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| = césure
DES_3/DES304
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
AU POÈTE PROLÉTAIRE
LE BRETON
Vous, que j'ai vu passer dans l'été de votre âge, 6+6 a
Portant vos jours avec un digne et haut courage, 6+6 a
Excitant de vos bras les débiles ressorts, 6+6 a
Chanter sous la sueur des paternels efforts ; 6+6 a
5 Vous, que j'ai vu sublime et renfermant vos ailes, 6+6 a
Vous résigner au sol, pareil aux hirondelles, 6+6 a
Qui, pour nourrir leurs nids, percent les durs sillons, 6+6 a
Et partagent le grain de milliers d'oisillons : 6+6 a
« Pourquoi vous ai-je vu tout-à-coup triste et pâle, 6+6 a
10 Couvrir de vos deux mains vos traits brûlés de hâle, 6+6 a
Tel qu'un homme hâ s'arrête de courir, 6+6 a
Et dit en lui : C'est vrai, pourtant, il faut mourir ! 6+6 a
Puis qui reprend sa route avec la tête basse, 6+6 a
Comme si d'un fardeau son épaule était lasse ? 6+6 a
15 Ah C'est que des points noirs troublent un ciel vermeil, 6+6 a
Quand nos yeux éblouis ont vu trop de soleil. 6+6 a
C'est qu'on n'a pas encore, à chaque âme qui tombe, 6+6 a
Aplani le chemin du baptême à la tombe ; 6+6 a
C'est qu'à cette âme en pleurs de sa chute du ciel, 6+6 a
20 On refuse dé le froment et le sel ; 6+6 a
C'est qu'il ne passe pas franc, de port sur la terre, 6+6 a
Ce problème, scellé d'espoir et de mystère ; 6+6 a
C'est que Ton ne veut pas, même an prix de travail, 6+6 a
Laisser l'herbe au troupeau sans pâtre et sans bercail. 6+6 a
25 Le travail ! le travail, et le pain sans aumône, 6+6 a
Dieu l'a semé pour-tous : on nous-prend ce qu'il donne. 6+6 a
Hélas ! hélas ! ma mère a pleuré pour du pain ! 6+6 a
Hélas ! j'ai vu mourir de froidure et de faim ! 6+6 a
Hélas ! quand la faim gronde au cœur d'une famille, 6+6 a
30 Quand la mère au foyer voit chanceler sa fille, 6+6 a
Quand tout y devient froid, jusqu'aux pleurs de leurs yeux, 6+6 a
Qu'elles n'ont plus de voix pour l'élever aux cieux ; 6+6 a
Quand les petits enfans, bégayant leurs prières, 6+6 a
Alors qu'un doigt de plomb pèse sur leurs paupières, 6+6 a
35 Tâchent de dire encore à leur ange gardien : 6+6 a
« Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ! » 6+6 a
Mon frère, n'est-ce pas que la mère est sublime, 6+6 a
Si ses flancs déchirés n'enfantent pas un crime ; 6+6 a
Si F air ne bondit pas des sanglots du tocsin, 6+6 a
40 Que son remords alors ne peut plus interrompre ; 6+6 b
Et si comme une épée, ils frappent à le rompre 6+6 b
Les fibres tendus de son sein ! 8 a
Mais, vous savez aussi comment la pitié vole, 6+6 a
Et suspend la révolte, et s'empresse au secours ; 6+6 b
45 Et comment, jusqu'au cœur, sa limpide parole 6+6 a
Infiltre l'eau divine avec les saints discours. 6+6 b
Moi, je sais qu'elle a dit au lit de mon aïeule : 6+6 a
« Femme, ne mourez pas : levez-vous, me voici ! » 6+6 b
Et plus tendre, et plus bas, pour le dire à moi seule : 6+6 a
50 « Toi qui devais donner, pauvre ange, prends aussi. » 6+6 b
C'était… oh ! c'était vous, mon Dieu ! j'y crois encore. 6+6 a
Oui, frère, c'était Dieu, ce Père que j'adore, 6+6 a
Ce Roi, que son enfant n'appelle pas en vain ; 6+6 a
Dont le sang a cou dans ma soif et ma faim ! 6+6 a
55 Ainsi vous avez beau chanter, père et poète, 6+6 a
Beau mesurer votre âme et relever la tète, 6+6 a
Beau crier, plein d'haleine : À moi la vie ! à moi ! 6+6 a
La terre est toute à l'homme, et l'homme en est le roi ; 6+6 a
Vous sentez par secousse une chaîne inconnue, 6+6 a
60 Dans la prison de chair où votre âme est venue. 6+6 a
Vous ayez beau prétendre à vos trésors épars ; 6+6 a
Vos trésors envahis glissent de toutes parts. 6+6 a
Dans la foulede rois où vous perdez votre ange, 6+6 a
Il ne vous reste rien qu'une fatigue étrange, 6+6 a
65 Une langueur de vivre, une soif de sommeil, 6+6 a
Et toujours la misère assidue an réveil ; 6+6 a
La misère au milieu du grand Éden ! méchante 6+6 a
Au passereau qui vole, au rossignol qui chante, 6+6 a
À la fleur qui veut naître et qui n'ose éclater, 6+6 a
70 Au germe qui veut vivre et ne peut palpiter ; 6+6 a
L'âpre misère enfin, cette bise inflexible, 6+6 a
Qui détruit lentement ce que Dieu fit sensible ; 6+6 a
Dont le pâle baiser gèle l'arbre et le fruit ; 6+6 a
Elle pousse ma porte, où s'élève sans bruit 6+6 a
75 La prière toujours allumant son sourire, 6+6 a
Quand l'ange gardien passe et m'aide à la mieux dire. 6+6 a
Moi, j'ai toujours au cœur le répit d'un tourment, 6+6 a
Quand ma pensée à Dieu s'envole librement ! 6+6 a
Allez ! je vous devine, et j'ai ma soif déçue, 6+6 a
80 Ma douce royau vainement aperçue ; 6+6 a
J'ai mes chants commencés qui s'écoulent en pleurs ; 6+6 a
Mes épines au front que je croyais des fleurs ! 6+6 a
L'amour m'a fait présent d'une tendresse amère, 6+6 a
Du doux remords d'aimer et d'oser être mère. 6+6 a
85 En regardant pâlir des fronts purs et charmans, 6+6 a
On a peur d'attirer sur eux ses châtimens ; 6+6 a
On a peur d'égarer une âme aux blanches ailes 6+6 a
Dans les sentiers souillés par tant d'âmes cruelles, 6+6 a
Ou de les voir nager dans les flots turbulens 6+6 a
90 Qui viennent d'épuiser nos bras vains et tremblans. 6+6 a
Ces beaux enfans, si fiers d'entrer dans nos orages, 6+6 a
Rêvant leurs horizons, leurs jardins, leurs ombrages, 6+6 a
Moi, quand je les vois rire à ce prisme trompeur, 6+6 a
Je veux rire, et je fonds en larmes dans mon cœur. 6+6 a
95 Et vous, n'avez-vous pas de ces pitiés profondes 6+6 a
Qui vous percent le sein, comme feraient les ondes 6+6 a
En creusant goutte à goutte un caillou ? Mille fois 6+6 a
J'ai voulu les instruire, et j'ai gardé ma voix. 6+6 a
Que fait la chèvre errante au rocher suspendue, 6+6 a
100 Qui rêve et se repent de sa route perdue ? 6+6 a
Ose-t-elle effrayer, penchés sur le torrent 6+6 a
Les chevreaux pris aux fleurs qu'emporte le courant. 6+6 a
Qu'irions-nous raconter à leurs jeunes oreilles ? 6+6 a
Que sert d'en soulever les couronnes vermeilles, 6+6 a
105 Dont il plaît au printemps d'assourdir leur raison ; 6+6 a
Ils ont le temps, pas vrai : tout vient dans sa saison. 6+6 a
Oh ! laissons-les aller sans gêner leur croissance ; 6+6 a
Oh ! dans leur vie à jour n'ont-ils pas l'innocence ? 6+6 a
Au pied d'un nid chantant parle-t-on d'oiseleur ? 6+6 a
110 Tournons-les au soleil et restons au malheur ! 6+6 a
Ou plutôt, suivons-les : quelle que soit la route, 6+6 a
Nous montons, j'en suis sûre et jamais je ne doute ; 6+6 a
J'épèle, comme vous, avec humilité, 6+6 a
Un mot qui contient tout, poète : éternité ! 6+6 a
115 De chaque jour tom mon épaule est légère ; 6+6 a
L'aile pousse et me tourne à ma nouvelle sphère : 6+6 a
À tous les biens ravis qui me disent adieu, 6+6 a
Je réponds doucement : va m'attendre chez Dieu ! 6+6 a
Qu'en ferais-je ; après tout, de ces biens que j'adore ? 6+6 a
120 Rien que les adorer ; rien que les perdre encore ! 6+6 a
J'attends. Pour ces trésors donnés, repris si tôt, 6+6 a
Mon cœur n'est pas éteint : il est monté plus haut ! 6+6 a
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