Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_1/DES68
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
ÉLÉGIES
LE RÊVE DE MON ENFANT
À MADAME PAULINE DUCHAMBGE
« Mère ! petite mère ! | » Il m’appelait ainsi ; 6+6 a
Et moi, je tressaillais | à cet accent si tendre ; 6+6 b
Tout mon être agité | s’éveillait pour l’entendre ; 6+6 b
Je ne l’entendrai plus : | il ne dort plus ici. 6+6 a
5 Où retentit sa voix, | qui calmait ma souffrance, 6+6 a
Comme la voix de l’espérance, 8 a
Formée (on l’aurait dit |) de rosée et de miel ? 6+6 a
Le ciel en fut jaloux, | elle doit être au ciel. 6+6 a
Non ! elle est dans mon cœur : | je l’y tiens enfermée ; 6+6 a
10 Elle soupire encore, | elle parle avec moi. 6+6 b
Durant mes longues nuits, | cette voix tant aimée 6+6 a
Me dit : « Ne pleure plus ! | je ne dors pas pour toi. » 6+6 b
Oh ! moitié de ma vie, | à ma vie arrachée ! 6+6 a
Viens ! redis-moi ton rêve ; | il m’a prédit ton sort. 6+6 b
15 Que ta plainte, une fois | de mon cœur épanchée, 6+6 a
Rappelle un jeune cygne | et son doux chant de mort ! 6+6 b
« Écoute, m’as-tu dit, | écoute mon beau songe ! » 6+6 a
Le premier… le dernier | qui berça ton sommeil ! 6+6 b
De ce récit confus, | prophétique mensonge, 6+6 a
20 Cher innocent, tu vins | saluer mon réveil. 6+6 b
« Écoute ! je dormais ; | j’avais dit ma prière. 6+6 a
J’ai vu venir vers moi | deux anges : qu’ils sont beaux ! 6+6 b
Je voudrais être un ange. | Ils portent des flambeaux 6+6 b
Que le vent n’éteint pas. | L’un d’eux a dit : « Mon frère, 6+6 a
25 Nous venons te chercher ; | veux-tu nous suivre ? — Oh ! oui, 6+6 a
Je veux vous suivre… On chante ; | est-ce fête aujourd’hui ? 6+6 a
— C’est fête. Viens chercher | des parures nouvelles. » 6+6 a
Et mes bras s’étendaient | pour imiter leurs ailes ; 6+6 a
Je m’envolais comme eux, | je riais… j’avais peur ! 6+6 a
30 Dieu parlait ! Dieu pour moi | montrait une couronne : 6+6 b
C’est aux enfants chéris | que sa bonté la donne, 6+6 b
Et Dieu me l’a promise, | et Dieu n’est pas trompeur. 6+6 a
J’irai bientôt le voir ; | j’irai bientôt… — Ma vie ! 6+6 a
Où donc étais-je alors ? |… — Attends… je ne sais pas… 6+6 b
35 Tu pleurais sur la terre, | où je t’avais suivie. 6+6 a
— Tu me laissais pleurer ? | —Je t’appelais tout bas. 6+6 b
— Tu voulais me revoir ? | — Je ne pouvais, ma mère, 6+6 a
Dieu ne t’appelait pas. | » Un froid saisissement 6+6 b
Passa jusqu’à mon cœur, | et cet être charmant, 6+6 b
40 Calme, rêvait encor | sa céleste chimère. 6+6 a
Dès lors un mal secret | répandit sa pâleur 6+6 a
Sur ce front incliné, | qui brûlait sous mes larmes. 6+6 b
Je voyais se détruire | avant moi tant de charmes, 6+6 b
Comme un frêle bouton | s’effeuille avant la fleur. 6+6 a
45 Je le voyais ! et moi, | rebelle… suppliante, 6+6 a
Je disputais un ange | à l’immortel séjour. 6+6 b
Après soixante jours | de deuil et d’épouvante, 6+6 a
Je criais vers le ciel : | « Encore, encore un jour ! » 6+6 b
Vainement. J’épuisai | mon âme tout entière ; 6+6 a
50 À ce berceau plaintif | j’enchaînai mes douleurs ; 6+6 b
Repoussant le sommeil | et m’abreuvant de pleurs, 6+6 b
Je criais à la mort : | « Frappe-moi la première ! » 6+6 a
Vainement. Et la mort, | froide dans son courroux, 6+6 a
Irritée à l’espoir | qu’elle accourait éteindre 6+6 b
55 Et moissonnant l’enfant, | ne daigna pas atteindre 6+6 b
La mère expirante à genoux. 8 a
Et quand je reparus | morne et découronnée, 6+6 a
Après avoir longtemps | craint jusqu’à l’amitié, 6+6 b
Cette troupe légère, | un moment consternée, 6+6 a
60 Suspendit ses plaisirs, | et sentit la pitié. 6+6 b
« D’où viens-tu ? m’a-t-on dit, | et quels nuages sombres 6+6 a
Ont environné d’ombres 6 a
Tes yeux noyés de pleurs ? 6 a
Ton soir est loin encore, 6 b
65 Et ta paisible aurore 6 b
T’avait promis des fleurs. » 6 a
Oui, la rose a brillé | sur mon riant voyage ; 6+6 a
Tous les yeux l’admiraient | dans son jeune feuillage ; 6+6 a
L’étoile du matin | l’aidait à s’entr’ouvrir, 6+6 a
70 Et l’étoile du soir | la regardait mourir. 6+6 a
Vers la terre déjà | sa tête était penchée ; 6+6 a
L’insecte inaperçu | s’y creusait un tombeau ; 6+6 b
Sa feuille murmurait, | en tombant desséchée : 6+6 a
« Déjà la nuit ! déjà… | Le jour était si beau ! » 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université