntel
Albert DELPIT
L'INVASION
1870
1870
V
LA RENCONTRE
Depuis deux jours déjànous étions dans la Meuse. 6+6 a
La dévastationpartout, livide, affreuse ; 6+6 a
Au coin des bois, pleurantleurs feuilles sur le bord, 6+6 b
Des toits pillés, des champsbrûlés, cet air de mort, 6+6 b
5 Images du présent la honte étincelle, 6+6 a
Comme l'Invasionen laisse derrière elle. 6+6 a
Nous allions tristementdans un petit chemin, 6+6 b
Près du bois. Je tenaismon fusil dans ma main, 6+6 b
Et devant ce tableaude sang et de misère, 6+6 a
10 Je faisais dans mon cœurune ardente prière 6+6 a
Pour en tuer encoreautant que je pourrais, 6+6 b
Fallût-il à mon toury succomber après ! 6+6 b
Je sentais dans mon cœurbondir l'ardente haine ! 6+6 a
Du sommet des coteauxau milieu de la plaine, 6+6 a
15 A travers les cheminsdéfoncés par les eaux, 6+6 b
A travers la forêt chantaient les oiseaux, 6+6 b
— Doux ignorants, joyeuxdevant ce grand carnage, — 6+6 a
Partout les Prussiensont marqué leur passage. 6+6 a
Au loin, à l'horizontriste et silencieux, 6+6 b
20 Je voyais la ruineappartre à mes yeux : 6+6 b
Par l'épaisse colonneou montait la fumée, 6+6 a
Les villages disaient :Là campa leur armée ! 6+6 a
Plus loin, ce paysanfrançais qu'on fusilla, 6+6 b
Montrait que les mauditsavaient passé par là : 6+6 b
25 Tout enfin, au milieude ce profond silence, 6+6 a
Tout jetait un grand cride haine et de vengeance ! 6+6 a
Cependant il fallaitno pas perdre de temps, 6+6 b
Et nous allions, pensifset graves pour longtemps, 6+6 b
Car la tristesse noireavait gagné nos âmes, 6+6 a
30 Quand nous vîmes soudainune troupe de femmes 6+6 a
Et d'hommes, inclinantleur front triste et honteux, 6+6 b
Qui s'en venaient vers nousen poussant devant eux 6+6 b
Un vieux cheval poussiftramant une charrette. 6+6 a
C'étaient des paysanschassés par la conquête. 6+6 a
35 — Vous venez nous défendre ?Hélas ! il est trop tard ! 6+6 b
Dit en hochant la têteun d'entr'eux, — un vieillard. 6+6 b
Merci bien tout de même,allez, pour tous les nôtres 6+6 a
Car vous empêcherezqu'on tourmente les autres… 6+6 a
Nous, l'on nous a tout pris,nos bœufs et nos moutons ; 6+6 b
40 Regardez, voilà toutce que nous emportons : 6+6 b
Des vieux meubles, un peude linge, et cette bête 6+6 a
Qui peut à peine encortrner une charrette !… 6+6 a
Ce vieillard me serraitle cœur à l'écouter, 6+6 b
Car il me paraissaitvivre sans exister 6+6 b
45 Il tenait à la mainune petite fille 6+6 a
De trois ans, à la mineéveillée et gentille, 6+6 a
Qui serrait sur son cœur,comme font les enfants, 6+6 b
Un tout petit bouquetde fleurettes des champs. 6+6 b
— Voyez-vous, reprit-il,ils sont dans le village. 6+6 a
50 Hier matin, nous partionspour aller à l'ouvrage, 6+6 a
Quant un gars de chez nousvint et dit : Les voilà ! 6+6 b
Oh ! voyez-vous, monsieur,en entendant cela 6+6 b
Je pris peur, car j'avaisla petite et sa mère 6+6 a
Comme pour en chasserune pensée amère, 6+6 a
55 Il passa sur son frontune main qui tremblait. 6+6 b
Puis il reprit plus bas,comme s'il se parlait 6+6 b
A lui-même, tournévers une idée absente : 6+6 a
— Pauvre femme ! elle étaitsi bonne et si vaillante ! 6+6 a
Rien qu'à voir ses grands yeuxdont le regard rêvait 6+6 b
60 On devinait le cœurexcellent qu'elle avait ! 6+6 b
Il se tut un instant,l’œil fixé sur la terre ; 6+6 a
Puis, me serrant le brasfortement :
— Moi ! son père 6+6 a
Oh ! si je vous disaisce que j'ai vu ! — J'étais 6+6 b
Attache contre l'arbre je me débattais, 6+6 b
65 Sueur au front, rongeantmes poings, par impuissance, 6+6 a
Car je ne pouvais pascourir à sa défense ! 6+6 a
Je lui criais : Ma fille !Oh ! ma fille !… — Eux riaient. 6+6 b
Je voulus m'élancerles cordes me liaient, 6+6 b
Impossible ! il fallaitregarder cette honte ! 6+6 a
70 Oh ! dans l'éternitéce quart d'heure-là compte, 6+6 a
Voyez-vous ! Regarderen face tout cola, 6+6 b
Lorsque c'est votre enfantqu'on déshonore là, 6+6 b
Et qu'un arbre vous serreaussitôt que l'on bouge ! 6+6 a
Un moment je fermailes yeux,… mais je vis rouge 6+6 a
75 En dedans de moi-même,et plus horrible encor !… 6+6 b
Tout-à-coup j'essayaide me donner la mort 6+6 b
En me cassant le frontcontre l'arbre impassible 6+6 a
Hélas ! même celano m'était pas possible ! 6+6 a
Après ?… Ils l'ont tuée !Oh ! c'est juste, en effet 6+6 b
80 t-elle encor vécu,c'est moi qui l'aurais fait !… 6+6 b
Alors, je la clouaidans une vieille bière, 6+6 a
Et choisissant moi-mêmeun coin au cimetière 6+6 a
Près de l'église, sousun arbre tout en fleurs, 6−6 b
Je l'enterrai, très-calmeet sans verser de pleurs, 6+6 b
85 Car j'étais tout en Dieu,son vengeur et le nôtre !… 6+6 a
Puis, voyant que l'enfantjouait avec une autre, 6+6 a
Je lui montrai la tombe,et sur la croix de fer 6+6 b
Je lui fis à genouxréciter son Pater… 6+6 b
Après l'avoir couchéeau fond de notre grange, 6+6 a
90 Je retournai tout seulprier près de mon ange, 6+6 a
Et j'ai veillé la nuittout entière à genoux 6+6 b
Ma morte de vingt ansqui dormait là-dessous !… 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il partit, emportantdans ses bras la petite ; 6+6 a
Et moi, suivant des yeuxcette race proscrite, 6+6 a
95 Ce vieillard que le cielm'avait fait rencontrer, 6+6 b
Je m'assis sur la route,et me mis à pleurer 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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