Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_4/DES391
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
FAMILLE
À MON FILS
APRÈS L’AVOIR CONDUIT AU COLLÈGE
Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même. 6+6 a
Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime, 6+6 a
Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or, 6+6 b
Où le ciel est en nous sans un nuage encor ; 6+6 b
5 Son enfant ! dont la voix nouvelle et reconnue, 6+6 a
Nous dit : « Je suis ta voix frchement revenue. » 6+6 a
Son enfant ! Ce portrait, cette âme, cette voix, 6+6 b
Qui passe devant nous comme on fut une fois ; 6+6 b
Quand on pense qu’il faut s’en détacher vivante. 6+6 a
10 Lui choisir une cage inconnue et savante. 6+6 a
Le conduire à la porte et dire : « Le voilà ! 6+6 b
Prenez, moi je m’en vais… » — C’est Dieu qui veut cela ! 6+6 b
Croyez-vous ? Dieu veut donc que noyée en ma peine 6+6 a
Comme cette Madone assise à la fontaine, 6+6 a
15 Cachée en un vieux saule aux longs cheveux mouillés, 6+6 b
Ne pouvant plus mouvoir mes pieds las et souillés, 6+6 b
Je pleure, et d’un sanglot croyant troubler le monde. 6+6 a
J’appelle mon enfant pour que Dieu me réponde ! 6+6 a
Mais la porte est dé fermée à mon malheur, 6+6 b
20 Et tout dit à la femme : « Allez à la douleur ! » 6+6 b
J’y vais. Je n’ai rien dit, j’ai salué les maîtres ; 6+6 a
De la grande maison j’ai compté les fenêtres, 6+6 a
Parcouru le jardin sans verdure, sans fleurs. 6+6 b
Oui, c’est bien vrai, l’hiver est la saison des pleurs. 6+6 b
25 Les miens n’ont pas cou de mon cœur gros d’alarme ; 6+6 a
J’ai vu partir mon fils sans verser une larme. 6+6 a
Il pâlissait, le pauvre, en me voyant partir ! 6+6 b
Je souriais pourtant, j’essayais de mentir. 6+6 b
Dieu ! folle d’un chagrin que rien ne peut décrire, 6+6 a
30 Pour endurcir son cœur j’essayais de sourire ! 6+6 a
Mais aux frissons épars dans mes membres tremblants. 6+6 b
J’ai senti que j’aurai bientôt des cheveux blancs. 6+6 b
Va ! je les aimerai. J’aimais ceux de ma mère. 6+6 a
Jeune encore, ils disaient son lot tendre et sévère. 6+6 a
35 Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours 6+6 b
Sans savoir que ce fût le livre de ses jours. 6+6 b
Tu baiseras les miens si l’amour me les donne. 6+6 a
Si tu sais où j’ai pris cette grave couronne, 6+6 a
Quand tu vivrais cent ans tu t’en ressouviendras, 6+6 b
40 Et par delà mes jours, toi, tu les béniras. 6+6 b
L’avait-il pressenti quand furtif, hors d’haleine, 6+6 a
Comme un agneau cherchant sa mère dans la plaine, 6+6 a
Il franchit sans frayeur un vieux mur entr’ouvert 6+6 b
Et bondit, pour m’atteindre, au sentier découvert, 6+6 b
45 (Tandis que le collège assoupi dans l’étude 6+6 a
L’avait laissé se battre avec la solitude) 6+6 a
Quand ses bras étendus revolèrent vers moi, 6+6 b
Et qu’il cria : « Je veux m’en aller avec toi ! » 6+6 b
Mais à peine arri jusqu’à l’eau du rivage, 6+6 a
50 Qu’ils sont vite accourus l’ôter à mon courage ! 6+6 a
Car ils m’ont dit : «Courage ! » en m’arrachant sa main. 6+6 b
Et, sans savoir par où, j’ai repris mon chemin. 6+6 b
Quand on dira toujours que je suis trop heureuse ; 6+6 a
Qu’il aura de l’esprit ; que l’école est nombreuse ; 6+6 a
55 Que les enfants sont fiers d’y grandir loin de nous ; 6+6 b
Que je devrais bénir mon sort à deux genoux ;… 6+6 b
Ah ! j’y suis, à genoux, car l’angoisse est divine, 6+6 a
Et femme, je murmure, et mère, je m’incline. 6+6 a
Hélas, pour être mère on promet d’obéir, 6+6 b
60 Et mère on n’obéit qu’au risque de mourir ! 6+6 b
Vous, du moins, Vierge blanche, immobile et soumise, 6+6 a
Et seule, au bord de l'Eau pensivement assise, 6+6 a
Les mains sur votre cœur, et vos yeux sur mes yeux, 6+6 b
Parlez-moi, Vierge mère, oui ! parlez-moi des cieux ! 6+6 b
65 Parlez ! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme : 6+6 a
Vous en avez pitié puisque vous êtes femme. 6+6 a
Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu, 6+6 b
Ce fut le vôtre ; eh bien, parlez-en donc à Dieu ! 6+6 b
Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères, 6+6 a
70 Cachez dans vos pardons mes révoltes amères ; 6+6 a
Couvrez-moi de silence, et relevez mon front 6+6 b
Baissé sous le chagrin comme sous un affront. 6+6 b
Voilà ce qui s’est fait par un jour de Décembre, 6+6 a
Mois sans soleil. Voi ce que dans cette chambre 6+6 a
75 Où je n’entends gronder et gémir que mon cœur. 6+6 b
Devant l’heure qui vient et passe avec lenteur, 6+6 b
Je retrace de lui pour m’aider à l’attendre. 6+6 a
Jusqu’au jour, jour de vie ! où je pourrai t'entendre. 6+6 a
Devant mon jeune maître alors je me tairai : 6+6 b
80 Il parlera… mais moi, je le regarderai ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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