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DES_4/DES382
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
FAMILLE
UN RUISSEAU DE LA SCARPE
Oui, j’avais des trésors… j’en ai plein ma mémoire. 6+6 a
J’ai des banquets rêvés où l’orphelin va boire. 6+6 a
Oh ! quel enfant des bleds, le long des chemins verts, 6+6 b
N’a, dans ses jeux errants, possédé l’univers ? 6+6 b
5 Emmenez-moi, chemins !…Mais non, ce n’est plus l’heure, 6+6 a
Il faudrait revenir en courant où l’on pleure, 6+6 a
Sans avoir regardé jusqu’au fond le ruisseau 6+6 b
Dont la vague mouilla l’osier de mon berceau. 6+6 b
Il courait vers la Scarpe en traversant nos rues 6+6 a
10 Qu’épurait la fraîcheur de ses ondes accrues ; 6+6 a
Et l’enfance aux longs cris saluait son retour 6+6 b
Qui faisait déborder tous les puits d’alentour. 6+6 b
Écoliers de ce temps, troupe alerte et bruyante, 6+6 a
Où sont-ils vos présents jetés à l’eau fuyante ? 6+6 a
15 Le livre ouvert, parfois vos souliers pour vaisseaux, 6+6 b
Et vos petits jardins de mousse et d’arbrisseaux ? 6+6 b
Air natal ! aliment de saveur sans seconde, 6+6 a
Qui nourris tes enfants et les baise à la ronde ; 6+6 a
Air natal imprégné des souffles de nos champs, 6+6 b
20 Qui fais les cœurs pareils et pareils les penchants ! 6+6 b
Et la longue innocence, et le joyeux sourire 6+6 a
Des nôtres, qui n’ont pas de plus beau livre à lire 6+6 a
Que leur visage ouvert et leurs grands yeux d’azur, 6+6 b
Et leur timbre profond d’où sort l’entretien sûr ! 6+6 b
25 Depuis que j’ai quitté tes haleines bénies. 6+6 a
Tes familles aux mains facilement unies. 6+6 a
Je ne sais quoi d’amer à mon pain s’est mêlé. 6+6 b
Et partout sur mon jour une larme a tremblé. 6+6 b
Et je n’ai plus osé vivre à poitrine pleine 6+6 a
30 Ni respirer tout l’air qu’il faut à mon haleine. 6+6 a
On eût dit qu’un témoin s’y serait opposé… 6+6 b
Vivre pour vivre, oh non ! je ne l’ai plus osé ! 6+6 b
Non, le cher souvenir n’est qu’un cri de souffrance ! 6+6 a
Viens donc, toi, dont le cours peut traverser la France ; 6+6 a
35 À ta molle clarté je livrerai mon front, 6+6 b
Et dans tes flots du moins mes larmes se perdront. 6+6 b
Viens ranimer le cœur séché de nostalgie, 6+6 a
Le prendre, et l’inonder d’une fraîche énergie. 6+6 a
En sortant d’abreuver l’herbe de nos guérets, 6+6 b
40 Viens, ne fût-ce qu’une heure, abreuver mes regrets ! 6+6 b
Amène avec ton bruit une de nos abeilles 6+6 a
Dont l’essaim, quoique absent, bourdonne en mes oreilles, 6+6 a
Elle en parle toujours ! diront-ils… Mais, mon Dieu, 6+6 b
Jeune, on a tant aimé ces parcelles de feu ! 6+6 b
45 Ces gouttes de soleil dans notre azur qui brille. 6+6 a
Dansant sur le tableau lointain de la famille, 6+6 a
Visiteuses des bleds où logent tant de fleurs. 6+6 b
Miel qui vole émané des célestes chaleurs ! 6+6 b
J’en ai tant vu passer dans l’enclos de mon père 6+6 a
50 Qu’il en fourmille au fond de tout ce que j’espère ; 6+6 a
Sur toi dont l’eau rapide a délecté mes jours. 6+6 b
Et m’a fait cette voix qui soupire toujours. 6+6 b
Dans ce poignant amour que je m’efforce à rendre, 6+6 a
Dont j’ai souffert longtemps avant de le comprendre, 6+6 a
55 Comme d’un pâle enfant on berce le souci, 6+6 b
Ruisseau, tu me rendrais ce qui me manque ici. 6+6 b
Ton bruit sourd, se mêlant au rouet de ma mère, 6+6 a
Enlevant à son cœur quelque pensée amère, 6+6 a
Quand pour nous le donner elle cherchait là-bas 6+6 b
60 Un bonheur attardé qui ne revenait pas. 6+6 b
Cette mère, à ta rive elle est assise encore ; 6+6 a
La voilà qui me parle, ô mémoire sonore ! 6+6 a
Ô mes palais natals qu’on m’a fermés souvent ! 6+6 b
La voilà qui les rouvre à son heureux enfant ! 6+6 b
65 Je ressaisis sa robe, et ses mains, et son âme ! 6+6 a
Sur ma lèvre entr’ouverte elle répand sa flamme ! 6+6 a
Non ! par tout l’or du monde on ne me paîrait pas 6+6 b
Ce souffle, ce ruisseau qui font trembler mes pas ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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