Métrique en Ligne
DES_3/DES297
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
PRIÈRE POUR MON AMIE
À NOTRE-DAME-DES-CHAMPS
Reine du pauvre, ouvrez ! Il est à votre porte 6+6 a
Une âme qui descend de quelque nid d'oiseau ; 6+6 b
Son corps a la faiblesse et le poids d'un roseau, 6+6 b
Son haleine est un chant que la brise vous porte 6+6 a
5 Le soir, quand pour bénir votre peuple adorant, 6+6 c
L'Angelus, tout ailé, sort de l'orgue pleurant. 6+6 c
L'orgue a semé partout quelque fragment sonore 6+6 a
De ce génie à part qui s'exhale et s'ignore ; 6+6 a
Vos poètes ont mis leurs vers les plus touchans 6+6 b
10 Sur ce clavier qui pleure et prie avec des chants ; 6+6 b
Et s'il était… pardon ! permis de croire aux fées, 6+6 a
À ces reines de l'air dans l'Orient rêvées, 6+6 a
On se prendrait, près d'elle, à croire parmi nous 6+6 b
Une fée en exil et souvent à genoux. 6+6 b
15 O reine ! relevez cette gloire timide 6+6 a
Qui traversa des cours l'atmosphère splendide, 6+6 a
Quand la belle fortune avait de son chemin 6+6 b
Fait le pavé facile, et lui tenait la main. 6+6 b
La fortune a tourné ; le temps vole ; son aile, 6+6 a
20 Qui poursuit tout bonheur de rancune éternelle, 6+6 a
De cette harmonieuse a fait pencher le front 6+6 b
Tout pâle, et l'a couvert d'un indigent affront. 6+6 b
Celle qu'on appelait la charmante, l'heureuse, 6+6 a
Monte à pieds déchirés sa cime rigoureuse. 6+6 a
25 Dans le travail obscur où s'éteignent ses yeux, 6+6 b
Qu'elle obtient chèrement ses ailes pour les deux ! 6+6 b
Que d'hymnes elle jette aux échos de la vie, 6+6 a
Pour un rayon du feu que sa tristesse envie ! 6+6 a
Que d'accords écoulés de ses doigts vigilans, 6+6 b
30 Pour les rares deniers à la payer si lents ! 6+6 b
Je sais, oh ! je sais bien qu'elle fut imprudente ; 6+6 a
Sa mère à la pitié la créa trop ardente ; 6+6 a
Le pauvre à sa richesse a beaucoup demandé, 6+6 b
Et tant qu'elle fut riche elle a tout accordé. 6+6 b
35 Voilà ce que je sais contre elle, ô Notre-Dame ! 6+6 a
Alors qu'elle n'eut plus rien à donner, belle âme, 6+6 a
En voyant tout s'enfuir, sa candeur soupira, 6+6 b
Et pour toute réponse au blâme, elle pleura ! 6+6 b
Je le confesse à vous, qui jugez sans colère ; 6+6 a
40 À qui l'oubli de soi n'a jamais su déplaire ; 6+6 a
Vous, pour qui les fronts nus sont les fronts les plus beaux, 6+6 b
Qui préférez la lampe à l'éclat des flambeaux, 6+6 b
Si la lampe qui s'use en un coin solitaire 6+6 a
Encourage au travail un pauvre de la terre : 6+6 a
45 Vous qui jugez surtout le pauvre avec amour, 6+6 b
Tournez-vous à sa lampe éteinte au point du jour. 6+6 b
Hélas ! elle n'a plus que ce rayon qui brille, 6+6 a
Pas de fils protecteur, pas de pieuse fille, 6+6 a
Qui, la venant étreindre et soutenant ses pas, 6+6 b
50 Lui dise : « Allons, ma mère ! allons, ne tombez pas. 6+6 b
Prenez mes mains, prenez tout l'enfant qui vous aime ; 6+6 a
Sous de plus jeunes traits, voyez, je suis vous-même. 6+6 a
Avancez comme à Dieu réchauffée à mes jours, 6+6 b
Je suis la lampe neuve où vous brûlez toujours ! » 6+6 b
55 Un enfant ! un enfant ! ô seule âme de l'âme ! 6+6 a
Palme pure attachée au malheur d'être femme ! 6+6 a
Éloquent défenseur de notre humilité ! 6+6 b
Fruit chaste et glorieux de la maternité, 6+6 b
Qui d'une, langue impie assainit la morsure, 6+6 a
60 Et de l'amour trahi ferme enfin la blessure ! 6+6 a
Image de Jésus qui se penche vers nous, 6+6 b
Pour relever sa mère humble et née à genoux ; 6+6 b
Dont la débile main, par la grâce étendue, 6+6 a
Rouvre parfois le ciel à la vierge perdue ; 6+6 a
65 Un enfant ! souffle d'ange épurant le remord ! 6+6 b
Refuge dans la vie, asile dans la mort ! » 6+6 b
De la foi des époux sentinelle sans armes ! 6+6 a
Rayonnement divin qui passe entre leurs larmes ! 6+6 a
Fleur du toit, qui ravive et retient le bonheur ! 6+6 b
70 Visible battement de deux cœurs dans un cœur ! 6+6 b
Elle n'a plus d'enfant. Sa tendresse est déserte ; 6+6 a
Plus un rameau qui rit, plus une plante verte, 6+6 a
Plus rien. Les seules fleurs qui s'ouvrent sous ses pas 6+6 b
Croissent où les vivans ne les dérobent pas, 6+6 b
75 Au grand jardin sans fruits jonché de nos couronnes, 6+6 a
Des débris de charrue et des débris de trônes ; 6+6 a
Où l'on entend dormir les peuples et les rois, 6+6 b
Tous rangés au pouvoir d'un seul sceptre : la croix ! 6+6 b
C'est là que sa langueur s'abrite agenouillée, 6+6 a
80 Cherchant son beau passé sous la terre mouillée ; 6+6 a
Là, qu'en un flux étrange et de peur et d'espoir, 6+6 b
Chaque marbre, en passant, lui murmure : Au revoir ! 6+6 b
Oui, c'est là qu'on entend, et que du sein des mousses, 6+6 a
Sous nos pieds frissonnans montent des plaintes douces. 6+6 a
85 C'est là que va l'oiseau, de l'aile et de la voix, 6+6 b
Frapper à cette porte où tout passe une fois. 6+6 b
Fidèle avec la mort et douce avec la vie, 6+6 a
L'infortuné la cherche et le méchant l'envie : 6+6 a
Vierge toute lumière et toute charité, 6+6 b
90 Quel cœur plus selon Dieu s'ouvre à votre clarté ? 6+6 b
On a fait ce récit aux reines de la terre 6+6 a
Mais leur oreille est prise à tant d'autres malheurs ; 6+6 b
Mais le trône est souvent chargé de tant de pleurs ; 6+6 b
Mais la pudeur se plaint avec tant de mystère ! 6+6 a
95 Plus large est le chemin qui monte à vos genoux, 6+6 c
Où votre charité vient au-devant de nous ; 6+6 c
Où de vos yeux ardens les payons et les charmes, 6+6 d
Comme l'onde au soleil font remonter nos larmes ; 6+6 d
Où le faible et l'enfant arrivent les premiers, 6+6 e
100 Tant vous aplanissez pour eux les hauts sentiers ! 6+6 e
Vierge des pleurs, sauvez, quand je prie avec elle, 6+6 a
La meilleure des deux : vous savez bien laquelle ! 6+6 a
Tout ce qu'elle a donné d'or et de pur amour, 6+6 b
Faites qu'on le lui rende : elle est pauvre à son tour. 6+6 b
105 Elle est là, près de vous, dans sa peine enfermée, 6+6 a
La première oubliant sa frêle renommée ; 6+6 a
Pareille au rossignol qui voit venir l'hiver, 6+6 b
Sans qu'un arbre à sa vie ouvre un asile vert ; 6+6 b
Et comme il faut le nid au rossignol débile, 6+6 a
110 Elle demande à Dieu ce nid, ce tiède asile. 6+6 a
Moi, j'ose demander à vous, riche après Dieu, 6+6 a
Pour ce terrestre oiseau quelque céleste lieu 6+6 a
Où la flamme amollit la bise acre et méchante, 6+6 b
Et laisse errer les doigts sur l'ivoire qui chante ; 6+6 b
115 Puis des lèvres d'enfans, qu'elle saurait former 6+6 c
À la langue d'en-haut, faite pour vous nommer ! 6+6 c
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes et distiques
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