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| = césure
DES_1/DES75
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
ÉLÉGIES
À MES ENFANTS
Oui, nous allons encore essayer un voyage. 6+6 a
Avril est né d’hier, il vole au fond des bois. 6+6 b
Doux avril ! on entend partout sa jeune voix ; 6+6 b
Partout ses doigts légers déroulent le feuillage. 6+6 a
5 La nature s’habille ; il faut prendre l’essor. 6+6 a
À l’ombre de ma vie abritez voire sort, 6+6 a
Innocents pèlerins, suivez ma destinée. 6+6 a
Dans la vôtre, que Dieu rende plus fortunée, 6+6 a
Allez cueillir des jours libres et triomphants ; 6+6 a
10 Moi, je bénis les miens : vous êtes mes enfants ! 6+6 a
Le mortel le plus humble est fier de son ouvrage. 6+6 a
Combien ce tendre orgueil m’a donné de courage ! 6+6 a
Oh ! que de fois, sensible et vaine tour à tour, 6+6 a
J’ai pensé qu’une reine envierait ma fortune ! 6+6 b
15 Et je plaignais la reine en sa gloire importune : 6+6 b
Elle est à plaindre ; elle a d’autres soins que l’amour. 6+6 a
Sur son enfant qui dort ces grilles formidables, 6+6 a
Ces gardes sans sommeil, à l’œil toujours ouvert, 6+6 b
Ces hommes habillés de fer, 8 b
20 Disent que les palais sont des lieux redoutables. 6+6 a
Ses baisers maternels par jour lui sont comptés ; 6+6 a
Jamais sans des témoins son cœur ne se déploie ; 6+6 b
Et tous ses mouvements de tristesse et de joie 6+6 b
Sous son manteau de reine expirent arrêtés. 6+6 a
25 Elle n’a que ses yeux pour répandre son âme, 6+6 a
Pour caresser l’objet de ses pures douleurs ; 6+6 b
Son enfant l’appelle : « Madame ! » 8 a
Et Dieu seul voit tomber ses pleurs. 8 b
Moi, par le monde errante, et partout étrangère, 6+6 a
30 À vos berceaux de mousse à la hâte formés, 6+6 b
Seule, ardente à veiller mes amours tant aimés, 6+6 b
J’ai trouvé l’heure agile et ma tâche légère. 6+6 a
Et vous, enveloppés de pavots frais et purs, 6+6 a
Vous laissez votre vie à ma garde attentive ; 6+6 b
35 Vos doux jeux me rendent captive ; 8 b
Vos rêves ne sont pas moins sûrs. 8 a
Confiants, vous dansez quand votre mère chante ; 6+6 a
Son baiser vous délasse et vous mène au sommeil, 6+6 b
Sans prévoir que souvent la voix qui vous enchante 6+6 a
40 Va prier dans les pleurs jusqu’à votre réveil. 6+6 b
Ignorez-le toujours ! toujours, s’il est possible, 6+6 a
Puisez dans mes regards votre sécurité ; 6+6 b
Ils vous adouciront la triste véri 6+6 b
Qui déchire le plus sensible ! 8 a
45 Quand j’emportai vos jours loin d’un ciel sans chaleur. 6+6 a
Je vous couvais encore, ô ma jeune famille ! 6+6 b
Et je sentais naître ma fille 8 b
Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur. 6+6 a
Vous partagiez dé notre errant esclavage, 6+6 a
50 Dociles émigrés ! faibles, tremblants et doux, 6+6 b
À peine éclos sur le rivage, 8 a
Vos mobiles destins s’envolaient avec nous. 6+6 b
Que ne peut-on fixer votre trace légère, 6+6 a
Votre audace riante, à la crainte étrangère ! 6+6 a
55 Age heureux ! courts instants des naïves erreurs ! 6+6 a
Inhabile aux soupçons, aux jalouses fureurs, 6+6 a
Moi seule, en vous berçant d’amour, de mélodie, 6+6 a
Je vous inoculai ma douce maladie. 6+6 a
Déjà vous bégayez d’imparfaites chansons, 6+6 a
60 Et vos voix et vos cœurs vibrent de mes leçons. 6+6 a
De ce peu que je sais je vous instruis moi-même ; 6+6 a
Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime ; 6+6 a
Je vous aide à chercher les mots les plus touchants, 6+6 a
Pour charmer votre père attendri de vos chants. 6+6 a
65 Je vous dis : « Aimez Dieu, car lui seul nous protège, 6+6 a
Lui seul vous aime, enfants, comme si les grandeurs 6+6 b
À vos fronts ingénus attachaient leurs splendeurs. 6+6 b
Il prête sa lumière à notre humble cortège ; 6+6 a
Et, pour nous soutenir sur les bords du chemin, 6+6 a
70 Devant nous il étend son invisible main. » 6+6 a
Doux échos de mon âme, écoutez votre mère : 6+6 a
Un jour vous serez seuls, par la sentence amère 6+6 a
Qui sépare de force entre eux les voyageurs ; 6+6 a
Ne craignez pas pour moi d’anathèmes vengeurs ; 6+6 a
75 Relisez ces tableaux d’une innocente vie : 6+6 a
Purs et vrais comme vous, ils désarmaient l’envie. 6+6 a
Alors devant Dieu seul mettez-vous à genoux, 6+6 a
Enfants ! priez pour moi : j’ai tant prié pour vous ! 6+6 a
Sur la route plus triste errez du moins ensemble ! 6+6 a
80 Contemplez ce nuage. Hélas ! il nous ressemble, 6+6 a
Il va vite. En courant, levez parfois les yeux : 6+6 a
N’ayez peur, mes amis, je serai dans les cieux. 6+6 a
Vous comprendrez alors ces vœux mélancoliques 6+6 a
Où mon âme, n’osant tout haut se révéler 6+6 b
85 Dans ses alarmes prophétiques, 8 a
Vous plaignait sans vous en parler. 8 b
Car l’imprévoyante colombe, 8 a
Qui librement passait dans l’air, 8 b
Au trait parti comme l’éclair 8 b
90 Tressaille, tourne, expire, tombe 8 a
Aux pieds du tranquille chasseur ; 8 a
Et nul ange, ici-bas, n’a vengé sa douceur ! 6+6 a
Je frissonne. Ma fille ! ô soudaines alarmes ! 6+6 a
Ainsi, qui lit trop loin ne voit plus que des larmes. 6+6 a
95 Dieu ! pardonnez-les moi ; le temps doit m’en punir. 6+6 a
Quelle mère en secret ne vit dans l’avenir ? 6+6 a
Quelle mère n’a vu la saison des orages 6+6 a
Sur ses enfants chéris balancer leurs nuages ? 6+6 a
Les pleurs silencieux attendent les plus doux ; 6+6 a
100 Ils souffrent sans le dire, ils meurent à genoux. 6+6 a
Mais quoi ! les plus hardis seront-ils moins à plaindre ? 6+6 a
Que de pièges là-bas, et que d’écueils à craindre ! 6+6 a
Que de monde autour d’eux dans ces lointains sentiers, 6+6 a
Où leurs pas et leurs vœux se livrent tout entiers ? 6+6 a
105 Cédez, faibles roseaux, ployez sous la tempête, 6+6 a
Aux souffles incléments dérobez votre tête ! 6+6 a
Cœurs d’anges, dont le ciel a semé les penchants, 6+6 a
C’est donc aussi pour vous que je crains les méchants ! 6+6 a
Quoi ! l’amour malheureux ? Quoi ! l’amitié trahie ? 6+6 a
110 L’abandon ?… Non ! je rêve et je suis éblouie ; 6+6 a
Non ! ce rayon divin, qui brille en leurs regards, 6+6 a
Ne les appelle pas à de tristes hasards ; 6+6 a
Non ! l’azur de tes yeux, ô ma belle Hyacinthe, 6+6 a
Ne se voilera pas sous d’austères douleurs !… 6+6 b
115 Mais dans tes jeunes mains tu m’apportes des fleurs : 6+6 b
Va ! l’augure est heureux, tu n’as pas une absinthe ! 6+6 a
Il faut partir. Ce toit qu’il fut doux d’habiter, 6+6 a
Qui nous couvrit l’hiver, il faut donc le quitter ! 6+6 a
Toujours quelque lien se rompra dans l’absence ! 6+6 a
120 Je suis comme le lierre arraché malgré lui : 6+6 b
J’aimai si longtemps la présence 8 a
De ce que je quitte aujourd’hui ! 8 b
Quoi ! toujours effleurer des rives orageuses ? 6+6 a
Quoi ! poursuivre sans cesse un fuyant horizon ? 6+6 b
125 Qui n’a quelque pitié des brebis voyageuses 6+6 a
Laissant à chaque haie un peu de leur toison ? 6+6 b
Oh ! que de fils brisés dans ma trame affaiblie ! 6+6 a
Que d’adieux recélés dans le fond de mon cœur ! 6+6 b
Déjà, je sais dé comment fuit le bonheur ; 6+6 b
130 Je ne sais pas comme on l’oublie ! 8 a
Mon âme libre encor s’élance en d’autres lieux, 6+6 a
D’où me sépare une absence éternelle ; 4+6 b
Gomme l’oiseau blessé, qui n’étend plus qu’une aile 6+6 b
Pour traverser les cieux ! 6 a
135 Mais en rendant mes jours à ma tremblante étoile, 6+6 a
Soit qu’un dur aquilon fasse frémir ma voile, 6+6 a
Soit que d’un ciel brûlant me consume l’ardeur, 6+6 a
J’aimerai des vallons la fraîche profondeur ; 6+6 a
Ma pensée en soupire, et le saule, et l’yeuse, 6+6 a
140 Et près du clair ruisseau la paisible fileuse, 6+6 a
Le bois qui la vit naître et la verra mourir, 6+6 a
Me rendront des tableaux qu’il m’est doux de nourrir. 6+6 a
Aux coteaux de Lormont j’avais légué ma cendre ; 6+6 a
Lormont n’a pas voulu d’un fardeau si léger ; 6+6 b
145 Son ombre est dédaigneuse au malheur étranger ; 6+6 b
Dans la barque incertaine il faut donc redescendre. 6+6 a
Venez, chers alcyons, pressez-vous sur mon cœur ; 6+6 a
Jetez un tendre adieu vers la rive sonore : 6+6 b
Je le sens, quelque vœu nous y rappelle encore, 6+6 b
150 Quelque regard nous suit, plein d’un trouble rêveur. 6+6 a
Adieu !… ma voix s’altère et tremble dans mes larmes 6+6 a
Enfants ! jetez vos voix sur l’aile des zéphyrs ; 6+6 b
Dites que j’ai pleuré, dites que mes soupirs 6+6 b
Retourneront souvent à ces bords pleins de charmes. 6+6 a
155 Là, de quatre printemps j’ai respiré les fleurs. 6+6 a
Ainsi, partout des biens ! ainsi, partout des pleurs ! 6+6 a
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