Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_2/DES231
Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
TRISTESSE
Une fille est née dans la classe du peuple,
et malgré le triste avenir qui lui est réservé,
sa naissance a été accueillie comme un joyeux événement.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Elle est heureuse, car le soleil brille, la pluie
tombe, l’arc-en-ciel étend ses couleurs, et les
oiseaux chantent pour elle. Son sommeil est pro
fond et doux, ses jeux gais et vifs, son pain déli
cieux ! Elle ne sait pas le secret d’être mécontente
de ce qu’elle possède.
Un auteur anglais.
N’irai-je plus courir | dans l’enclos de ma mère ? 6+6 a
N’irai-je plus m’asseoir | sur les tombes en fleurs ? 6+6 b
D’où vient que des beaux ans | la mémoire est amère ? 6+6 a
D’où vient qu’on aime tant | une joie éphémère ? 6+6 a
5 D’où vient que d’en parler | ma voix se fond en pleurs ? 6+6 b
C’est que, pour retourner | à ces fraîches prémices, 6+6 a
À ces fruits veloutés | qui pendent au berceau, 6+6 b
Prête à se replonger | aux limpides calices 6+6 a
De la source fuyante | et des vierges délices, 6+6 a
10 L’âme hésite à troubler | la fange du ruisseau. 6+6 b
Quel effroi de ramper | au fond de sa mémoire, 6+6 a
D’ensanglanter son cœur | aux dards qui l’ont blessé, 6+6 b
De rapprendre un affront | que l’on crut effacé, 6+6 b
Que le temps… que le ciel | a dit de ne plus croire, 6+6 a
15 Et qui siffle aux lieux même | où la flèche a passé ! 6+6 b
Qui n’a senti son front | rougir, brûler encore, 6+6 a
Sous le flambeau moqueur | d’un amer souvenir ? 6+6 b
Qui n’a pas un écho | cruellement sonore, 6+6 a
Jetant par intervalle | un nom que l’âme abhorre, 6+6 a
20 Et la fait s’envoler | au fond de l’avenir ? 6+6 b
Vous aussi, ma natale, | on vous a bien changée ! 6+6 a
Oui ! quand mon cœur remonte | à vos gothiques tours, 6+6 b
Qu’il traverse, rêveur, | notre absence affligée, 6+6 a
Il ne reconnaît plus | la grâce négligée 6+6 a
25 Qui donne tant de charme | au maternel séjour ! 6+6 b
Il voit rire un jardin | sur l’étroit cimetière, 6+6 a
Où la lune souvent | me prenait à genoux ; 6+6 b
L’ironie embaumée | a remplacé la pierre 6+6 a
Où j’allais, d’une tombe | indigente héritière, 6+6 a
30 Relire ma croyance | au dernier rendez-vous ! 6+6 b
Tristesse ! après longtemps | revenir isolée, 6+6 a
Rapporter de sa vie | un compte douloureux, 6+6 b
La renouer malade | à quelque mausolée, 6+6 a
Chercher un cœur à soi | sous la croix violée, 6+6 a
35 Et ne plus oser dire : | « Il est là ! » c’est affreux ! 6+6 b
Mais cet enfant qui joue | et qui dort sur la vie, 6+6 a
Qui s’habille de fleurs, | qui n’en sent pas l’effroi, 6+6 b
Ce pauvre enfant heureux | que personne n’envie, 6+6 a
Qui, né pour le malheur, | l’ignore et s’y confie, 6+6 a
40 Je le regrette encor, | cet enfant, c’était moi. 6+6 b
Au livre de mon sort | si je cherche un sourire, 6+6 a
Dans sa blanche préface, | oh ! je l’obtiens toujours 6+6 b
A des mots commencés | que je ne peux écrire, 6+6 a
Éclatants d’innocence | et charmants à relire, 6+6 a
45 Parmi les feuillets noirs | où s’inscrivent mes jours ! 6+6 b
Un bouquet de cerise, | une pomme encor verte, 6+6 a
C’étaient là des festins | savourés jusqu’au cœur ! 6+6 b
À tant de volupté | l’âme neuve est ouverte, 6+6 a
Quand l’âpre affliction, | de miel encoreencor couverte, 6+6 a
50 N’a pas trempé nos sens | d’une amère saveur ! 6+6 b
Parmi les biens perdus | dont je soupire encore, 6+6 a
Quel nom portait la fleur… | la fleur d’un bleu si beau, 6+6 b
Que je vis poindre au jour, | puis frémir, puis éclore, 6+6 a
Puis que je ne vis plus | à la suivante aurore ? 6+6 a
55 Ne devrait-elle pas | renaître à mon tombeau ! 6+6 b
Douce église ! sans pompe, | et sans culte et sans prêtre, 6+6 a
Où je faisais dans l’air | jouer ma faible voix, 6+6 b
Où la ronce montait | fière à chaque fenêtre, 6+6 a
Près du Christ mutilé | qui m’écoutait peut-être, 6+6 a
60 N’irai-je plus rêver | du ciel comme autrefois ? 6+6 b
Oh ! n’a-t-on pas détruit | cette vigne oubliée, 6+6 a
Balançant au vieux mur | son fragile réseau ? 6+6 b
Comme l’aile d’un ange, | aimante et dépliée, 6+6 a
L’humble pampre embrassait | l’église humiliée 6+6 a
65 De sa pâle verdure | où tremblait un oiseau ! 6+6 b
L’oiseau chantait, piquait | le fruit mûr, et ses ailes 6+6 a
Frappaient l’ogive sombre | avec un bruit joyeux ; 6+6 b
Et le soleil couchant | dardait ses étincelles 6+6 a
Aux vitraux rallumés | de rougeâtres parcelles 6+6 a
70 Qui me restaient longtemps | ardentes dans les yeux. 6+6 b
Notre-Dame ! aujourd’hui | belle et retentissante, 6+6 a
Triste alors, quel secret | m’avez-vous dit tout bas ? 6+6 b
Et quand mon timbre pur | remplaçait l’orgue absente, 6+6 a
Pour répondre à l’écho | de la nef gémissante, 6+6 a
75 Mon frêle et doux Ave, | ne l’écoutiez-vous pas ? 6+6 b
Et ne jamais revoir | ce mur où la lumière 6+6 a
Dessinait Dieu visible | à ma jeune raison ! 6+6 b
Ne plus mettre à ses pieds | mon pain et ma prière ! 6+6 a
Ne plus suivre mon ombre | au bord de la rivière, 6+6 a
80 Jusqu’au chaume enlierré | que j’appelais maison ! 6+6 b
Ni le puits solitaire, | urne sourde et profonde, 6+6 a
Crédule, où j’allais voir | descendre le soleil, 6+6 b
Qui faisait aux enfants | un miroir de son onde. 6+6 a
Elle est tarie… Hélas ! | tout se tarit au monde ; 6+6 a
85 Hélas ! la vie et l’onde | ont un destin pareil ! 6+6 b
Ne plus passer devant | l’école bourdonnante, 6+6 a
Gage en fleurs où couvaient, | où fermentaient nos jours, 6+6 b
Où j’entendis, captive, | une voix résonnante 6+6 a
Et chère ! à ma prison | m’enlever frissonnante : 6+6 a
90 Voix de mon père, ô voix ! | m’appelez-vous toujours ? 6+6 b
Où libre je pâlis | de tendresse éperdue, 6+6 a
Où je crus voir le ciel | descendre, et l’humble lieu 6+6 b
S’ouvrir ! Mon père au loin | m’avait donc entendue ? 6+6 a
Fière, en tenant sa main, | je traversai la rue ; 6+6 a
95 Il la remplissait toute ; | il ressemblait à Dieu ! 6+6 b
Albertine ! et là bas | flottait ta jeune tête, 6+6 a
Sous le calvaire en fleurs ; | et c’était loin du soir ! 6+6 b
Et ma voix bondissante | avait dit : « Est-ce fête ? 6+6 a
Ô joie ! est-ce demain | que Dieu passe et s’arrête ? » 6+6 a
100 Et tu m’avais crié : | « Tu vas voir ! tu vas voir ! » 6+6 b
Oui ! c’était une fête, | une heure parfumée ; 6+6 a
On moissonnait nos fleurs, | on les jetait dans l’air ; 6+6 b
Albertine riait | sous la pluie embaumée ; 6+6 a
Elle vivait encor ; | j’étais encore aimée ! 6+6 a
105 C’est un parfum de rose— | il n’atteint pas l’hiver. 6+6 b
Du moins, n’irai-je plus | dans l’enclos de ma mère ? 6+6 a
N’irai-je plus m’asseoir | sur les tombes en fleurs ? 6+6 b
D’où vient que des beaux ans | la mémoire est amère ? 6+6 a
D’où vient qu’on aime tant | une joie éphémère ? 6+6 a
110 D’où vient que d’en parler | ma voix se fond en pleurs ? 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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