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DES_1/DES73
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
ÉLÉGIES
LA SUITE
DU VIEUX CRIEUR DU RHÔNE
À M. JARS
Le vieux crieur allait contant l’histoire 4+6 a
Du faible enfant vers le Rhône égaré ; 4+6 b
Un vieux soldat, tout cuirassé de gloire, 4+6 a
En l’écoutant sous son casque a pleuré. 4+6 b
5 Ce n’était plus quand l’été se couronne 4+6 a
De rayons d’or, de pampres et de fleurs ; 4+6 b
C’était au temps où l’hiver s’environne 4+6 a
De longues nuits et de mornes couleurs. 4+6 b
Ce n’était plus quand ma voix lamentable 4+6 a
10 Cria partout l’enfant sans l’obtenir ; 4+6 b
Mais aux mères toujours ce triste souvenir 6+6 b
Apparaissait lugubre et redoutable. 4+6 a
Celle que l’on crut morte en ses cris superflus, 6+6 a
Qu’on emporta le soir, de larmes épuisée… 6+6 b
15 Elle vit ; mais, semblable à sa plainte brisée, 6+6 b
Sa mémoire au malheur ne se réveille plus. 6+6 a
La moisson, le rivage et le Rhône rapide 6+6 a
Dans ses esprits confus ne viennent plus s’offrir. 6+6 b
Ainsi se trouble une eau limpide, 8 a
20 Dont la source va se tarir. 8 b
Ses yeux sans s’étonner ont revu sa demeure, 6+6 a
Où la foule a suivi ses pas ; 8 b
On l’entoure, on frémit, on pleure : 8 a
Elle seule ne pleure pas. 8 b
25 Dieu la bénit d’un long délire : 8 a
Son fils est là, dit-elle… il dort. 8 b
Elle a rapporté son sourire 8 a
À son fils… que l’on cherche encor ! 8 b
Balançant un berceau, dans ces nuits rigoureuses, 6+6 a
30 Seule elle dit encor : « Les mères sont heureuses ! » 6+6 a
Seule elle ne sait plus son malheur si récent ; 6+6 a
Calme, elle n’offre à Dieu qu’un cœur reconnaissant. 6+6 a
À travers le rideau que sa main vient d’étendre, 6+6 a
Elle entend respirer l’enfant dans son sommeil. 6+6 b
35 Qui voudrait l’arracher à cette erreur si tendre ? 6+6 a
Elle écoute son souffle ; elle attend son réveil. 6+6 b
Ah ! ne soulevez pas ce rideau qui l’enchante, 6+6 a
Pareil au voile épais tombé sur sa raison. 6+6 b
L’enfant, s’il vit encore, est loin de sa maison ; 6+6 b
40 Et près d’un berceau vide elle prie… elle chante. 6+6 a
Dans sa vague tristesse, on la voit tout le jour, 6+6 a
Et, sans nous reconnaître à peine, 8 b
Contre son sein bercer une ombre vaine 4+6 b
Et lui parler avec amour. 8 a
45 Durant la nuit, tranquille et demi-nue, 4+6 a
Auprès des feux négligés et mourants, 4+6 b
Elle charme sa veille au berceau retenue, 6+6 a
En regardant courir les nuages errants. 6+6 b
Un soir, la lune absente abandonne la terre 6+6 a
50 Au sombre autan qui règne avec fureur : 4+6 b
Des éléments la lutte austère 8 a
Glace les sens d’une muette horreur. 4+6 b
On ne voit plus que de faibles lumières ; 4+6 a
Les chiens hurlants menacent les chaumières ; 4+6 a
55 L’eau dans sa chute entraîne l’arbrisseau : 4+6 a
De cette mère, immobile et charmée, 4+6 b
La faible main s’endort sur le berceau 4+6 a
Que semble suivre encor sa paupière fermée. 6+6 b
Paix ! elle dort pour la première fois 4+6 a
60 Depuis le jour éteint dans sa raison perdue, 6+6 b
Qui la laissa sur la terre étendue, 4+6 b
Sans souvenir, sans larmes et sans voix. 4+6 a
Mais l’ouragan, dont gémit la nature, 4+6 a
Semble jaloux de cette longue erreur ; 4+6 b
65 Dans son sommeil il souffle la terreur, 4+6 b
Et, de son sein réveillant la torture, 4+6 a
Y jette un cri dès longtemps expiré : 4+6 a
« Rendez, rendez l’enfant dans la foule égaré ! » 6+6 a
Comme l’écho frappé d’une clameur terrible, 6+6 a
70 Sa raison qui renaît répond au cri d’effroi : 6+6 b
« Rendez, rendez l’enfant ! rendez… » Réveil horrible ! 6+6 a
Ce berceau découvert, il est vide, il est froid ! 6+6 b
Pâle, muette, en ses larmes glacée, 4+6 a
Elle repousse et combat sa pensée ; 4+6 a
75 Puis elle dit, en se cachant les yeux : 4+6 a
« Je reconnais la terre, et j’ai perdu les cieux ! 6+6 a
Dieu des mères ! mon Dieu ! vous savez s’il respire. 6+6 a
Rendez-le ! guidez-moi… je ne sais où… j’expire ! 6+6 a
Il n’est plus là… je n’y peux plus rester. 4+6 a
80 Eh bien ! puisque la mort ne veut pas m’arrêter, 6+6 a
J’irai, par les chemins, trner, finir ma vie. » 6+6 a
Et le jour, sur la neige on reconnaît ses pas. 6+6 b
Elle était douce et faible ; on ne l’observait pas, 6+6 b
Et personne ne l’a suivie. 8 a
85 Dans les sentiers déserts Dieu seul l’entend gémir ; 6+6 a
Mais l’aquilon a cessé de frémir. 4+6 a
Elle marche, elle dit : « Je veux voir la chapelle 6+6 a
Qu’au temps de la moisson j’embellis une fois, 6+6 b
Où mon fils… jour trompeur qu’à présent tout rappelle ! 6+6 a
90 Sur ma voix, qui chantait, voulait former sa voix. 6+6 b
J’y porte son berceau, c’est mon dernier hommage ; 6+6 a
Douloureux pour sa mère, inutile pour lui, 6+6 b
Ce n’est plus qu’un tombeau que j’y vois aujourd’hui, 6+6 b
Et dans mon âme en deuil j’offrirai son image. 6+6 a
95 Des fleurs… je n’en ai plus… Ah ! j’ai trop peu de temps ; 6+6 a
On meurt jeune sans l’espérance ; 8 b
Mais tant que je vivrai, fût-ce jusqu’au printemps, 6+6 a
J’y viendrai cacher ma souffrance ! » 8 b
Alors un saint pasteur, triste de souvenir, 6+6 a
100 Prend le berceau léger qu’il promet de bénir. 6+6 a
Une autre femme approche en sa misère errante ; 6+6 a
Sa voix n’a qu’un accent qui murmure : « Donnez ! » 6+6 b
Elle indique un enfant aux regards consternés, 6+6 b
Et cet objet voi la rend plus déchirante. 6+6 a
105 « Femme, dit l’autre mère, il faut vous secourir : 6+6 a
Vous cachez un enfant ; sa misère est affreuse ! 6+6 b
Ne souffrez pas pour lui, femme ! Soyez heureuse ! 6+6 b
Moi, je n’ai plus d’enfant… moi, je n’ai qu’à mourir ! » 6+6 a
Un cri perçant rompt cette plainte amère, 4+6 a
110 Et le lambeau s’agite, et le cri dit : « Ma mère ! » 6+6 a
Et la mère éperdue a saisi son enfant ; 6+6 a
Et l’affreuse étrangère à peine le défend ; 6+6 a
Elle fuit, elle roule au bas de la montagne, 6+6 a
Et, comme un noir corbeau, se perd dans la campagne. 6+6 a
115 La mère véritable écarte les lambeaux ; 6+6 a
Ses yeux longtemps éteints, pareils à deux flambeaux, 6+6 a
S’allument : « C’est mon fils !… qu’il est pâle ! » Elle tombe : 6+6 a
Sous l’excès du bonheur la nature succombe ; 6+6 a
Car on dirait que, créés pour souffrir, 4+6 a
120 Nous ne pouvons qu’à peine être heureux sans mourir. 6+6 a
Mais l’enfant la caresse ; il la rappelle, il pleure ; 6+6 a
Il arrête son âme aux lèvres qu’il effleure, 6+6 a
Et son corps délicat, par sa mère entouré, 6+6 a
Palpite et tremble encor d’en être séparé. 6+6 a
125 « Ne tremble plus ; c’est moi. Vois-tu ; je suis ta mère. 6+6 a
Ô ! mon fils ! C’est mon fils ! regarde-le, mon père ; 6+6 a
C’est mon fils ! Ce n’est plus son fantôme trompeur ; 6+6 a
C’est mon enfant qui m’aime, et qui vit sur mon cœur. » 6+6 a
Le pasteur pour le voir se courbe devant elle ; 6+6 a
130 Il sent couler ses pleurs à son récit fidèle ; 6+6 a
Elle dit tout en paroles de feu ; 4+6 a
De baisers, de sanglots, son récit se compose. 6+6 b
En vain pour sa vengeance elle bégaie un vœu ; 6+6 a
Sortira-t-il du cœur où son fils se repose ? 6+6 b
135 Sans doute il a souffert, l’enfant infortuné ! 6+6 a
Sans doute… il vit encor ; sa mère a pardonné. 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 4+6, 6+6
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