Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_3/DES291
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
DÉPART DE LYON
À MADAME A. DUPIN
Dieu vous garde, humbles fleurs | sous la tuile venues ; 6+6 a
Ouvrez un frais sourire | à ce vieux bâtiment. 6+6 b
Comme on voudrait mourir, | vous mourez inconnues, 6+6 a
Et votre vie à l'ombre | est un divin moment ! 6+6 b
5 Dieu vous garde à qui pleure, | à qui va de vos charmes 6+6 a
Humecter sa prière, | attendrir ses regrets. 6+6 b
Inclinez-vous ce soir | sous les dernières larmes 6+6 a
Qui s'épanchent sur vous | du fond de mes secrets, 6+6 b
J'ai compté sur mes doigts : | voici que trois années 6+6 a
10 Ont balancé sur vous | leurs éternels instans ; 6+6 b
Dans ce bruyant désert, | nos frêles destinées 6+6 a
Se sont prises d'amour. | Vous vivez ; moi, j'attends. 6+6 b
Parles beaux clairs de lune, | aux lambris de ma chambre 6+6 a
Que de bouquets mouvans | avez-vous fait pleuvoir ! 6+6 b
15 Que de fois vos parfums, | faute de myrrhe et d'ambre, 6+6 a
Moururent, aux saints jours, | sous mon Christ en bois noir ! 6+6 b
À tout exil sa fleur ! | Lorsqu'entre ciel et terre 6+6 a
Je semai devant Dieu | votre subtil encens, 6+6 b
J'ai souhaité qu'une âme | ardente et solitaire 6+6 a
20 Rafraîchit sur vos fronts | son aile et ses accens. 6+6 b
Vouant à l'eau du ciel | votre parfum sauvage, 6+6 a
Sur ce mur étonné | de produire des fleurs, 6+6 b
J'ai dit au passereau | qui descend de l'orage : 6+6 a
« Viens, j'ai semé pour toi | ces humides couleurs. » 6+6 b
25 Et Dieu voulut qu'un jour, | se frayant une voie, 6+6 a
À ma vitre plombée | où pendent vos rameaux, 6+6 b
Sous un volet brisé | l'oiseau trouvât la joie, 6+6 a
Et s'abritât sans peur | comme au toit des hameaux. 6+6 b
Sortis de vos plis verts | où les jasmins respirent, 6+6 a
30 Que de songes sur moi | vinrent causer le soir ! 6+6 b
Ces papillons du ciel | qui chantent et soupirent, 6+6 a
Sur le sommeil du pauvre | aiment tant à s'asseoir ! 6+6 b
D'autres pauvres viendront : | c'est en haut qu'ils habitent. 6+6 a
Les indigens bénis | ont du moins le grand jour ; 6+6 b
35 Les scintillantes nuits, | les mondes qui gravitent, 6+6 a
Et le soleil entier | traversant leur séjour, 6+6 b
Dieu vous gardé pour eux ! | Moi je pars, moi je passe, 6+6 a
Comme à travers les champs | un filet d'eau s'en va ; 6+6 b
Comme un oiseau s'enfuit, | je m'en vais dans l'espace 6+6 a
40 Chercher l'immense amour | où mon cœur s'abreuva. 6+6 b
Charme des blés mou vans ! | fleurs des grandes prairies ! 6+6 a
Tumulte harmonieux | élevé des champs verts ! 6+6 b
Bruits des nids ! flots courans ! | chantantes rêveries ! 6+6 a
N'êtes-vous qu'une voix | parcourant l'univers ? 6+6 b
45 Oui, partout où je marche | une voix me rappelle ; 6+6 a
Voix du berceau lointain | qui ressaisit le cœur, 6+6 b
Voix qui trouble et se plaint | de l'enfant infidèle 6+6 a
Dont le sort se fit triste | en cherchant le bonheur ; 6+6 b
Étreinte dans l'absence, | accolade éternelle, 6+6 a
50 Mystérieux sanglot | dont les pleurs sont en nous, 6+6 b
Que de fois, comme un cri | de frayeur maternelle, 6+6 a
M'avez-vous fait bondir | et tomber à genoux ! 6+6 b
Mais quoi ! mon esprit seul, | ardent missionnaire, 6+6 a
A revu le vieux chaume | ébranlé par les vents, 6+6 b
55 Et le grillon chanteur | qu'on disait centenaire, 6+6 a
Au creux de l'âtre éteint | que peuplaient huit enfans, 6+6 b
Huit esprits curieux | du passé doux à croire, 6+6 a
Dont le docte grillon | savait la longue histoire, 6+6 a
Alors que frère et sœurs, | me prêtant leurs genoux, 6+6 b
60 Disaient : « Viens, Marceline, | écouter avec nous. » 6+6 b
Tandis que, poursuivant | la tâche commencée, 6+6 a
L'aiguille s'envolait | régulière et pressée, 6+6 a
Soumise au raconteur, | j'écoutais tout le soir 6+6 b
Ce qu'à travers son siècle | un grillon a pu voir. 6+6 b
65 J'écoutais, moi, plus frêle | et partant plus aimée ; 6+6 a
Toute prise aux rayons | de la lampe allumée, 6+6 a
Je veillais tard, ô joie ! | et le crieur de nuit 6+6 b
Sonnait, sans m'effrayer, | pour les morts, à minuit. 6+6 b
J'irai, si Dieu le veut, | si mon étoile brille 6+6 a
70 Et trace encor mon nom | dans la Scarpe d'argent, 6+6 b
Enfant déshérité | d'une sainte famille, 6+6 a
J'irai suspendre au seuil | mon voyage indigent. 6+6 b
Ma force, c'est l'amour ; | mes enfans sont mes ailes ; 6+6 a
Ils me remporteront | à mes premières fleurs ; 6+6 b
75 Les fleurs ne vivent plus, | mais je vis après elles, 6+6 a
Et mon cœur sait la place | où je leur dois des pleurs. 6+6 b
Peuple encor selon Dieu ! | Si ta chanteuse errante, 6+6 a
S'éteint loin des sentiers | qui ramènent vers toi, 6+6 b
Que ton nom parle au moins | sur ma cendre vibrante, 6+6 a
80 Afin que l'étranger | s'incline devant moi. 6+6 b
ENVOI
Distraite de souffrir | pour saluer votre âme, 6+6 a
Voilà mon âme : elle est | où vous souffrez, Madame ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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