Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_3/DES313
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
LE SOLEIL DES MORTS
Lune ! blanche figure | assise à l'horizon, 6+6 a
Que viens-tu regarder | au fond de ma maison ? 6+6 a
Remets-tu chaque soir | avec tant de mystère, 6+6 b
Une lampe à ton front | pour espionner la terre ? 6+6 b
5 Et quand tu rentreras, | lasse, au bout du chemin, 6+6 a
Aux anges rassemblés | que diras-tu demain, 6+6 a
Curieuse ! ou plutôt, | sentinelle sans armes, 6+6 b
De ce monde assoupi | viens-tu pomper les larmes ; 6+6 b
Puis, les portant au juge | à qui tu peux parler, 6+6 a
10 Dis-tu qui les répand | et qui les fait couler ? 6+6 a
Es-tu femme ? et là haut | du passé poursuivie, 6+6 b
Oses-tu, sans soleil, | redescendre la vie, 6+6 b
Pour effacer ton nom | par quelque honte écrit 6+6 a
Au livre d'un méchant | qui le relit, et rit ! 6+6 a
15 Mais le mal accompli, | dis-moi si rien l'efface, 6+6 b
Ou si l'éternité | l'emporte à sa surface ? 6+6 b
Le sais-tu, toi si triste | et si grave souvent, 6+6 a
Quand tu cours à travers | le nuage et le vent ? 6+6 a
Quand tu baignes, la nuit, | ton disque solitaire, 6+6 b
20 Dans un lac, présageant | tant de pluie à la terre ? 6+6 b
Quant aux vitraux d'église, | où l'on entend des voix, 6+6 a
Tu passes tes longs fils | pour étreindre la croix ? 6+6 a
Quand tu trembles dans l'eau, | miroir de la vallée, 6+6 b
Quand tu blanchis des bois | la tête échevelée : 6+6 b
25 Si tu le sais, alors | sois douce aux yeux craintifs 6+6 a
Et prolonges sur eux | tes rayons attentifs. 6+6 a
Dans nos chambres, vois-tu ; | la fiévreuse insomnie, 6+6 b
Sur beaucoup d'oreillers | se penche en ennemie, 6+6 b
Elle entre, et bien des yeux | qui paraissent fermés, 6+6 a
30 Sont par des pleurs sans bruit | ouverts et consumés. 6+6 a
Oh ! si tu n'étais, toi, | qu'un beau front de Madone, 6+6 b
Saintement inondé | de l'amour qui pardonne ! 6+6 b
Oh ! si Dieu le voulait | que tes tendres clartés, 6+6 a
Soient des pardons promis | aux pauvres visités ! 6+6 a
35 N'as-tu pas pour cortège | un flot déjeunes âmes, 6+6 b
Mêlant à tes lueurs | leur vacillantes flammes ? 6+6 b
Dis donc à ces enfants | envolés loin de nous, 6+6 a
De venir embrasser | leurs mères à genoux : 6+6 a
Lune ! il en est plus d'un | qui doit me reconnaître, 6+6 b
40 S'il me regarde ainsi | penchée à ma fenêtre ; 6+6 b
Qui m'apparut à moi, | beau, sans ailes encor, 6+6 a
Et qui m'a brisé l'âme | en reprenant l'essor. 6+6 a
Nous avons mis leurs noms | sous des touffes de roses ; 6+6 b
De tes pâles fraîcheurs, | ô toi qui les arroses, 6+6 b
45 Qui plus forte que nous | visites leur sommeil, 6+6 a
Lune ! merci, je t'aime | autant que le soleil ! 6+6 a
Merci ! toi qui descends | des divines montagnes, 6+6 b
Pour éclairer nos morts | épars dans les campagnes, 6+6 b
Dans leur étroit jardin | qui viens les regarder. 6+6 a
50 Et contre l'oubli froid | tu sembles les garder : 6+6 a
Je me souviens aussi | devant ton front qui brille, 6+6 b
Douce lampe des morts | qui luis sur ma famille ; 6+6 b
Au bout de tes rayons | promenés sur nos fleurs, 6+6 a
Comme un encens amer | prends un peu de mes pleurs : 6+6 a
55 Nul soleil n'a séché | ce sanglot de mon âme, 6+6 b
Et tu peux le mêlant | à ton humide flamme, 6+6 b
L'épancher sur le cœur | de mon père endormi, 6+6 a
Lui, qui fût mon premier | et mon plus tendre ami ! 6+6 a
Quel charmé dépenser | ente voyant si pure 6+6 b
60 Et cheminant sans bruit | à travers la nature, 6+6 b
Que chaque doux sépulcre | où je ne peux errer, 6+6 a
En m'éclairant aussi | tu vas les éclairer ! 6+6 a
À ma bouche confuse | enlève une parole, 6+6 b
Pour la sanctifier | dans ta chaste auréole ; 6+6 b
65 Et de ta haute Église, | alors, fais la tomber 6+6 a
Loin, par delà les mers, | où j'ai vu se courber 6+6 a
Ma tige maternelle | enlacée à ma vie, 6+6 b
Puis, mourir sur le sable | où je l'avais suivie, 6+6 b
Son sommeil tourmenté | par les flots et le vent, 6+6 a
70 Ne tressaille jamais | au pas de son enfant ; 6+6 a
Jamais je n'ai plié | mes genoux sur ma mère ; 6+6 b
Ce doux poids balancé | dans une vague amère, 6+6 b
Lune ! il m'est refusé | de l'embrasser encor : 6+6 a
Porte-lui donc mon âme | avec ton baiser d'or ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université