Métrique en Ligne
DES_4/DES392
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
FAMILLE
RÊVE INTERMITTENT D’UNE NUIT TRISTE
Ô champs paternels│ hérissés de charmilles 5+6 a
Où glissent le soir│ des flots de jeunes filles ! 5+6 a
Ô frais pâturage│ où de limpides eaux 5+6 a
Font bondir la chèvre│ et chanter les roseaux ! 5+6 a
5 Ô terre natale !│ à votre nom que j’aime, 5+6 a
Mon âme s’en va│ toute hors d’elle-même ; 5+6 a
Mon âme se prend│ à chanter sans effort ; 5+6 a
À pleurer aussi│ tant mon amour est fort ! 5+6 a
J’ai vécu d’aimer,│ j’ai donc vécu de larmes ; 5+6 a
10 Et voilà pourquoi│ mes pleurs eurent leurs charmes. 5+6 a
Voilà, mon pays,│ n’en ayant pu mourir, 5+6 a
Pourquoi j’aime encore│ au risque de souffrir. 5+6 a
Voilà, mon berceau,│ ma colline enchantée, 5+6 a
Dont j’ai tant foulé│ la robe veloutée, 5+6 a
15 Pourquoi je m’envole│ à vos bleus horizons, 5+6 a
Rasant les flots d’or│ des pliantes moissons. 5+6 a
La vache mugit│ sur votre pente douce, 5+6 a
Tant elle a d’herbage│ et d’odorante mousse, 5+6 a
Et comme au repos│ appelant le passant, 5+6 a
20 Le suit d’un regard│ humide et caressant. 5+6 a
Jamais les bergers│ pour leurs brebis errantes 5+6 a
N’ont trouvé tant d’eau│ qu’à vos sources courantes. 5+6 a
J’y rampai débile│ en mes plus jeunes mois. 5+6 a
Et je devins rose│ au souffle de vos bois. 5+6 a
25 Les bruns laboureurs│ m’asseyaient dans la plaine 5+6 a
Où les bleds nouveaux│ nourrissaient mon haleine. 5+6 a
Albertine aussi,│ sœur des blancs papillons. 5+6 a
Poursuivait les fleurs│ dans les mêmes sillons ; 5+6 a
Car la liberté│ toute riante et mûre 5+6 a
30 Est là, comme aux cieux,│ sans glaive, sans armure, 5+6 a
Sans peur, sans audace│ et sans austérité. 5+6 a
Disant : « Aimez-moi,│ je suis la liberté ! » 5+6 a
Ô patrie absente !│ ô fécondes campagnes, 5+6 a
Où vinrent s’asseoir│ les ferventes Espagnes ! 5+6 a
35 Antiques noyers,│ vrais maîtres de ces lieux, 5+6 a
Qui versez tant d’ombre│ où dorment nos aïeux ! 5+6 a
Échos tout vibrants│ de la voix de mon père 5+6 a
Qui chantait pour tous :│ «Espère ! espère ! espère ! » 5+6 a
Ce chant apporté│ par des soldats pieux, 5+6 a
40 Ardents à planter│ tant de croix sous nos cieux. 5+6 a
Tant de hauts clochers│ remplis d’airain sonore, 5+6 a
Dont les carillons│ les rappellent encore : 5+6 a
Je vous enverrai│ ma vive et blonde enfant, 5+6 a
Qui rit quand elle a│ ses longs cheveux au vent. 5+6 a
45 Parmi les enfants│ nés à votre mamelle. 5+6 a
Vous n’en avez pas│ qui soit si charmant qu’elle ! 5+6 a
Un vieillard a dit│ en regardant ses yeux : 5+6 a
« Il faut que sa mère│ ait vu ce rêve aux cieux ! » 5+6 a
En la soulevant│ par ses blanches aisselles 5+6 a
50 J’ai cru bien souvent│ que j’y sentais des ailes ! 5+6 a
Ce fruit de mon âme,│ à cultiver si doux, 5+6 a
S’il faut le céder,│ ce ne sera qu’à vous ! 5+6 a
Du lait qui vous vient│ d’une source divine 5+6 a
Gonflez le cœur pur│ de cette frêle ondine. 5+6 a
55 Le lait jaillissant│ d’un sol vierge et fleuri 5+6 a
Lui paîra le mien│ qui fut triste et tari. 5+6 a
Pour voiler son front│ qu’une flamme environne 5+6 a
Ouvrez vos bluets│ en signe de couronne : 5+6 a
Des pieds si petits│ n’écrasent pas les fleurs, 5+6 a
60 Et son innocence│ a toutes leurs couleurs. 5+6 a
Un soir, près de l'Eau,│ des femmes l’ont bénie, 5+6 a
Et mon cœur profond│ soupira d’harmonie. 5+6 a
Dans ce cœur penché│ vers son jeune avenir 5+6 a
Votre nom tinta│ prophète souvenir, 5+6 a
65 Et j’ai répondu│ de ma voix toute pleine 5+6 a
Au souffle embaumé│ de votre errante haleine. 5+6 a
Vers vos nids chantants│ laissez la donc aller ; 5+6 a
L’enfant sait déjà│ qu’ils naissent pour voler. 5+6 a
Déjà son esprit,│ prenant goût au silence, 5+6 a
70 Monte où sans appui│ l’alouette s’élance, 5+6 a
Et s’isole, et nage│ au fond du lac d’azur 5+6 a
Et puis redescend│ le gosier plein d’air pur. 5+6 a
Que de l’oiseau gris│ l’hymne haute et pieuse 5+6 a
Rende à tout jamais│ son âme harmonieuse !… 5+6 a
75 Que vos ruisseaux clairs│ dont les bruits m’ont parlé, 5+6 a
Humectent sa voix│ d’un long rhythme perlé !… 5+6 a
Avant de gagner│ sa couche de fougère, 5+6 a
Laissez-la courir,│ curieuse et légère, 5+6 a
Au bois où la lune│ épanche ses lueurs 5+6 a
80 Dans l’arbre qui tremble│ inondé de ses pleurs. 5+6 a
Afin qu’en dormant│ sous vos images vertes 5+6 a
Ses grâces d’enfant│ en soient toutes couvertes. 5+6 a
Des rideaux mouvants│ la chaste profondeur 5+6 a
Maintiendra l’air pur│ alentour de son cœur, 5+6 a
85 Et, s’il n’est plus là│ pour jouer avec elle. 5+6 a
De jeune Albertine│ à sa trace fidèle, 5+6 a
Vis-à-vis les fleurs│ qu’un rien fait tressaillir 5+6 a
Elle ira danser,│ sans jamais les cueillir, 5+6 a
Croyant que les fleurs│ ont aussi leurs familles. 5+6 a
90 Et savent pleurer│ comme les jeunes filles. 5+6 a
Sans piquer son front│ vos abeilles, là-bas. 5+6 a
L’instruiront, rêveuse,│ à mesurer ses pas ; 5+6 a
Car l’insecte armé│ d’une sourde cymbale 5+6 a
Donne à la pensée│ une césure égale. 5+6 a
95 Ainsi s’en ira,│ calme et libre et content, 5+6 a
Ce filet d’eau vive│ au bonheur qui t'attend ; 5+6 a
Et d’un chêne creux│ la Madone oubliée 5+6 a
La regardera│ dans l’herbe agenouillée. 5+6 a
Quand je la berçais,│ doux poids de mes genoux ! 5+6 a
100 Mon chant, mes baisers,│ tout lui parlait de vous, 5+6 a
Ô champs paternels,│ hérissés de charmilles 5+6 a
Où glissent, le soir,│ des flots de jeunes filles. 5+6 a
Que ma fille monte│ à vos flancs ronds et verts, 5+6 a
Et soyez béni,│ doux point de l’Univers ! 5+6 a
mètre profil métrique : 5+6
forme globale type : suite périodique
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