Métrique en Ligne
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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
ÉLÉGIES
LA GUIRLANDE
DE ROSE-MARIE
Te souvient-il, ma sœur, du rempart solitaire 6+6 a
Où nous cherchions, enfants, de l’ombrage et des fleurs ? 6+6 b
Et de cette autre enfant qui passait sur la terre, 6+6 a
Pour sourire à nos jeux, pour y charmer nos pleurs ? 6+6 b
5 Son dixième printemps la couronnait de roses : 6+6 a
Marie était son nom, Rose y fut ajouté. 6+6 b
Pourquoi ces tendres fleurs, dans leur avril écloses, 6+6 a
Tombent-elles souvent sans atteindre l’été ? 6+6 b
Tu sais, ma sœur, tu sais qu’elle était belle ! 4+6 a
10 Tous les enfants cherchaient à l’embrasser. 4+6 b
Quand son regard venait nous caresser, 4+6 b
Pour la voir plus longtemps nous courions après elle. 6+6 a
Avec des cris d’amour nous arrêtions ses pas ; 6+6 a
Sa fuite dans nos bras n’avait plus de passage ; 6+6 b
15 Elle disait : « Cessez ! J’aimerai la plus sage. » 6+6 b
Et nous rompions sa chaîne, et nous parlions plus bas. 6+6 a
Bientôt elle eut douze ans. J’étais plus jeune encore, 6+6 a
Quand le malheur entra dans notre humble maison. 6+6 b
J’allai lui dire adieu : sa voix, frêle et sonore, 6+6 a
20 Du haut du vieux rempart cria deux fois mon nom. 6+6 b
Elle avait dit : Déjà ! Sa surprise timide 6+6 a
À ce déjà plaintif n’ajouta qu’un baiser. 6+6 b
Hélas ! elle pleurait, sa joue était humide ; 6+6 a
Et je pleurai longtemps sans vouloir m’apaiser. 6+6 b
25 C’est que l’exil est triste ; il fait rêver l’enfance. 6+6 a
Le jeune voyageur n’a d’ami que le ciel ; 6+6 b
Il erre sans asile, il pleure sans défense, 6+6 a
Comme un oiseau perdu loin du nid paternel ; 6+6 b
Son ramage se change en plaintes douloureuses ; 6+6 a
30 Des oiseaux inconnus les cris le font frémir, 6+6 b
Et même, en retournant sur des routes heureuses, 6+6 a
S’il veut chanter, longtemps il semble encor gémir. 6+6 b
À ses regrets en vain la patrie est rendue, 6+6 a
L’orage a dispersé la couvée éperdue ; 6+6 a
35 Ses frères sont partis ; le nid vide est tombé ; 6+6 a
En s’envolant, peut-être un d’eux a succombé. 6+6 a
Mais je reviens, je vole, et je cherche Marie ; 6+6 a
Je cours à son jardin, j’en reconnais les fleurs ; 6+6 b
Rien n’y paraît changé. Cette belle chérie 6+6 a
40 Comme autrefois, sans doute, y sème leurs couleurs ; 6+6 b
Je l’appelle ; j’attends… Sa chambre est entr’ouverte 6+6 a
Voilà sur son chapeau sa guirlande encor verte ! 6+6 a
Joyeuse, je palpite et j’écoute un moment ; 6+6 a
Sa mère sur le seuil arrive lentement : 6+6 a
45 Oh ! comme elle a vieilli ! Que deux ans l’ont courbée ! 6+6 a
La vieillesse, vois-tu, traîne tant de regrets ! 6+6 b
Elle relève enfin sa paupière absorbée, 6+6 a
Me regarde, et ne peut se rappeler mes traits. 6+6 b
« Où donc, lui dis-je, est Rose ? où donc est votre fille ? 6+6 a
50 A-t-elle aussi quitté sa maison, sa famille ? » 6+6 a
Elle s’est tue encore, et, se cachant les yeux, 6+6 a
D’une main défaillante elle a montré les cieux. 6+6 a
À ses gémissements ma voix n’a pu répondre ; 6+6 a
Le jardin me parut en deuil ; 8 b
55 Je sentis mon âme se fondre 8 a
Et mes genoux trembler en repassant le seuil. 6+6 b
J’allais… Je demandais… Ta sœur, presque étrangère, 6+6 a
Cherchait seule un objet qu’on avait vu si beau : 6+6 b
Hélas ! les pieds joyeux évitent la fougère 6+6 a
60 Qui croît à l’entour d’un tombeau. 8 b
La mort et le malheur épouvantent la vue : 6+6 a
On passe en courant devant eux. 8 b
Que devient l’infortune à la fuite imprévue 6+6 a
D’un ami distrait ou honteux ? 8 b
65 Parmi tous les témoins de ma première aurore, 6+6 a
Le vieux rempart, les champs semblaient m’aimer encore, 6+6 a
Le soleil d’autrefois brillait sur mon chemin ; 6+6 a
Mais personne, ma sœur, ne me pressa la main. 6+6 a
Les jeux avaient cessé pour moi, pauvre et craintive : 6+6 a
70 Et celle qui pleura de nos premiers adieux, 6+6 b
Qui m’eût tendu les bras dans sa pitié naïve, 6+6 a
Ne vint pas essuyer mes yeux ! 8 b
J’ai trouvé dans un champ sa nouvelle demeure ; 6+6 a
Je l’ai nommée encore en tombant à genoux. 6+6 b
75 Oh ! ma sœur ! à douze ans se peut-il que l’on meure ! 6+6 a
Quoi ! moins que sa guirlande elle a vécu pour nous ! 6+6 b
L’herbe seule a voilé cette vierge endormie ; 6+6 a
Elle aimait les fleurs autrefois ! 8 b
Tout est triste au tombeau de notre jeune amie ; 6+6 a
80 Son chapelet d’ivoire en orne seul la croix. 6+6 b
Comme on nous vit l’attendre au seuil de sa chaumière, 6+6 a
Pour l’entourer de notre amour, 8 b
On verra, par mes soins, quelques feuilles de lierre 6+6 a
De son étroit asile embrasser le contour. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6, 4+6
forme globale type : suite de strophes
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