Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_4/DES390
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
FAMILLE
À MON FILS
AVANT LE COLLÈGE
Un soir, l’âtre éclairait notre maison fermée, 6+6 a
Par le travail et toi doucement animée. 6+6 a
Ton aïeul tout rêveur te prit sur ses genoux, 6+6 b
(Il n’a jamais sommeil pour veiller avec nous) 6+6 b
5 Il parla le premier de départ, de collège, 6+6 a
De travaux, de la gloire aussi qui les allège, 6+6 a
Content d’avoir été, jeune un jour comme toi, 6+6 b
Emmené par sa mère… il le disait pour moi… 6+6 b
Puis traçant des tableaux pour étendre ta vue, 6+6 a
10 De nouveaux horizons découvrant l’étendue, 6+6 a
Il dit que, si petit qu’il fût, par le chemin. 6+6 b
Il soutenait sa mère et lui tenait la main. 6+6 b
Il raconta comment cette femme prudente 6+6 a
L’avait porté loin d’elle en sa tendresse ardente. 6+6 a
15 Ses yeux étaient mouillés me fixant en dessous… 6+6 b
De ce poignant effort je l’aime et je l’absous ! 6+6 b
Sur quoi, me voyant coudre un manteau de voyage, 6+6 a
Il m’embrassa deux fois pour louer mon courage, 6+6 a
Et toi, voyant qu’à tout je n’opposais plus rien, 6+6 b
20 Tu répondis : « Allons, mère, je le veux bien ! » 6+6 b
Oui, l’enfant veut toujours aller, perçant l’espace, 6+6 a
Tourner autour du monde et voir ce qui s’y passe. 6+6 a
Oui, son âme est l’oiseau qui n’a point de séjour. 6+6 b
Et qui vole partout où Dieu répand le jour. 6+6 b
25 Dès ce moment j’appris que j’avais fait un rêve, 6+6 a
Que tout nous dit adieu, que tout bonheur s’achève, 6+6 a
Et je devins confuse en pesant mon devoir. 6+6 b
L’ai-je rempli ? Mon père était là pour le voir. 6+6 b
Le lendemain déjà dépassant la charmille 6+6 a
30 Et dérobant une âme au nid de la famille. 6+6 a
Quand nos pigeons rangés nous regardaient partir, 6+6 b
Trois fois prompte à rentrer, trois fois lente à sortir, 6+6 b
Comme celle qui croit oublier quelque chose. 6+6 a
Je ne pouvais sur toi tirer la porte close ; 6+6 a
35 Et le guide appelait : ah ! je l’entendais bien. 6+6 b
Mais j’oubliais toujours qu’il ne manquait plus rien. 6+6 b
Et toi, dont toute l’âme éclatait sans culture. 6+6 a
Partout où s’arrêtait notre lourde voiture, 6+6 a
Cher petit protecteur de mon rude chemin, 6+6 b
40 Tu descendais devant pour me donner la main. 6+6 b
On souriait de voir, empressé comme un page, 6+6 a
Un enfant si soumis, si diligent, si sage ; 6+6 a
Et je disais en moi, triste comme aujourd’hui : 6+6 b
« Jamais je ne pourrai m’en revenir sans lui ! » 6+6 b
45 Nous qui portons les fruits sur la terre où nous sommes, 6+6 a
Si fortes pour aimer, nous, faibles sœurs des hommes, 6+6 a
Ô mères, pourquoi donc les mettons-nous au jour. 6+6 b
Ces tendres fruits volés à notre ardent amour ? 6+6 b
À peine ils sont à nous qu’on veut nous les reprendre. 6+6 a
50 Ô mères, savez-vous ce qu’on va leur apprendre ? 6+6 a
À trembler sous un maître, à n’oser, par devoir, 6+6 b
Qu’une fois tous les ans demander à nous voir ; 6+6 b
À détourner de nous leurs mémoires légères. 6+6 a
Alors que sauront-ils ? Les langues étrangères, 6+6 a
55 Les vains soulèvements des peuples malheureux. 6+6 b
Et les fléaux humains toujours armés contre eux. 6+6 b
C’est donc beau ? Mais le temps saurait les en instruire. 6+6 a
Candeur de mon enfant, on va bien vous détruire ! 6+6 a
Quand je le reverrai, mon fils sera savant ; 6+6 b
60 Il parlera latin ! Hélas, mon pauvre enfant. 6+6 b
Moi, je n’oserai plus peigner ta tête blonde. 6+6 a
Tu parleras latin ! Ta science profonde 6+6 a
Ne pouvant avec moi suivre un long entretien, 6+6 b
Tu diras tout surpris : « Ma mère ne sait rien ! » 6+6 b
65 Eh ! que veux-tu : l’amour n’en sait pas davantage ; 6+6 a
Ce maître conduit tout sans faire un grand tapage. 6+6 a
Il va ! Tant que mes pieds pouvaient porter mes jours, 6+6 b
J’allais chercher partout, pour t’en combler toujours, 6+6 b
Les fruits qui font bondir ta jeune fantaisie, 6+6 a
70 C’est notre étude à nous, c’est notre poésie. 6+6 a
Et je versais aussi quelques graves leçons 6+6 b
À ton doux cœur bercé par mes douces chansons. 6+6 b
N’était-ce pas assez pour nourrir ton jeune âge ? 6+6 a
Car tu n’as pas huit ans, chère âme ! Et c’est dommage, 6+6 a
75 Oui, je le dis dommage, et frayeur, et danger. 6+6 b
D’ouvrir tant de secrets à ton âge léger. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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