Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DLP_1/DLP13
corpus Pamela Puntel
Albert DELPIT
L'INVASION
1870
1870
XIII
LE DERNIER JOUR D'UNE CITÉ
A STRASBOURG
On n'entend que le bruit | du canon dans les rues : 6+6 a
Par la flamme et le fer | incessamment accrues, 6+6 a
La ruine et la mort | se sont donné la main : 6+6 b
Hommes, femmes, vieillards, | enfants, tout être humain 6+6 b
5 Se débat écrasé | par l'effort qui le brise, 6+6 a
Sous l'étreinte suprême | où Strasbourg agonise. 6+6 a
Ce qui ne brûle pas | encore va brûler : 6+6 b
De temps en temps on sent | la terre s'ébranler… 6+6 b
Ce n'est rien : ce ne sont | que vingt maisons qui tombent, 6+6 a
10 A travers les sanglots | des blessés qui succombent : 6+6 a
Un boulet passe et va | frapper un bataillon, 6+6 b
Fauchant des rangs entiers | dans son large sillon : 6+6 b
On enlève les morts, | et le feu recommence. 6+6 a
Oh ! qui raconterait | cette bataille immense ! 6+6 a
15 Un colonel de ligne | arrive du dehors. 6+6 b
Tous les soldats vivants | sont entrés dans le corps 6+6 b
Qu'il ramène brisé | par trente heures de lutte : 6+6 a
Le reste est mort, ou va | décroissant par minute ; 6+6 a
Uhrich est là :
— Comment | sont vos hommes ?
— Très-mal. 6+6 b
— Combien en avez-vous ? |
20 — Dix mille, général. 6+6 b
— Combien de Prussiens | devant vous ?
— Deux cent mille. 6+6 a
— Chargez !
Le colonel | sort encor de la ville. 6+6 a
Uhrich court aux remparts. | Quinze cents artilleurs, 6+6 b
Pendant que les soldats | vont les défendre ailleurs, 6+6 b
25 Lancent sur l'ennemi | les boulets et les flammes : 6+6 a
Auprès d'eux sont couchés | les enfants et les femmes 6+6 a
Qui leur ont apporté | de la poudre et du pain, 6+6 b
Car toujours les canons | et les hommes ont faim ! 6+6 b
— Général, dit un vieux, | la poudre diminue. 6+6 a
Uhrich montre la plaine | et lui dit :
30 — Continue. 6+6 a
Plus loin, un artilleur | tombe, couvert de sang. 6+6 b
Un homme pour mourir ! | dit-il.
Il en vient cent. 6+6 b
Alors le général | se tourne vers les autres : 6+6 a
— Le poste doit rester | au plus ancien des vôtres, 6+6 a
35 Mes enfants : prends, l'ami : | le canon t'appartient ! 6+6 b
Et l'artilleur, pondant | que le feu se soutient 6+6 b
Toujours plus écrasant | de la ville à la plaine, 6+6 a
Fendant l'air enflammé | de sa bruyante haleine, 6+6 a
Décharge le canon, | et tombe. Il était mort. 6+6 b
40 — Général, les boulets | vont nous manquer encor, 6+6 b
Dit un sergent, penché | sur l'affût qui tressaille. 6+6 a
Le général répond : |
— Ça ne fait rien : travaille ! 6+6 a
Il faut tirer sur eux | si longtemps qu'on pourra : 6+6 b
Quand nous n'en aurons plus, | eh bien ! on en fera ! 6+6 b
45 Il s'éloigne, et le feu | double de violence. 6+6 a
Dans la ville, la flamme | a gagné l'ambulance : 6+6 a
Alors tous ces héros, | que jamais rien n'abat, 6+6 b
Après avoir été | dos lions au combat, 6+6 b
Courent pour arracher | sa proie à l'incendie 6+6 a
50 Par la bise du Nord | à chaque instant grandie : 6+6 a
Ils posent une échelle | au mur de la maison 6+6 b
Où la mort va faucher | sa terrible moisson, 6+6 b
Et sous l'écrasement | des boulets et des bombes 6+6 a
Emportent ces blessés | dont se creusaient les tombes. 6+6 a
55 Uhrich prend sa lorgnette | et regarde au lointain 6+6 b
— Allons ! dit-il, voilà | l'ennemi, c'est certain : 6+6 b
Nos soldats terrassés | ont dû battre on retraite ! 6+6 a
En effet, tout couvert | de sang jusqu'à la tête, 6+6 a
Un jeune lieutenant | accourt, trois fois blessé : 6+6 b
— Eh bien, le colonel ? |
60 — Mort ! Je l'ai remplacé. 6+6 b
— Mais, et le commandant ? |
— Mort !
— Et le capitaine ? 6+6 a
— Mort !
— Que vous reste-t-il | d'hommes ?
Deux mille à peine. 6+6 a
Alors le général | réunit ses soldats. 6+6 b
Il ne faut pas nous rendre | encore, n'est-ce pas ? 6+6 b
Chargeons !
65 Et les soldats | partent, Uhrich en tête ! 6+6 a
Mais non plus cette fois | pour venger la défaite, 6+6 a
Non plus pour délivrer | la ville qu'il défend, 6+6 b
Et revenir encor | dans ses murs, triomphant, 6+6 b
Après avoir sauvé | la grande citadelle, 6+6 a
70 Mais pour lui faire au moins | une mort digne d'elle, 6+6 a
Et puisqu'il faut tomber, | tomber en lui faisant 6+6 b
Un sépulcre taillé | dans la chair et le sang ! 6+6 b
Cependant des remparts | tonne l'artillerie 6+6 a
Toujours à chaque instant | plus forte et mieux nourrie ! 6+6 a
75 A travers la fumée | on voit l'énorme effort 6+6 b
De tous ces artilleurs, | forgerons de la mort, 6+6 b
Forgeant des corps humains | quand le canon s'allume, 6+6 a
Comme un morceau de fer | qui bondit sous l'enclume ! 6+6 a
Quelle fournaise rouge | au milieu de ces champs ! 6+6 b
80 Aux pères fatigués | succèdent les enfants ; 6+6 b
Chacun fait à son tour | la terrible besogne, 6+6 a
Pas un, pas un d'entr'eux | que la rage n'empoigne, 6+6 a
Pas un qui pour mourir | ne se soit apprêté, 6+6 b
Devant ce grand combat | où tombe une cité ! 6+6 b
85 Le sergent de ses mains | se fait une lorgnette : 6+6 a
— Crénom ! grognonne-t-il | en remuant la tête, 6+6 a
Ces Maudits vont tomber | sur nous comme des chiens ! 6+6 b
Tout à coup il entend | crier : Les Prussiens ! 6+6 b
En effet, l'ennemi | vient de couper les nôtres. 6+6 a
90 Pendant qu'Uhrich chargeait | cent bataillons, les autres 6+6 a
Sont venus par derrière | et nous coupent en deux : 6+6 b
Les Français épuisés | sont pris entre trois feux ! 6+6 b
Un colonel accourt | et regarde la plaine, 6+6 a
Où tous sont si mêlés | que l'on distingue à peine 6+6 a
95 Sous le ciel qui se couvre | et la nuit qui descend, 6+6 b
Qui des deux ennemis | est vainqueur à présent. 6+6 b
Le feu s'arrête, et tous | regardent en silence. 6+6 a
Qui sait de quel côté | va pencher la balance ? 6+6 a
Muets, les artilleurs | regardent sans rien voir… 6+6 b
100 Voici la nuit ; le ciel, | la plaine, tout est noir… 6+6 b
Dieu ! que sont devenus | nos soldats ?… On ignore 6+6 a
Ceux qui de ces héros | restent vivants encore ! 6+6 a
On ne sait rien, mais rien ! | Sont-ils morts ou vainqueurs ? 6+6 b
Outre le doute affreux | l'angoisse étreint les cœurs !… 6+6 b
105 Tout à coup on entend | un cri de sentinelle, 6+6 a
Et puis c'est tout ! Plus loin, | le cri se renouvelle, 6+6 a
Puis une troisième fois un qui-vive lointain 13 b
Auquel les arrivants | répondent !…
C'est certain ! 6+6 b
Ce sont eux ! Ils ont pu | trouer cette muraille 6+6 a
110 De corps humains jetés | à travers la bataille 6+6 a
Pour couper la retraite | à nos soldats brisés ! 6+6 b
Ce sont eux !
Mais hélas ! | presque tous sont blessés… 6+6 b
Deux mille sont partis, | cent cinquante reviennent… 6+6 a
Oh ! que toujours nos cœurs | de ceux-là se souviennent, 6+6 a
115 Qui pour lutter pour nous | de partout sont venus, 6+6 b
Vécurent ignorés | et sont morts inconnus ! 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il ne restait plus rien | dans la ville affamée, 6+6 a
Plus de fer, de boulets, | de poudre, plus d'armée 6+6 a
Plus rien ! Le désespoir | avait surgi partout : 6+6 b
120 Pas un de ses créneaux | n'était resté debout ; 6+6 b
Elle avait noblement | succombé toute entière, 6+6 a
Sans vouloir un seul jour | baisser sa tête altière, 6+6 a
Regardant sa ruine | avec sérénité… 6+6 b
En France, c'est ainsi | que meurt une cité ! 6+6 b
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