Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_2/DES265
Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
AUX PETITS ENFANTS
LE PETIT RIEUR
Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour
œil, dent pour dent. Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils
seront consolés !
Évangile.
« Laissez entrer ce chien | qui soupire à la porte ; 6+6 a
Je souffre quand j’entends | souffrir autour de moi : 6+6 b
Fût-il aveugle et vieux, | il pleure, qu’on l’apporte, 6+6 a
Mon feu lui sera doux… | Quoi ! petit Paul, c’est toi ? » 6+6 b
5 C’était le petit Paul. | Sous un brouillard d’automne, 6+6 a
Pensif et tout mouillé | depuis un long moment, 6+6 b
Sans l’ouvrir, à la porte | il grattait doucement. 6+6 b
Pourquoi n’entrait-il pas ? | On l’entoure, on s’étonne. 6+6 a
Il entre. Il reste là | sans avoir dit : Bonsoir, 6+6 a
10 Bonsoir, petite mère ! | et sans oser s’asseoir. 6+6 a
Mais Paul tenait en vain | sa paupière baissée ; 6+6 a
Les mères ont des yeux | qui percent la pensée. 6+6 a
« De l’école avant l’heure | on vous a fait sortir ; 6+6 a
Pourquoi ? Ne mentez pas. |
— Je ne sais plus mentir, 6+6 a
Mère ! pour presque rien. |
15 — Presque dit quelque chose : 6+6 a
Votre maître est si bon | qu’il ne fait rien sans cause. 6+6 a
On ne peut jamais rire, | et c’est bien malheureux ! 6+6 a
Moi, quand je ne ris pas, | je suis tout las de vivre. 6+6 b
— Vous avez donc ri, Paul ? |
— Oui, mère, sous mon livre. 6+6 b
— Qui vous rendait si gai ? |
20 — Christophe. Il est affreux, 6+6 a
Christophe ! Il a l’œil trouble | et la tête enfoncée. 6+6 a
Ses bras vont jusqu’à terre, | et sa jambe est torsée, 6+6 a
Comme cela !
— C’est triste. |
— Oui si je l’avais su ; 6+6 a
Mais je n’avais jamais | vu d’écolier bossu ; 6+6 a
25 J’ai cru que les bossus | venaient tout vieux au monde, 6+6 a
Comme Ésope à mon livre. |
— Ésope fut enfant, 6+6 b
Et sa mère pleura. | Pitié douce et profonde, 6+6 a
La laideur s’embellit | quand ta voix la défend. 6+6 b
L’homme apporte des maux | dont rien ne le console ! 6+6 a
30 — Mais Christophe, ma mère, | est un rude garçon ; 6+6 b
Ce n’est qu’un paysan, | le dernier dans l’école. 6+6 a
Et comme on riait trop | pour suivre la leçon, 6+6 b
J’ai dit : Ésope ! Ésope ! | en regardant Christophe ; 6+6 a
Et j’ai fait le portrait | du crochu philosophe : 6+6 a
35 Voyez ! messieurs, voyez | le divin animal ! 6+6 a
— Et que disait Christophe ? |
Il détournait la vue ; 6+6 b
Il cachait dans ses mains | sa rougeur imprévue, 6+6 b
Et je crois qu’il pleurait. |
— Tais-toi ! tu me fais mal. 6+6 a
Il pleurait !… Ô railleurs, | que vous êtes à craindre ! 6+6 a
40 Un être a donc souffert, | et souffert sans se plaindre. 6+6 a
Tout ce qui pleure est beau. | Je l’aime en ce moment ; 6+6 a
Oui, j’aime mieux Christophe | et sa jambe tournée, 6+6 b
Que ta langue épineuse | à blesser destinée ; 6+6 b
Je l’embrasse de l’âme | et je le vois charmant. 6+6 a
45 Viens, que je te corrige. | Écoute-moi : tu m’aimes ? 6+6 a
— Oh oui !
— Souvent nos dards | retombent sur nous-mêmes 6+6 a
Regarde-moi longtemps : | et que ton avenir 6+6 a
S’épure d’un amer | et tendre souvenir ; 6+6 a
Comment me trouves-tu ? |
— Belle comme une mère ! 6+6 a
50 Ô ma mère ! vos traits | ont la douceur du ciel. 6+6 b
La vierge des enfants, | que l’on prie à Noël, 6+6 b
Est comme vous tendre et sévère ; 8 a
Oui, vous lui ressemblez. | J’y pense en vous voyant, 6+6 a
Et c’est vous que je vois, | ma mère, en la priant ! 6+6 a
55 À l’église une fois | vous êtes apparue, 6+6 a
Et la foule indigente | en joie est accourue ; 6+6 a
Vos habits étaient gais ; | vous étiez blanche ; et moi 6+6 a
Je disais : C’est ma mère ! | et l’on disait : « Hé ! quoi ! 6+6 a
C’est sa mère ! » Ah ! maman ! | quel bonheur !
— Je t’écoute, 6+6 a
60 Et je plains ton doux rêve ; | il me touche. Il m’en coûte 6+6 a
D’attrister le miroir | attaché sur ton cœur, 6+6 a
Où tu me trouves belle, | où je me vois aimée ; 6+6
Mais, regarde, et gémis | d’être un enfant moqueur : 6+6 a
Je suis laide.
— Ma mère ! |
— Enfant ! Je vous afflige ? 6+6 a
65 Je vous ôte un bandeau. | Je suis laide, vous dis-je ; 6+6 a
Un jour, un petit Paul | aussi rira de moi. 6+6 a
— Je le tuerai, ma mère ! | oh ! quand il serait roi. 6+6 a
Dieu ! rire de ma mère ! |
— Et l’enfant qu’elle adore, 6+6 a
L’enfant que son malheur | lui rend plus sien encore, 6+6 a
70 Penses-tu qu’une mère, | au fond de ses douleurs, 6+6 a
Ne se lèvera pas | pour revenger ses pleurs ? 6+6 a
Et toi, mon fol enfant, | fier de tes belles armes, 6+6 a
Lançant ton rire ingrat | sur l’objet de ses larmes, 6+6 a
Prends garde ! si ta langue | allait faire mourir ! 6+6 a
75 Dieu dit : « Tu souffriras | ce que tu fais souffrir. » 6+6 a
mètre profils métriques : 6+6, (8)
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