Métrique en Ligne
DES_4/DES383
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
FAMILLE
UNE RUELLE DE FLANDRE
À Madame DESLOGE, née LEURS.
Dans l’enclos d’un jardin gardé par l’innocence 6+6 a
J’ai vu naître vos fleurs avant votre naissance. 6+6 a
Beau jardin, si rempli d’œillets et de lilas 6+6 b
Que de le regarder on n’était jamais las. 6+6 b
5 En me haussant au mur dans les bras de mon frère, 6+6 a
Que de fois j’ai passé mes bras par la barrière 6+6 a
Pour atteindre un rameau de ces calmes séjours 6+6 b
Qui souple s’avançait et s’enfuyait toujours ! 6+6 b
Que de fois, suspendus aux frêles palissades 6+6 a
10 Nous avons savouré leurs molles embrassades, 6+6 a
Quand nous allions chercher pour le repas du soir 6+6 b
Notre lait à la cense, et longtemps nous asseoir 6+6 b
Sous ces rideaux mouvants qui bordaient la ruelle ! 6+6 a
Hélas ! qu’aux plaisirs purs la mémoire est fidèle ! 6+6 a
15 Errants dans les parfums de tous ces arbres verts. 6+6 b
Plongeant nos fronts hardis sous leurs flancs entr’ouverts, 6+6 b
Nous faisions les doux yeux aux roses embaumées 6+6 a
Qui nous le rendaient bien, contentes d’être aimées ! 6+6 a
Nos longs chuchotements entendus sans nous voir, 6+6 b
20 Nos rires étouffés pleins d’audace et d’espoir 6+6 b
Attirèrent un jour le père de famille 6+6 a
Dont l’aspect, tout d’un coup, surmonta la charmille, 6+6 a
Tandis qu’un tronc noueux me barrant le chemin 6+6 b
M’arrêta par la manche et fit saigner ma main. 6+6 b
25 Votre père eut pitié… C’était bien votre père ! 6+6 a
On l’eût pris pour un roi dans la saison prospère. 6+6 a
Et nous ne partions pas à sa voix sans courroux : 6+6 b
Il nous chassait en vain, l’accent était si doux 6+6 b
En écoutant souffler nos rapides haleines, 6+6 a
30 En voyant nos yeux clairs comme l’eau des fontaines, 6+6 a
Il nous jeta des fleurs pour hâter notre essor, 6+6 b
Et nous d’oser crier : « Nous reviendrons encor ! » 6+6 b
Quand on lavait du seuil la pierre large et lisse 6+6 a
Où dans nos jeux flamands l’osselet roule et glisse, 6+6 a
35 En rond silencieux, penchés sur leurs genoux, 6+6 b
D’autres enfants jouaient enhardis comme nous ; 6+6 b
Puis, poussant à la fois leurs grands cris de cigales 6+6 a
Ils jetaient pour adieux des clameurs sans égales, 6+6 a
Si bien qu’apparaissant tout rouges de courroux, 6+6 b
40 De vieux fâchés criaient : « Serpents ! vous tairez-vous ! » 6+6 b
Quelle peur !… Jamais plus n’irai-je à cette porte 6+6 a
Où je ne sais quel vent par force me remporte ! 6+6 a
Quoi donc ! Quoi, jamais plus ne voudra-t-il de moi 6+6 b
Ce pays qui m’appelle et qui s’enfuit ?… Pourquoi ! 6+6 b
45 Alors les blonds essaims de jeunes Albertines 6+6 a
Qui hantent dans l’été nos fermes citadines 6+6 a
Venaient tourner leur danse et cadencer leurs pas 6+6 b
Devant le beau jardin qui ne se fermait pas. 6+6 b
C’était la seule porte incessamment ouverte, 6+6 a
50 Inondant le pavé d’ombre ou de clarté verte, 6+6 a
Selon que du soleil les rayons ruisselants 6+6 b
Passaient ou s’arrêtaient aux feuillages tremblants. 6+6 b
On eût dit qu’invisible une indulgente fée 6+6 a
Dilatait d’un soupir la ruelle étouffée, 6+6 a
55 Quand les autres jardins enfermés de hauts murs 6+6 b
Gardaient sous les verroux leur ombre et leurs fruits mûrs. 6+6 b
Tant pis pour le passant ! À moins qu’en cette allée, 6+6 a
Élevant vers le ciel sa tête échevelée, 6+6 a
Quelque arbre, de l’enclos habitant curieux. 6+6 b
60 Ne franchît son rempart d’un front libre et joyeux. 6+6 b
On ne saura jamais les milliers d’hirondelles 6+6 a
Revenant sous nos toits chercher à tire d’ailes 6+6 a
Les coins, les nids, les fleurs et le feu de l’été, 6+6 b
Apportant en échange un goût de liberté. 6+6 b
65 Entendra qui pourra sans songer aux voyages 6+6 a
Ce qui faisait frémir nos ailes sans plumages, 6+6 a
Ces fanfares dans l’air, ces rendez-vous épars 6+6 b
Qui s’appelaient au loin : « Venez-vous ? Moi, je pars ! » 6+6 b
C’est là que votre vie ayant été semée, 6+6 a
70 Vous alliez apparaître et charmante et charmée ; 6+6 a
C’est là que préparée à d’innocents liens. 6+6 b
J’accourais… Regardez comme je m’en souviens ! 6+6 b
Et les petits voisins amoureux d’ombre fraîche 6+6 a
N’eurent pas sitôt vu, comme au fond d’une crèche. 6+6 a
75 Un enfant rose et nud plus beau qu’un autre enfant 6+6 b
Qu’ils se dirent entre eux : « Est-ce un Jésus vivant ? » 6+6 b
C’était vous ! D’aucuns nœuds vos mains n’étaient liées ; 6+6 a
Vos petits pieds dormaient sur les branches pliées ; 6+6 a
Toute libre dans l’air où coulait le soleil 6+6 b
80 Un rameau sous le ciel berçait votre sommeil ; 6+6 b
Puis, le soir, on voyait d’une femme étoilée 6+6 a
L’abondante mamelle à vos lèvres collée, 6+6 a
Et partout se lisait dans ce tableau charmant 6+6 b
De vos jours couronnés le doux pressentiment. 6+6 b
85 De parfums, d’air sonore incessamment baisée. 6+6 a
Comment n’auriez-vous pas été poétisée ? 6+6 a
Que l’on s’étonne donc de votre amour des fleurs ! 6+6 b
Vos moindres souvenirs nagent dans leurs couleurs. 6+6 b
Vous en viviez, c’était vos rimes et vos proses : 6+6 a
90 Nul enfant n’a jamais marché sur tant de roses ! 6+6 a
Mon Dieu ! S’il n’en doit plus poindre au bord de mes jours, 6+6 b
Que sur ma sœur de Flandre il en pleuve toujours ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 46((aa))
logo du CRISCO logo de l'université